par pouchtaxi » 09 Oct 2006, 07:56
Je viens de finir le livre d’Alain Krivine : « ça te passera avec l’âge ».
Le titre est évidemment sympathique. Il contient même des passages avec lesquels je suis totalement d’accord, par exemple en page 11 lorsqu’il exprime sa fidélité aux convictions révolutionnaires ou bien lorsqu’il affirme, page 395, « ..la nécessité de perspectives révolutionnaires », ou encore « Un gouvernement au service du monde du travail ne pourra exister que sur la base de grandes mobilisations ».
Il y a aussi des choses curieuses.
Dans cette même page 395 on lit :
« Donner le pouvoir à la population et aux travailleurs rend inéluctable l’affrontement avec la minorité des privilégiés.» Et moi qui croyais que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Page 77. Artza l’a déjà signalé. « Trotskiste est, en fait, un qualificatif que je n’ai jamais beaucoup apprécié » . Mince alors !
Et d’autres…
Au début du livre il raconte brièvement son enfance au sein d’une famille de gauche et d’un milieu social influencé par la SFIO et le PCF. Pour quelqu’un de sa génération la référence à la Résistance est une évidence. Il adhère à l’organisation de jeunesse du « parti des 70 000 fusillés » en 1955. D’autres trotskystes, dans des livres récents : Robert Barcia, « La véritable histoire de Lutte ouvrière », Jean-René Chauvin, « Un trotskiste dans l’enfer nazi » et Michel Lequenne dans « Le trotskysme. Une histoire sans fard » ont rappelé, et c’est tout à leur honneur, qu’un point de vue internationaliste sur le nécessaire combat contre le nazisme a été défendu et mis en pratique par certains trotskystes qui refusaient précisément de devenir des supplétifs de leur propre bourgeoisie dans une guerre inter-impérialiste. Je pense qu’il aurait été utile qu’AK rappelle les thèses internationalistes des militants trotskystes de l’époque. Je n’ignore pas qu’il précise au début de son livre qu’il ne s’agit pas pour lui d’écrire une histoire du trotskysme mais de décrire un parcours militant. Certes, il n’était qu’un enfant pendant la guerre et il ne s’agit donc pas de son expérience militante mais l’occasion était bonne de rappeler, notamment aux nombreux (il paraît !) jeunes de la Ligue et d’ailleurs, que les travailleurs doivent mener leur combat de classe avec leurs propres armes et au service de leurs propres objectifs. Il est dommage qu’il ne l’ait pas fait. Cela aurait, par exemple apporté un contrepoint intéressant au film « Indigènes » dans lequel tout point de vue internationaliste de classe est absent.
Page 85. Version bien édulcorée des « controverses » sur l’entrisme sui generis (il n’emploie pas la locution latine, ce que je ne critique pas). Je comprends qu’il ne souhaite pas polémiquer sur le sujet. Toutefois ayant lui-même rejoint le PCI en pleine période entriste à la Pablo et bien qu’il n’ait évidemment pas participé aux débats de 53, il me semble qu’il n’aurait pas été inutile de tirer un bilan de cette tactique. Elle a tout de même provoqué l’éclatement de la Quatrième et forgée des haines tenaces. En tout cas, employer le terme « entrisme » exige de celui qui l’emploie de distinguer le sens qu’il avait pour Trotsky en 1933/34 et celui qu’il avait pour Pablo en 52/53.
Dans cette même page il affirme, à propos de l’URSS après la chute du mur de Berlin: « Sa fin ne pouvait que nous réjouir. Et, sans la moindre hésitation, nous nous sommes effectivement réjouis. » (Le « nous » désigne le courant trotskyste)
Et bien en ce qui me concerne, mais je ne suis qu’un bourrin discipliné, la désagrégation du régime social issu de la révolution d’Octobre ne me réjouis pas car elle n’exprime pas l’apparition de nouveaux gisements de combattivité au sein de la classe ouvrière mais bien une défaite du prolétariat mondial face à l’impérialisme et la domination bourgeoise.
Pages 194, 197 et 338. AK opère un rapprochement que je trouve discutable entre les 5% d’Arlette aux présidentielles de 1995 et les luttes sociales de décembre 1995. C’est accorder un poids bien grand à un résultat électoral qui même s’il multipliait par plus de deux les scores habituels de l’extrême-gauche, reste modeste et ne peut certainement pas constituer un facteur causal pour l’hiver 1995. Il y a là, au minimum, une corrélation hasardeuse. Mais j’oubliais, où ai-je la tête, que les nez des militants de la Ligue sont particulièrement fins et décèlent avec brio d’innombrables frémissements, de formidables mobilisations et d’historiques victoires.
Page 215. AK confond le groupe Barta de 1940 et Voix ouvrière en 1956. Il ne donne d’ailleurs que partiellement les raisons de Barta au début de la seconde guerre mondiale. C’est d’ailleurs cohérent avec sa décision de ne pas donner les positions internationalistes de certains militants ouvriers en matière de combat contre le nazisme.
Page 269. Au sujet de la Quatrième internationale « Aujourd’hui, son rôle est d’aider à la construction d’un nouveau regroupement, une….Ve internationale, adaptée par son programme et son fonctionnement aux tâches du XXIe siècle. » Bigre !
Page 386. A propos du PCF :« ..l’incapacité des dirigeants communistes à élaborer un réformisme conséquent ». Que le niveau actuel du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat ne permette plus au réformisme d’exister car le patronat se sent suffisamment fort pour réduire à la portion congrue (et même nulle) les miettes que les diverses bureaucraties prétendent pouvoir négocier est un fait. Cela dit, les organisations ex-staliniennes payent purement et simplement le prix de leurs trahisons par la réduction en peau de chagrin de leurs effectifs. On ne démoralise pas à longueur de décennies des travailleurs dont on prétend défendre les intérêts sans qu’un jour la facture historique n’apparaisse sur la table.
Page 390. Sans doute un accès de lambertisme au sujet du « projet socialiste » pour les présidentielles 2007. « A aucun moment n’est évoqué la dénonciation des traités européens, véritable carcan empêchant la mise en œuvre d’une politique alternative. »
Nul doute que si ce carcan n’existait pas, Laurence Parisot de concert avec ses collègues patrons, promptement secondé par le gouvernement bourgeois français, n’auraient de cesse de promouvoir des rapports sociaux favorables aux intérêts des salariés. Je suis resté un grand naïf, j’aime bien les films où les méchants deviennent gentils. C’est marrant d’ailleurs, quand j’y pense, il me semble que ces films sont rares.
Quoiqu’il en soit je salue fraternellement AK militant révolutionnaire qui n’a pas renoncé contrairement à tant d’autres.