par Inna » 02 Nov 2006, 01:56
Si tous les syndicats du monde s’unissaient
Social . Cette semaine à Vienne, 360 syndicats de 150 pays se regroupent dans une nouvelle Confédération syndicale internationale, avec l’objectif de peser sur la globalisation.
Vienne (Autriche), envoyé spécial.
Réunir 190 millions de syndiqués du monde entier sous une seule bannière. Et, surtout, faire que les organisations de travailleurs pèsent de nouveau face aux forces du capital dopées par la mondialisation. C’est l’objectif, clairement ambitieux, des quelque 1 500 délégués réunis à partir d’aujourd’hui à Vienne pour fonder la nouvelle Confédération syndicale internationale (CSI).
pour le droit de se syndiquer partout
La naissance de cette structure unitaire, plus de cent quarante ans après la première tentative d’unification des syndicats au niveau international, passe d’abord par la mise en bière des deux grandes centrales mondiales actuelles : la Confédération internationale des syndicats libres (CISL, 155 millions de membres), d’inspiration sociale-démocrate, et la Confédération mondiale du travail (CMT, 30 millions de membres), d’obédience chrétienne, qui tiennent ce soir leur congrès de dissolution dans la capitale autrichienne. Leurs délégués seront rejoints demain par ceux d’une dizaine de syndicats indépendants, dont la CGT, qui a quitté en 1995 la troisième centrale mondiale, la FSM (ex-bloc communiste), aujourd’hui moribonde. Cette présence de syndicats non affiliés mais souvent en pointe du combat social dans leur pays (comme la CTA argentine), et leur implication dans le processus de création de la CSI, sont des facteurs qui font dire à Guy Ryder, secrétaire général de la CISL, que, bien plus que la fusion d’appareils concurrents, la nouvelle confédération doit être le cadre où émergera « un nouvel internationalisme syndical » face au capitalisme débridé de ces deux dernières décennies.
Les statuts de la CSI reflètent cette ambition de « changer le cours de la mondialisation », comme le proclame l’un des chapitres des statuts (lire ci-dessous). L’objectif est de sortir d’une situation où, grâce à la liberté de circulation des capitaux, les entreprises dictent leurs lois, placent les travailleurs en situation de concurrence et s’affranchissent des droits sociaux les plus élémentaires. Un autre défi est de faire respecter le droit des travailleurs à se syndiquer partout sur la planète, alors que la répression reste forte en Amérique latine et dans les pays émergents d’Asie, au premier rang desquels la Chine.
des statuts plus combatifs
Casse sociale, casse syndicale, deux phénomènes liés. « Nous sommes sous la coupe d’une mondialisation néolibérale, et pour ses tenants le meilleur syndicat est celui qui n’existe pas, rappelle Willy This, le secrétaire général de la CMT. Nous avons été attaqués sur tous les fronts. Précarisation, croissance de l’économie informelle, flexibilité, délocalisations... Tous ces phénomènes ont affaibli le syndicalisme. »
À la nécessité de s’unir pour peser davantage s’ajoute la remise en question des méthodes classiques des syndicats face à la mondialisation. La stratégie conciliante de la CISL et de la CMT face aux grandes institutions économiques a fait la preuve de son inefficacité : l’OMC n’a jamais accepté d’imposer les normes de l’Organisation internationale du travail (OIT) dans ses négociations. Les statuts de la nouvelle confédération se veulent plus combatifs et réclament une « réforme fondamentale » de l’OMC comme du FMI. La CSI affiche parallèlement son ambition de travailler plus étroitement avec les Global Unions, ces super-syndicats de branche à l’échelon international, qui ont une tradition de dialogue avec les multinationales et ont su faire plier certaines d’entre elles (par exemple sur le transport maritime international).
la lutte, du local au global
Un programme ambitieux donc, trop diront certains. Les promoteurs de la CSI assurent, eux, que le mouvement syndical international est mûr pour passer à la vitesse supérieure, malgré l’opposition apparente entre travailleurs du Nord et du Sud, malgré les divisions historiques. « Si je croyais que les questions d’identité ou d’appareils restaient un obstacle, je n’aurais pas poussé à l’unification, insiste Guy Ryder. Dans le cadre de la CISL, il existe déjà des organisations de tendance variées, sociaux-démocrates, communistes, voire centristes. Mais nous parvenons toujours à travailler ensemble et à faire avancer nos revendications. »
Le rapprochement avec la société civile et les ONG, sensible ces dernières années, va aussi se poursuivre : la CSI sera présente au prochain Forum social mondial, à Nairobi. À terme, la CSI espère ainsi devenir une caisse de résonance et un lieu de rencontre pour des luttes partout dans le monde, du local au global.
Paul Falzon
Article paru dans L'Humanité l'édition du 31 octobre 2006.