a écrit :Hongrie 1956
Révolution défigurée
Le journal « Le Monde » du 22 juin 2006, écrit : « Venant de Vienne où il a assisté au sommet euro-américain, George W. Bush célèbre, jeudi 22 juin, en Hongrie, le 50e anniversaire du soulèvement de Budapest contre l’emprise soviétique. » Retour sur un tournant de l’histoire du xxe siècle.
Octobre 1956 : la révolution hongroise éclate. Mais l’un des traits caractéristiques de cette révolution - la poussée vers un nouvel ordre social et démocratique - est soigneusement ignoré par la propagande, tant à l’Est qu’à l’Ouest. En 1956, la possibilité d’une « troisième voie » institutionnelle, sociale et économique, entre capitalisme et stalinisme, est détruite. Les défenseurs d’un socialisme démocratique et autogestionnaire n’ont pas perçu l’ampleur de cette défaite à l’échelle historique.
Un tel mouvement d’auto-organisation nécessite une maturation sociale, politique, culturelle et le discrédit aigu des organes de pouvoir officiels, autocratiques. En mars 1955, Imre Nagy (exécuté le 18 juin 1958), placé au pouvoir en 1953 pour éviter une crise, est démis de ses fonctions et attaqué par Matyas Rakosi, nouveau chef du gouvernement et secrétaire général du Parti communiste. Un groupe peu organisé, composé d’écrivains, de journalistes et de membres du PC se forme autour de Nagy. Pour la première fois dans un pays de l’Est, une opposition durable au sein et à la marge des structures officielles existe. Elle sera vue par « l’opinion publique » comme une solution de rechange au pouvoir en place. Les mobilisations futures disposeront d’un objectif politique unificateur : le retour de Nagy au pouvoir. Mais la chape de plomb de la « normalisation » semble alors être retombée. Toutefois, les défis au régime de Rakosi continuent d’exister en 1955.
En 1956, le « printemps de Budapest » éclate. Dès mars, les rumeurs se multiplient sur le rapport secret fait par Khrouchtchev devant le XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS). Khrouchtchev y avait étalé une partie des « crimes de Staline ». Deux mines se trouvent, dès lors, placées sous les pieds de Rakosi. Le rapprochement entre Khrouchtchev et Tito, en 1955, enlève toute validité aux procès qu’il a conduits en 1949 contre des membres prestigieux du Parti, tel Lazlo Rajk. Les « déviations titistes » lui avaient servi de chef d’accusation ! Ensuite, la reconnaissance des « crimes de Staline » renvoie à la répression menée par le PC hongrois depuis 1947-1948.
La revendication de la réhabilitation de Lazlo Rajk - lancée lors d’une réunion publique, le 27 juin 1956, par sa veuve, Julia Rajk - débouchera sur la première manifestation publique gigantesque d’opposition dans la Hongrie d’après-guerre : l’enterrement officiel de Rajk, le 6 octobre 1956. Depuis mars, et surtout depuis juin 1956, des intellectuels, des écrivains et des membres du parti animent un débat public au travers des réunions du Cercle Petöfi1. Le 27 juin, quelque 6 000 personnes participent à un débat du Cercle sur le thème de la presse. Des causeries sont données dans les usines. Un « second centre politique » s’affirme dans le pays, comme le dénonce la direction du parti unique. Le 28 juin 1956, à Poznan, en Pologne, éclate une révolte ouvrière, durement réprimée. Elle deviendra un signe de ralliement en Hongrie.
Mouvement indépendant
Matyas Rakosi cherche à utiliser la répression du soulèvement de Poznan pour lancer une vague de répression en Hongrie. Une liste de 400 « éléments opposants » est dressée. Mais la cote d’alerte est atteinte. Pour tenter d’éviter une crise ouverte, Souslov et Mikoyan, envoyés du PCUS, décident le remplacement de Rakosi par Ernö Gerö, son bras droit, et font monter un dirigeant qui reste en réserve, Janos Kadar. Ce lifting ne suffira pas.
Le 16 octobre, une organisation indépendante de masse des étudiants, la Ligue des associations étudiantes des universités et lycées hongrois (Mefesz), se crée. Apparaît donc, sur la scène publique, un mouvement de masse indépendant des structures du parti-État, avec son propre journal. Bill Lomax en souligne les implications : « Le mouvement d’opposition qui est passé [...] des écrivains aux organisateurs du Cercle Petöfi va tomber dans les mains des étudiants2. » La plateforme de la Mefesz contient des revendications clés : une nouvelle direction du parti, un gouvernement dirigé par Nagy, de nouvelles élections, une nouvelle politique économique, l’ajustement des normes de travail dans les usines et l’autonomie des organisations ouvrières, la révision des procès et l’amnistie, la liberté de la presse. Le multipartisme et le retrait des troupes soviétiques stationnées en Hongrie s’ajoutent à la liste, lors des assemblées organisées dans tout le pays. Le 22 octobre, les étudiants appellent à une grande manifestation pour le lendemain. Elle rallie tous les secteurs de la société, jusqu’aux soldats ! À 9 heures du soir, devant le Parlement, Nagy s’adresse à la foule. Il demande aux manifestants de rentrer chez eux et promet de tout faire... pour appliquer son programme de 1953 ! Nagy reste convaincu que tout doit être résolu dans le cadre du parti, tout en devant prendre acte, à chaque fois avec retard, de l’existence d’une impulsion populaire impétueuse.
La frustration des manifestants, après ce discours, est grande. Le mot d’ordre « Maintenant ou jamais » est largement repris. Des manifestants, avec l’aide de camions, déracinent la colossale statue de Staline... laissant une paire de bottes sur son socle. Les autres veulent entrer dans la Maison de la radio pour diffuser la plateforme des étudiants. Les forces de sécurité tirent sur la foule. L’affrontement militaire commence. Des soldats ont donné leurs armes et d’autres ont été réquisitionnées dans les casernes, sans trop de difficultés. La grève générale s’étend dans tout le pays.
Force insurrectionnelle
La direction du parti et de l’armée, incertaine du comportement des troupes hongroises, demande l’intervention des forces soviétiques. Alors qu’un « monde s’écroule », la direction du parti se réunit. Nagy cherche encore des solutions dans ce cadre. Ce n’est qu’à midi, le 24 octobre, qu’il annonce que la loi martiale ne sera pas appliquée tout de suite et qu’il réclame le dépôt des armes...
Mais le mouvement de masse acquiert sa propre dynamique. « Les combattants étaient littéralement prêts à combattre jusqu’à la mort. C’est probablement la principale raison pour laquelle la direction politique n’a pas pu imposer un compromis et n’a pas réussi, avec des réformes partielles, à restaurer l’ordre. L’autre raison décisive résidait dans le mouvement révolutionnaire d’en bas, dans l’auto-organisation du peuple à tous les niveaux3. » Du 24 au 28 octobre, l’armée soviétique ne peut imposer son ordre. Au début, des scènes de fraternisation ont lieu. Mais, le 25 octobre, devant le Parlement, une fusillade éclate faisant de nombreux morts. C’est le tournant. Durant quatre jours, les combats sont violents. Les troupes « insurgées » réunissent 15 000 personnes au maximum. L’insurrection s’étend dans tout le pays autour de revendications socio-économiques, démocratiques et d’indépendance nationale face aux Soviétiques. Le 28 octobre, devant l’ampleur de la résistance armée et civile, le retrait des troupes soviétiques, insuffisantes pour s’imposer rapidement, est décidé. Apparence trompeuse d’une victoire. Aujourd’hui, on sait que la décision était d’ordre tactique, prise en accord avec Kadar. Dès le 27 octobre, Nagy prend la tête d’un nouveau gouvernement, encore en déphasage avec le soulèvement de la société.
Du 28 octobre au 4 novembre, date de la seconde intervention soviétique, quatre éléments se détachent. D’abord, le 31 octobre, la centralisation des conseils ouvriers commence. Les revendications sont claires : les entreprises appartiennent aux travailleurs ; le conseil est l’organe de contrôle, démocratiquement élu ; le directeur est élu ; salaires, méthodes de travail, contrats avec l’étranger (URSS) doivent être soumis au conseil ; engagements et licenciements relèvent de sa compétence ; l’utilisation des profits doit être décidée par le conseil4. Ce programme traduit une vision de société peu conforme à l’idée d’un retour au régime d’avant-guerre. La jonction entre les conseils ouvriers et les comités révolutionnaires locaux se fait plus étroite.
Deuxièmement, le centre de gravité du pouvoir officiel passe clairement du parti au nouveau gouvernement de Nagy. Les négociations entre Nagy et les conseils, un peu sceptiques, avancent pour mettre fin à la grève et consolider la situation. Troisièmement, Janos Kadar met en place un nouveau parti, qualifié d’anti-stalinien, le Parti socialiste des travailleurs hongrois (MSZMP). Il doit servir de relais à l’instauration d’un nouveau pouvoir, une fois « l’ordre rétabli » par l’armée soviétique. Enfin, le gouvernement Nagy demande la reconnaissance d’une Hongrie neutre, revendication dont l’écho en Hongrie sera grand. La « communauté internationale » fait la sourde oreille.
Dès le 4 novembre, face à la deuxième intervention militaire soviétique, la population a recours à la grève générale, certainement la plus complète et unie connue jusqu’alors dans l’histoire. La résistance militaire, prenant appui avant tout sur la jeunesse des quartiers ouvriers, dure six jours. La Coordination des conseils devient le centre de résistance. Dès le 12 novembre, une structure officielle centralisée fonctionne comme contre-pouvoir, avec ses bulletins et ses tracts. Les revendications prioritaires sont les suivantes : retrait immédiat des troupes soviétiques, liberté de la presse, contrôle sur la police et l’armée pour empêcher l’infiltration des agents de l’AVH (police politique), amnistie pour les civils et les militaires ayant participé à l’insurrection.
Briser les conseils
La représentativité du Comité central des conseils du Grand-Budapest (KMT) est telle que Kadar, arrivé dans les fourgons de l’armée soviétique, doit négocier avec lui. Une rencontre a lieu, les 14 et 15 novembre. Parmi les thèmes discutés : l’extension d’un système de conseils à l’échelle nationale, le droit de grève et le retrait des troupes soviétiques. À la première revendication, Kadar a répondu que « rien de la sorte n’existait ailleurs et qu’une telle structure était superflue dans une démocratie populaire5 ».
Les délégués des conseils restent fermes sur leur position. La répression devient alors l’arme prioritaire de la bureaucratie. Le 27 novembre 1956, dans une circulaire, la direction du KMT indique l’enjeu central de l’heure : « Les entreprises sont dans nos mains, les mains des conseils de travailleurs. Le gouvernement le sait et veut, avant tout, en terminer avec cela6. » L’arrestation des leaders les plus représentatifs du KMT provoquera la grève générale des 11 et 12 décembre. La répression se durcit. Le 5 janvier 1957, ceux qui refusent le travail ou « provoquent des grèves » sont susceptibles de la peine de mort... Le flot de réfugiés atteindra quelque 200 000 personnes7.
Charles-André Udry
1. Poète et héros national de la lutte pour l’indépendance hongroise (1823-1849). 2. Bill Lomax, Hungary 1956, Allison & Busby, 1976, p. 46. 3. Direction de György Litván, The Hungarian Revolution of 1956. Reform, Revolt and Repression 1953-1963, Longman, 1996, p. 65. 4. Jean-Jacques Marie et Balazs Nagy, Pologne-Hongrie 1956, EDI, Paris, 1966, pp. 203-204. 5. György Litván, op. cit., p. 110. 6. György Litván, op. cit., p. 111. 7. L’intégralité de cet article est disponible sur la page Internet : .
Plusieures choses : la "vulgate" dit que seul un parti révolutionnaire peut gagner une révolution Mais certainement pas la déclancher ! Voir la commune de 71.... reste a savoir comment ça aurait pu se passer dans les conditions de la hongrie de 1956... Difficile de creer un parti révolutionnaire (ne serait ce que de parler de cette idée) dans un des pays du "glacis" Et que face a la terreur stalinienne, l'idée meme de parti révolutionnaire communiste était entaché d'un vice de forme dés le départ
D'autre part, bien entendu qu'il y avait aussi des forces réactionnaires dans cette situation, et qu'elles étaient actives ! C'est le cas en général dans toutes les situations de ce type... N'empéche que la gréve générale et le controle ouvrier, c'est pas trop réactionnaire comme démarche.... Et que c'est bien ça qui dominait dans la situation