Hongrie 1956

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par pelon » 06 Nov 2006, 16:18

a écrit :
Ce qu'écrivait Voix Ouvrière le 11 novembre 1956 : Nous sommes tous des assassins.

L'insurrection hongroise a été broyée par les blindés de l'armée russe. Malgré la disproportion des forces, les combattants hongrois ont résisté et résistent encore. Malgré la famine et la répression, la grève est générale. Il s'agissait d'une insurrection populaire sinon prolétarienne, en dépit de ce que peut dire la presse stalinienne. Il est bien évident qu'une minorité de factieux n'aurait pu mener un tel combat, et que pour tenir si longtemps il a fallu que toute la population se dresse face aux 200000 hommes de troupe et aux 3000 blindés de la répression. C'est la première fois dans l'histoire que la bureaucratie russe se sert de l'Armée Rouge pour écraser une révolution; jusqu'ici elle n'avait fait que les laisser écraser par les armées des autres. Tous les travailleurs en France, y compris un grand nombre de militants du PCF, ont ressenti la même indignation devant ce crime. Crime plus grand encore qu'il n'apparaît à première vue, car il dépasse les frontières de la Hongrie.

La répression en Hongrie a fait relever la tête à tous les fascistes européens. Les Russes n'ont pas combattu le fascisme en Hongrie mais ils l'ont renforcé en France. L'Humanité et le PCF en ont fait l'expérience ces jours derniers.

Quelles qu'aient été les revendications des travailleurs hongrois, c'était leur droit de les poser, jusques et y compris un retour au capitalisme, qu'ils ne voulaient d'ailleurs pas. Leur massacre n'a pas d'excuse, et chacun le sait. L'écoeurement est d'autant plus grand que ceux qui élèvent le plus la voix pour protester sont ceux qui justement devraient se taire.

Les gouvernants français ne défendent une insurrection ouvrière que lorsqu'elle se produit dans les pays de l'Est, eux qui emploient la matraque dans la moindre grève et qui n'hésiteraient pas, au cas où ladite insurrection ouvrière se produirait en Occident, à la noyer dans le sang. Des centaines de milliers de soldats, tout le matériel d'une armée moderne contre un petit pays de quelques millions d'habitants, c'est la Hongrie, oui, mais c'est aussi l'Algérie. Et le cynisme des dirigeants français qui pleurent sur le sort des ouvriers hongrois alors qu'ils assassinent en Algérie et en Égypte n'a d'égal que celui des potentats du Kremlin qui font l'inverse. FO, qui a des camarades ministres, a fort bien su prendre l'initiative d'un mouvement de grève pour protester contre la sauvage répression de l'insurrection hongroise. Elle n'a jamais su, pas plus que la CGT d'ailleurs, en faire autant pour l'Algérie, et cependant les deux sont liés. C'est parce que les Occidentaux massacrent en Afrique du Nord, au Kenya, à Chypre ou au Guatemala que les Russes ont pu commettre ce crime face à la classe ouvrière mondiale et, au fond, c'est en partie parce que nous, travailleurs français, nous tolérons par notre passivité la répression en Algérie que nos frères les travailleurs hongrois meurent sous les balles et les obus. De même l'intervention en Égypte n'aurait sans doute pas été possible sans les événements de Hongrie. À l'heure actuelle, chacun de ces événements fait partie d'un tout. Les travailleurs hongrois ont mené une lutte sans espoir, à tel point que certains postes d'insurgés ont fait appel à l'intervention occidentale. Ce n'était que choisir un autre genre de mort. Les armées occidentales ne seraient certainement pas intervenues pour laisser les armes aux travailleurs et le pouvoir aux comités ouvriers. Cette intervention ne serait que le début d'une troisième guerre mondiale et d'une ère de barbarie sans nom. Aucun travailleur n'y a intérêt. Dans la cassure actuelle du monde en deux blocs rivaux et opposés, c'est l'ignominie de l'un qui permet à l'autre de se rendre ignoble. Les masses de chacun des deux ne s'opposent pas à leurs propres dirigeants que parce que les autres ne font pas mieux et qu'ils ne sentent le choix qu'entre l'un ou l'autre. Et quoi qu'en disent les gouvernants français, les dirigeants sociaux-démocrates, les travailleurs français pouvaient plus aider les ouvriers hongrois en arrêtant la guerre d'Algérie et en empêchant l'expédition d'Égypte plutôt qu'en soutenant ceux qui mettaient le feu au siège du PCF.

Et ces derniers événements nous montrent que le sort des travailleurs hongrois pourrait bien être le nôtre: les nervis qui s'attaquent aux journaux et aux permanences du PCF ont profité du désarroi créé par la répression russe pour s'attaquer aux organisations qui se réclament de la classe ouvrière; leur indignation vertueuse contre les bourreaux du prolétariat hongrois ne cache en fait que le désir de réserver le même sort aux travailleurs français. Les dirigeants staliniens peuvent difficilement être dépassés en abjection mais c'est aux travailleurs de les juger et de les rejeter. Nous ne pouvons pas permettre aux éléments réactionnaires du pays de faire le ménage dans nos propres rangs. Les typographes de la presse l'ont fort bien compris en débrayant parce que certains d'entre eux avaient été blessés dans les locaux de L'Humanité. Au-delà du PCF, c'est l'organisation indépendante de la classe ouvrière qui est visée. Il nous appartient de nous occuper de nos propres affaires et de ne pas laisser aux dirigeants staliniens ou sociaux-démocrates qui ont tous du sang ouvrier sur les mains d'être maîtres de nos destinées. Sinon nous nous trouverons demain dans le cas des travailleurs hongrois: massacrés par les uns ou par les autres. Nous ne pourrons alors nous en prendre qu'à nous-mêmes car "il ne faut jamais demander pour qui sonne le glas, il sonne toujours pour nous".

Lutte Ouvrière n°1996 du 3 novembre 2006
pelon
 
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Message par zeanticpe » 06 Nov 2006, 17:03

je n'ai pas bien compris ce passage.
a écrit :FO, qui a des camarades ministres, a fort bien su prendre l'initiative d'un mouvement de grève pour protester contre la sauvage répression de l'insurrection hongroise. Elle n'a jamais su, pas plus que la CGT d'ailleurs, en faire autant pour l'Algérie, et cependant les deux sont liés. C'est parce que les Occidentaux massacrent en Afrique du Nord, au Kenya, à Chypre ou au Guatemala que les Russes ont pu commettre ce crime face à la classe ouvrière mondiale et, au fond, c'est en partie parce que nous, travailleurs français, nous tolérons par notre passivité la répression en Algérie que nos frères les travailleurs hongrois meurent sous les balles et les obus.

En quoi les 2 sont liés? Enfin, je le comprends un peu. Mais est-ce que si il y avait eu un mouvement fort de protestation contre la guerre d'Algérie, en France, cela aurait découragé l'URSS d'envoyer ses troupes en Hongrie?
Et question 2, il y a eu une montée du facisme en France en 56?
zeanticpe
 
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Message par yannalan » 06 Nov 2006, 17:32

POur répondre à la question 2, en 56 est apparu le "mouvement Poujade" qui fit élire un paquet de députés sous le slogan de "sortez les sortants", accompagné de violences. Les orgas fascistes comme "jeune nation" étaiant beaucoup plus dangereuses qu'elles ne le sont aujourd'hui, aller vendre même l'HUma dimanche ces années là était dangereux.
POur la question 1, je laisse les autres répondre.
yannalan
 
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Message par pelon » 06 Nov 2006, 17:38

(zeanticpe @ lundi 6 novembre 2006 à 17:03 a écrit :je n'ai pas bien compris ce passage.
a écrit :FO, qui a des camarades ministres, a fort bien su prendre l'initiative d'un mouvement de grève pour protester contre la sauvage répression de l'insurrection hongroise. Elle n'a jamais su, pas plus que la CGT d'ailleurs, en faire autant pour l'Algérie, et cependant les deux sont liés. C'est parce que les Occidentaux massacrent en Afrique du Nord, au Kenya, à Chypre ou au Guatemala que les Russes ont pu commettre ce crime face à la classe ouvrière mondiale et, au fond, c'est en partie parce que nous, travailleurs français, nous tolérons par notre passivité la répression en Algérie que nos frères les travailleurs hongrois meurent sous les balles et les obus.

En quoi les 2 sont liés? Enfin, je le comprends un peu. Mais est-ce que si il y avait eu un mouvement fort de protestation contre la guerre d'Algérie, en France, cela aurait découragé l'URSS d'envoyer ses troupes en Hongrie?
Et question 2, il y a eu une montée du facisme en France en 56?


Une classe ouvrière qui laisse faire son propre impérialisme dans ses colonies ne va pas venir au secours de ses frères hongrois. "Un peuple qui en opprime un autre n'est pas un peuple libre" n'est pas une formule creuse.
Disons aussi que l'URSS se sentait les coudées franches, les Etats comme la France étant englués dans des guerres coloniales. D'autre part, dans la crise du canal de Suez, les Etats-Unis et l'URSS s'étaient alliés contre une intervention anglo-française. Oui, l'URSS pouvait massacrer l'insurrection hongroise sans problèmes diplomatiques (et encore moins militaires) majeurs.
En 1956 nous sommes en plein dans ce que l'on a appelé "la coexistence pacifique" qui visait à limiter les conflits entre les USA et l'URSS. Les 2 se neutralisaient : il y avait des limites à respecter et surtout des compensations : "je t'ai laissé tranquille dans telle région du monde, veux-tu te tourner pendant que je commets mes exactions".
pelon
 
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Message par zeanticpe » 06 Nov 2006, 20:45

oui, merci Pelon, c'est plus clair.
Mais pas encore tout à fait par rapport aux questions qui me travaillent sur ce sujet. Il y a eu un fil récent sur la Hongrie suite à l'éphéméride sur l'anniversaire de l'insurrection. L'éphémeride est passionnant puisqu'il décrit, à notre époque ce dont est capable la classe ouvrière, même sans un parti révolutionnaire. Et ce qui est quand-même bien triste, c'est que effectivement, cela n'a pas eu un retentissement autour dans les autres classes ouvrières. Enfin, si un peu en Pologne, je crois si je me souviens bien ce qu'a expliqué Yannalan.
Bon tu expliques qu'on était en plein moment où les USA et l'URSS s'entendaient pour mener leurs exactions chacun de leur côté. Oui mais, là tu parles des des oppresseurs.
Je ne rêve pas, la Commune en France a déclenché des mouvements de luttes partout en europe, la révolution russe, j'en parle pas. En 56, il y avait des médias plus développés qu 'en 1871. Aujourd'hui et demain si un prolétariat est capable de mener une insurrection, de s'organiser en comités ouvriers, de relancer la production, pour eux, je suis de ceux qui pensent qu'ils trouveront un echo partout dans le monde, tellement la misère est grande et l'esprit de révolte latent.
J'espère que je ne sors pas du sujet.
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Message par com_71 » 06 Nov 2006, 20:47

(zeanticpe @ lundi 6 novembre 2006 à 17:03 a écrit : il y a eu une montée du facisme en France en 56 ?
A long terme, pas vraiment je crois.

Mais des nervis fascistes ont profité de la situation pour aller faire le coup de poing devant l'immeuble du PC. :

(VO a écrit :Et ces derniers événements nous montrent que le sort des travailleurs hongrois pourrait bien être le nôtre: les nervis qui s'attaquent aux journaux et aux permanences du PCF ont profité du désarroi créé par la répression russe pour s'attaquer aux organisations qui se réclament de la classe ouvrière; leur indignation vertueuse contre les bourreaux du prolétariat hongrois ne cache en fait que le désir de réserver le même sort aux travailleurs français. Les dirigeants staliniens peuvent difficilement être dépassés en abjection mais c'est aux travailleurs de les juger et de les rejeter. Nous ne pouvons pas permettre aux éléments réactionnaires du pays de faire le ménage dans nos propres rangs. Les typographes de la presse l'ont fort bien compris en débrayant parce que certains d'entre eux avaient été blessés dans les locaux de L'Humanité.


et VO prenait position pour la défense du PC, ses militants et ses locaux, tout en dénonçant le fait qu'il couvre la répression des travailleurs hongrois.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Puig Antich » 06 Nov 2006, 22:12

moi ce que je comprends pas, c'est le titre
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Message par Ottokar » 06 Nov 2006, 22:32

c'est à la fois la reprise du titre d'un film à gros succès de l'époque (un film de Cayatte de 52 primé à Cannes et totalement oublié depuis, contre la peine de mort avec Mouloudji, Raymond Pellegrin... ) et un résumé de la situation. Les crimes des uns font passer ceux des autres : l'intervention contre révolutionnaire russe en Hongrie scandalise l'opinion occidentale qui fait moins attention à l'intervention colonialiste en Egypte. Tout cela se passe dit l'édito, parce que nous (= nous, prolétaires) avons laissé faire. Nous avons laissé le mouvement ouvrier aux mains des staliniens et nous n'avons pas empêché les Guy Mollet (PS) de faire le sale boulot des colonialistes.
Ottokar
 
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