l'insurrection ouvrière en Hongrie

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par zeanticpe » 23 Oct 2006, 05:59

Extrait de l'éphéméride.
a écrit :
Les conseils ouvriers s'organisent

Les tout derniers jours d'octobre, le mouvement semblait victorieux. Les conseils ouvriers, dont certains se mettaient à se fédérer à l'échelle régionale, commençaient à envisager une proche reprise du travail et affirmaient leurs revendications. Ces revendications ne se cantonnaient pas au domaine des augmentations de salaires, de la suppression du travail aux pièces ou aux multiples autres revendications matérielles. Les conseils ouvriers se considéraient comme les directions légitimes des usines, licenciaient les chefs les plus compromis, embauchaient, préparaient la reprise du travail. Ils affirmaient leur volonté de participer à la réorganisation de l'ensemble de l'économie, en refusant toute restauration du capitalisme, toute privatisation des entreprises et tout retour à l'ancien régime réactionnaire.
Au-delà des formulations imprécises quant à l'organisation économique et sociale de l'avenir, sans parti à elle, sans direction politique, la classe ouvrière cherchait son chemin.
Pendant les quelques jours qui séparaient la victoire apparente de l'insurrection et la nouvelle intervention russe, les travailleurs armés, les conseils ouvriers, qui prenaient de plus en plus en charge les problèmes de la population et traitaient avec le gouvernement et les commandements russes, détenaient la réalité du pouvoir. Mais ni dans les faits, ni même dans les projets, les travailleurs ne voyaient d'autre perspective sur le plan politique que la consolidation du gouvernement Imre Nagy. Le mouvement dans son ensemble trouva là ses limites objectives sur le plan politique.
La situation était néanmoins porteuse de conflit entre le gouvernement de Nagy qui cherchait à reconstituer, sous son autorité, l'armée et la police, et, de l'autre côté, les conseils ouvriers dont certains étaient passablement méfiants, voire commençaient à débattre du rôle futur des conseils ouvriers. Mais la bureaucratie soviétique n'a, de toute façon, pas laissé la révolution aller jusqu'au bout de ses possibilités.

deux questions:
En lisant ce passage, je me dis que même sans la présence d'un parti révolutionnaire, la classe ouvrière peut trouver naturellement sa voie et accomplir ses tâches. Puisqu'elle n'a pas été guidée par un parti en Hongrie, mais qu'elle a fait ce qu'elle avait à faire. Est-ce que quelque chose m'a échappé? Je ne dis pas qu'il ne faut pas de parti révolutionnaire, mais que même dans l'hypothèse ou une insurrection commencerait sans la présence d'un parti révolutionnaire dans un pays, on peut légitmement avoir l'espoir que cela aboutisse.
L'autre question c'est "est-ce que l'intervention brutale de l'armée russe a déclenché des mouvements de protestation dans les pays proches et en URSS et enfin comment a été perçue l'insurrection ouvrière dans les autres pays.
zeanticpe
 
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Message par yannalan » 23 Oct 2006, 06:59

Les conseils ouvriers ont fait comme tu dis ce qu'ils avaient à faire, mais ils manquaient de perspectives, et d'une vision plus globale des choses qu'un Parti révolutionnaire aurait pu les aider à apprécier. Chaque conseil travaillait sur sa zone, même s'il y avait des embryons de conseil central. Ca aurait pu fonctionner à force sans intervention soviétique, peut-être...
Dans les pays voisins, la Pologne a failli se retrouver avec le même genre d'intervention, évité in extremis quand Gomulka a réussi à faire admettre aux soviétiques qu'il arriverait à rétablir l'ordre lui-même. Ailleurs, les staliniens locaux ont pris les mesures nécessaires pour étouffet tout mouvment dans l'oeuf.
Les réactions ? Tous les partis communistes ont approuvé, mais certains y ont laissé des plumes comme en Grande Bretagne, par exemple. En France, l'impact de l'intervention française en Egypte, et les agressions de l'extrême-droite contre le PCF ont plutôt ressoudé les militants. n'ayant que quatre ans à cett eépoque, il m'est difficile de dire autre chose que ce que j'ai lu ou entendu...
yannalan
 
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Message par canardos » 23 Oct 2006, 07:02

oui, zeanticpe, la classe ouvriere peut tres bien trouver toute seule les voies de son autoorganisation, construire ses propres organes de pouvoir sans l'intervention d'un parti révolutionnaire.

ça a été le cas à la commune de Paris, pendant les révolutions de 1905 et 1917 en russie, en hongrie en 1919 et 1956, et dans bien d 'autres endroits...

mais, faute de perspectives politiques ces conseils ouvriers ne peuvent que soutenir les directions réformistes qui a la tete de l'appareil d'etat bourgeois préparent leur dissolution ou leur écrasement.

ça a été le cas en fevrier 1917. Il a fallu des mois aux bolcheviks pour convaincre les soviets de cesser de soutenir les gouvernements bourgeois Socialistes revolutionnaire et menchevik qui voulaient continuer la guerre, leur refusaient la terre et préparaient leur écrasement sanglant et pour que le mot d'ordre "tout le pouvoir aux soviets" devienne majoritaire.

ça a été le cas en Hongrie ou comme le dit l'éphémeride
a écrit : Mais ni dans les faits, ni même dans les projets, les travailleurs ne voyaient d'autre perspective sur le plan politique que la consolidation du gouvernement Imre Nagy. Le mouvement dans son ensemble trouva là ses limites objectives sur le plan politique.


Car Imre Nagy lui se donnait comme objectif l'accord avec les russes et la dissolution des conseils ouvriers....

l'absence de direction révolutionnaire capable de donner aux conseils ouvriers comme objectif le renversement d'imre nagy et l'extension de la révolution aux travailleurs russes et des autres pays d'europe de l'est condamnait la révolution hongroise à l'écrasement...

c'est la ou le role d'un parti révolutionnaire est indispensable!
canardos
 
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Message par Ottokar » 23 Oct 2006, 07:03

(zeanticpe @ lundi 23 octobre 2006 à 06:59 a écrit : En lisant ce passage, je me dis que même sans la présence d'un parti révolutionnaire, la classe ouvrière peut trouver naturellement sa voie et accomplir ses tâches... même dans l'hypothèse ou une insurrection commencerait sans la présence d'un parti révolutionnaire dans un pays, on peut légitmement avoir l'espoir que cela aboutisse.

...elle a accompli certaines de ses tâches, naturellement. Mais les achever, c'est-à-dire postuler à la direction du pays, c'est autre chose. Même dans les révolutions où la classe ouvrière commence à prendre le pouvoir entre ses mains, au niveau local (assurer l'ordre, remettre en route les usines, les services publics, se charger de l'approvisionnement...) il faut qu'elle ait conscience que ce qu'elle fait spontanément ne doit pas rester provisoire, que c'est de cette façon que la société doit être dirigée. "Tout le pouvoir aux soviets" ! Et au niveau de l'Etat, de la capitale, du gouvernement, qu'il faut qu'une équipe qui représente cette volonté prenne la place des pantins qui s'agitent et bavardent à sa place. "Pour que ça aboutisse" pour reprendre ta formulation. Et cela, c'est un parti. Sinon, ce sont les pantins en question qui occupent les positions, l'endorment, la désarment moralement, puis physiquement et finalement, ramènent les vieilles habitudes et les vieilles classes posédantes.

C'est ce qu'on a vu plusieurs fois, en Allemagne en 18-19, en Espagne en 36, en Hongrie en 56, et même en partie en Pologne en 81.
Ottokar
 
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Message par zeanticpe » 23 Oct 2006, 18:47

merci.
pour ce qui est de la nécessité d'un parti révolutionnaire pour aller jusqu'au bout, c'est bien clair.
pour ce qui est de la répression d'un pays voisin, Yannalan a répondu.
mais souvent des copains me disent oui, mais si on fait la réolution en France les autres pays, les autres bourgeoisie vont nous écraser.
je pensais que la réponse que je faisais : "si un autre pays intervient pour écraser la révolution, il devra affronter son propre prolétariat qui ne sera pas indifférent".
Mais en lisant l'article, je me dis que ce n'est pas si simple et que l'on peut très bien parvenir à chasser notre propre bourgeoisie et devoir subir l'écrasement par un impérialisme extérieur, sans que cela déclenche forcément un soulèvement ouvrier dans le pays agresseur. Je ne sais pas.
zeanticpe
 
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Message par Gaby » 23 Oct 2006, 18:58

(zeanticpe @ lundi 23 octobre 2006 à 19:47 a écrit : Mais en lisant l'article, je me dis que ce n'est pas si simple et que l'on peut très bien parvenir à chasser notre propre bourgeoisie et devoir subir l'écrasement par un impérialisme extérieur, sans que cela déclenche forcément un soulèvement ouvrier dans le pays agresseur. Je ne sais pas.
Bien sûr. Fin 1918, Churchill parle d'étrangler le bolchévisme dans son landeau (on appréciera l'image). Les Français et les Anglais arment les généraux blancs tsaristes, ceux qui répêtent à loisir qu'ils sont prêts à tuer trois quarts de la population russe s'il le faut pour sauver leur nation d'un pouvoir de la populace.

Et les Etats peuvent tout à fait mater dans le sang les révoltes qui peuvent apparaitre sur leur propre sol. Pense à l'Allemagne ou à l'Italie après la révolution russe, qui l'un et l'autre finiront par sombrer dans le fascisme, étape ultime servant à décimer le mouvement ouvrier.

Mais pourtant, que faire ?
Gaby
 
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Message par zeanticpe » 23 Oct 2006, 20:01

oui Gaby, je sais qu'on aura à combattre notre propre bourgoiesie, et à ne pas lui faire de cadeaux.
mais je pensais à ce que j'ai toujours un peu répété peut-être à tord, que l'intervention d'une puissance extérieure ne se ferait pas sans hésitation de la part des bourgeoisies exterieures de peur de leur propre proletariat.
en ce qui concerne la Hongrie, on peut dire que l'Urss de staline ne s'est pas gênée, mais c est peut etre un cas particulier.
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Message par com_71 » 23 Oct 2006, 20:39

Regarder le déroulement précis des événements est intéressant. Il y a eu en réalité 2 interventions russes. La première, infructueuse parce que l'URSS a été obligée de retirer les troupes, russophones, auxquelles les insurgés s'adressaient sans peine et avec succès. La deuxième, 2 semaines après (je crois), le temps que l'URSS fasse venir des troupes asiatiques, non russophones, imperméables à toute communication...
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par com_71 » 24 Oct 2006, 01:21

J'avais oublié de signaler cet article Le test hongrois, LDC n°4 18 12 1956

Des documents venant de "Socialisme ou barbarie" : http://www.plusloin.org/textes/hongrie/index.htm
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par piemme » 19 Nov 2006, 10:29

Pour info, un article intéressant (critique de 6 ouvrages) de Jean-Jacques Marie
dans la dernière "Quinzaine littéraire" (c'est scanné, pardon pour les coquilles)

a écrit :
LA REVOLUTION ECRASEE DES CONSEILS OUVRIERS

Les révolutions sont très souvent trahies et salies par leurs héritiers et par ceux qui les commémorent. Les représentants des états anglais et français ont ainsi célébré la révolution hongroise... alors qu'en 1956 leurs gouvernements, assistés de l'armée israélienne, ont aidé le Kremlin à écraser les ouvriers, les étudiants et les paysans hongrois en attaquant l'Egypte, coupable d'avoir nationalisé le canal de Suez creusé sur son propre territoire.

JEAN-JACQUES MARIE

PHIL CASOAR, ESZTER BALASZ
LES HÉROS DE BUDAPEST
Les Arènes éd., 252 p., 49 €

ANDRÉ FARKAS
BUDAPEST 1956, LA TRAGÉDIE TELLE QUE JE L'AI VUE ET VÉCUE
Tallandier éd., 288p., 21 €

HENRI-CHRISTIAN GIRAUD
LE PRINTEMPS EN OCTOBRE, UNE HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION HONGROISE
Rocher éd., 812 p., 24 €

PAUL LENDVAI
LES HONGROIS, MILLE ANS D'HISTOIRE
trad. de l'allemand et du hongrois par Georges Kassai et Gilles Bellamy Noir sur blanc éd., 672 p., 28 €

JULIEN PAPP
LA HONGRIE LIBÉRÉE
État, pouvoirs et société après la défaite du
nazisme (septembre 1944-septembre 1947)
Presses Universitaires de Rennes éd., 366 p., 20 €

VICTOR SEBASTYEN
BUDAPEST 56
Les 12 jours qui ébranlèrent l'empire soviétique
trad. de l'anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj Calmann-Lévy éd., 444 p., 23,90 €

Eisenhower respecte alors le partage du monde décidé à Yalta entre Staline, Roosevelt et Churchill. L'Union européenne, conseil exécutif des multinationales, acharnée à détruire les services publics, à tout privatiser et démanteler à leur profit, a célébré cet anniver¬saire en alertant les peuples européens contre « le communisme », en réalité contre la lutte des classes. Or, comme le rappelle Alexandra Laignel-Lavastine dans son article (Le Monde du 27 octobre), sur la révolution de Budapest-1956 « sa double dimension, à la fois antistali¬nienne et anticapitaliste., lui confrère une portée universelle »
Or, comme le rappelle Henri-Christian Giraud, l'ancien président du Parti des petits propriétaires, Bêla Kovacs, interné sous Staline et Rakosi, définissait la révolution hongroise comme « une révolution, venue de l'intérieur, dirigée par les communistes. Il n'y a pas l'omb¬re d'un doute à ce sujet. Des communistes
outrés par les actes de leur propre parti, ont préparé le terrain pour cette insurrection et y ont participé dès les premier s jour s. C'est ce qui nous permit à nous anciens leaders des partis non communistes de revenir sur scène et récla¬mer notre part dans l'avenir de la Hongrie ».
« Ce sont les soviets qui se préparent... »
André Farkas cite un exemple caractéris¬tique, celui de Rudolf Fôldvari, apprenti serru¬rier, communiste, propulsé au Conseil central des syndicats, puis au Bureau politique du parti communiste, d'où Rakosi le limoge et le relè¬gue à Miskolc, grand centre ouvrier métallur¬gique : le 25 octobre Fôldvari est élu au conseil ouvrier de la ville, qu'il organise. Condamné à la perpétuité après l'écrasement de l'insurrec¬tion, gracié plus tard, il reprendra son travail de serrurier en usine...
Évoquant la propagande du Kremlin sur le prétendu retour des émigrés fascistes de 1945, Kovacs ajoutait : « Personne en Hongrie ne se soucie de ceux qui ont fui vers l'ouest après la chute de leur régime de terreur et de corruption - et qui ont vécu ensuite de l'aide matérielle occidentale. S'ils avaient fait le moindre geste pour reprendre le pouvoir toute la nation se serait dressée instantanément. »
Yochka' Szilagyi, cité encore par Giraud, dit en gros la même chose : « Ce sont les soviets qui se préparent, les vrais soviets, ceux-là mêmes qui dans la Russie de 1917 n'ont pas trouvé les moyens de survivre ! Notre nation saigne et saignera peut-être encore, mais tout porte à croire que, de ce bain, de sang, sortira le premier et unique Etat socialiste démocra¬tique du monde ! » Le Kremlin, avec l'aide politique du « monde libre », fera tout pour que cet État ne voie pas le jour.
La vérité sautait aux yeux des observateurs étrangers eux-mêmes. Ainsi Giraud cite le document dans lequel le directeur de l'Institut culturel français explique à ses supérieurs le sens de l'insurrection : « désir de conserver certaines acquisitions démocratiques et socia¬listes dues à l'intervention soviétique et à l'ac¬tion communiste(réforme agraire, avec sociali¬sation lente et volontaire de l'agriculture, socialisation des secteurs économique, indus¬triel et commercial, à l'exclusion de l'artisanat, et en s'inspirant, du système titiste de gestion ouvrière ; réforme de l'enseignement ; sépara¬tion de l'Église et de l'État. »
André Farkas  et Henri-Christian Giraud citent de nombreux cas de fraternisation entre soldats soviétiques stationnés en Hongrie et insurgés hongrois les premiers jours de la révo¬lution. Déjà, lors de l'écrasement de la grève générale des ouvriers de Berlin-Est et de RDA en juin 1953, 42 soldats et officiers soviétiques avaient été fusillés pour refus de tirer sur les manifestants. L'état-major russe fit donc venir pour la seconde intervention commencée le 4 novembre des troupes d'Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan) que Henri-Christian Giraud qualifie bizarrement de « soldats mongols ».
André Farkas et Victor Sebastyen donnent, eux aussi, un récit précis et vivant des événe¬ments d'octobre-novembre. Le récit de Farkas. le meilleur des quatre, a la saveur d'un témoi¬gnage vécu que son auteur, alors jeune journa¬liste de Budapest, renforce par des extraits, rarement utilisés, de témoignages contempo¬rains.
Ces ouvrages si diserts sur les journées du 23 octobre au 9 novembre, jour où l'insurrec¬tion fléchit sous la mitraille et les obus du Kremlin, sont en revanche, sauf celui d'André Farkas, laconiques (surtout celui de Victor Sebastyen), sur ce que le bulletin Est-Ouest de Boris Souvarine lui-même appelait « La République des conseils » : le long mois pendant lequel les conseils ouvriers, dont le Conseil Ouvrier central du Grand-Budapest, ont organisé la classe ouvrière et son combat face au gouvernement fantoche de Kadar et aux divisions blindées russes.
André Farkas en souligne l'importance dans un chapitre intitulé « La classe ouvrière si chère à Marx en première ligne » où il évoque la formation du conseil de Miskolc dès le 23 octobre, et plus encore lorsqu'il décrit la situa¬tion au lendemain de l'écrasement militaire de l'insurrection dans un, chapitre intitulé « Le pied de nez des ouvriers au parti communiste. » « Plus on s'éloigne du sommet impuissant de la pyramide, plus on descend vers le bas, vers les strates inférieures, plus près de la terre, plus la révolution, continue à porter ses fruits (...) le pouvoir ouvrier, le pouvoir de base se renforce et joue un rôle de plus en plus déterminant. En effet ,les conseils ouvriers sont toujours là. Il y en a dans toutes les entreprises. » II ajoute : « Ces conseils ressemblent curieusement aux d'ouvriers russes de la grande époque. » II faudra cinq semaines au Kremlin pour les disloquer, en utilisant leur isolement international. Aucune force déterminante dans le monde - ni Thorez, ni Mollet, ni leurs pairs étrangers - ne veut en effet entendre parler de ces conseils ouvriers trop contagieux !
Plus encore que celui de Giraud, le livre de Victor Sebastyen souffre d'une faiblesse histo¬rique : il réduit les années 1944-47 à deux aspects ; les viols des soldats de l'Armée rouge et les manipulations du PC hongrois. Les viols sont une triste et fâcheuse habitude des armées en campagne : combien de femmes d'Ukraine avaient été violées par les soldats hongrois qui combattaient aux côtés de la Wehrmacht ! Plus à l'Ouest de nombreuses femmes de Basse-Normandie ont dû subir pendant l'été 1944 l'ar¬deur virile des soldats américains. Nul ne pense pourtant à en faire un aspect essentiel de la Libération.
L'ouvrage de Julien Papp : la Hongrie libé¬rée, par son tableau minutieux de la situation du pays au lendemain de la guerre, permet de comprendre ce qui s'est passé pendant les trois années cruciales de 1944 à 1947.
La Hongrie fascisante et antisémite du contre-amiral Horthy - qui avait en 1925 signé avec les États-Unis un traité accordant à ce dernier pays le statut de « nation la plus favorisée surtout dans l'industrie pétrolière » (Papp) — s'était jointe à Hitler dans l'attaque de l'URSS. En 1944, les victoires de l'Armée rouge poussent Horthy à tenter de se dégager. Les nazis le capturent et lui substituent le nazi hongrois Szalasi et ses Croix Fléchées.
Au lendemain de leur défaite la Hongrie est le lieu d'une intense lutte de classes sur les débris de l'état féodalo-bourgeois en ruines. Le gouvernement provisoire et son ministre de l'agriculture Imre Nagy, que Radar fera pendre en 1958 pour son rôle dans la révolution de 1956 - donnent la terre aux paysans... y compris des terres de l'Église catholique, le premier propriétaire terrien du pays dont il suscite ainsi la fureur spirituelle. Le Vatican, alors occupé à transférer vers l'Amérique latine le maximum possible de collaborateurs des nazis, refuse donc de reconnaître ce gouvernement et cette déci¬sion. Les ouvriers tentent de mettre la main sur les usines dont, souvent, les patrons, fascistes ou pro-fascistes, ont fui vers un Ouest très accueillant. C'est l'époque où l'un des slogans favoris de la réaction cléricale dans les campa¬gnes est « Ne coupez pas les arbres, sinon où allons-nous pendre les communistes ? » c'est-à-dire les ouvriers qui s'emparent des usines et les paysans qui prennent la terre, qu'ils soient ou non, d'ailleurs, communistes et socialistes.
Staline, hostile à ce mouvement venu des masses elles-mêmes qu'il craignait comme la peste, voulait un gouvernement d'union natio¬nale. Il déclare ainsi : « Nous aurions accepté Horthy, mais il a été emmené par les Allemands ». Cela donne une saveur particuliè¬re aux déclarations des staliniens soviétiques ou français qui feront des révolutionnaires de 1956 des héritiers de Horthy...
Ces trois années de luttes sociales et poli¬tiques violentes déboucheront finalement sur la confiscation du pouvoir par le parti communis¬te stalinisé dont la direction devra soumettre ses rangs à une épuration et à une répression permanentes.
Le tableau dessiné par Julien Papp permet de saisir les ressorts de la révolution de 1956 mieux que les imprécations sur le « monstre » Rakosi et la « tactique du salamis » mise en œuvre par ce dernier qui réduit les violents heurts de classe de 1944 à 1947 à une savante tactique bureaucratique élaborée après coup, par un Machiavel de sous-préfecture...
Le cinquantième anniversaire de la révolu¬tion hongroise écrasée suscite autant d'ouvra¬ges et de commémorations que celui de la révo¬lution polonaise est entouré d'un voile discret. Pourtant l'expression « le printemps en octo¬bre » a été élaborée par les Polonais le 22 octo¬bre 1956 pour définir leur mouvement qui a donné l'impulsion à l'Octobre hongrois. Paul Lendvai le rappelle : « ce fut l'effervescence régnant en Pologne et les menaces soviétiques contre le retour de Gomulka au pouvoir qui déclenchèrent l'explosion en Hongrie ». L'histoire est souvent ingrate. En tous cas ceux qui l'écrivent.
On ne saurait faire ce reproche à Phil Casoar et Eszter Balazs, auteurs d'une enquête minu¬tieuse et passionnante dans un ouvrage illustré d'une splendide iconographie, sur le destin, jusqu'à eux inconnu, des « héros (anonymes) de Budapest » : l'adolescent au chapeau, abattu une semaine plus tard et la jeune fille au béret, qui émigrera en Australie. Ces deux personna¬ges symbolisent toute une jeunesse dressée contre la dictature bureaucratique qui les quali¬fiera de hooligans et de voyous avant d'en pendre certains aux côtés des dirigeants de la révolution : Imre Nagy, Pal Maleter, Jozef Szilagyi ou Miklos Gimes.
piemme
 
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