Maintenant, le Mexique ?

Dans le monde...

Message par gipsy » 04 Sep 2006, 14:02

a écrit :Mexique
La « Commune de Oaxaca »

par Luis Hernández Navarro
3 août 2006

Il y a des luttes sociales qui préfigurent des conflits de plus grande envergure. Elles sont un signal d’alarme qui donne l’alerte sur de graves problèmes politiques sans solution dans un pays. Les grèves de Cananea et de Río Blanco constituent un des antécédents reconnus de la Révolution mexicaine de 1910-1917 [1]. La révolte de 1905 en Russie montra le chemin qui, 12 ans plus tard, fut parcouru par les Bolchéviques pendant la Révolution d’Octobre.

La mobilisation enseignante-populaire qui, depuis le 22 mai, secoue Oaxaca est une expression de ce genre de protestations. Elle a mis en lumière l’épuisement d’un modèle de gouvernement, la crise de relation existante entre la classe politique et la société, et la voie que le mécontentement populaire peut suivre dans un futur proche dans tout le pays.

La protestation a commencé il y a un peu plus de 60 jours comme expression de la lutte des enseignants de cet Etat pour l’obtention d’une revendication : l’augmentation de salaire par la voie de l’ajustement sur le coût de la vie. Il n’y avait rien de nouveau par rapport à des luttes similaires ayant eu lieu les années précédentes. Mais la tentative du gouvernement de l’Etat de Oaxaca d’en finir avec le mouvement en utilisant la répression sauvage le 14 juin dernier a radicalisé les enseignants qui, dès lors, ont exigé la destitution du gouverneur de l’Etat.

La revendication a trouvé rapidement un écho dans une très large partie de la société oaxaqueña qui s’y est ralliée. Offensés tant par la fraude électorale par laquelle Ulises Ruiz [2] est devenu gouverneur que par la violence gouvernementale contre une multitude d’organisations communautaires et régionales, des centaines de milliers de oaxaqueños ont « pris » la rue et plus de 30 mairies. Près de 350 organisations, communautés indigènes, syndicats et associations civiles ont formé l’Assemblée populaire du peuple de Oaxaca (APPO).

Les protestations ont coïncidé avec les élections fédérales [le 2 juillet 2006]. Après avoir laissé entendre qu’ils allaient boycotter ces dernières, les insoumis décidèrent de soutenir le vote de sanction contre le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et le Parti d’Action Nationale (PAN). Le 2 juillet ils ont administré à ces deux-ci une sévère raclée. Le tricolore [le PRI] fut balayé. La coalition Pour le bien de Tous obtint 9 des 11 députés et les deux sièges de sénateurs en jeu. Et si le soleil aztèque, le Parti de la Révolution démocratique (PRD), a perdu deux sièges ce fut à cause de ses divisions internes et de la faiblesse de ses candidats. Bien que le gouverneur ait offert de donner à Roberto Madrazo [3] un million de voix, il a dû se contenter d’un peu plus de 350 mille, c’est-à-dire 180 mille votes de moins que ceux gagnés par López Obrador [4].

Depuis lors, une très large part de la société ne reconnaît pas Ulises Ruiz comme gouverneur de l’Etat. Depuis sa dernière réunion le 25 mai dernier avec le mandataire, la « Commission négociatrice élargie » [organisme du syndicat des enseignants] ne l’a pas revu. Elle ne négocie pas ses revendications ni avec lui ni avec ses représentants. Elle n’accepte ni son argent ni ses programmes. Elle se dirige seule. Le 11 juin, l’APPO a entamé, avec succès, une campagne de désobéissance civile et pacifique par laquelle elle cherche à rendre manifeste l’ingouvernabilité et l’absence d’autorité dans l’Etat.

Le mouvement a assumé le contrôle politique de la ville de Oaxaca. Si elle considère que c’est pertinent, elle bloque l’entrée des hôtels de luxe du centre, l’aéroport local, elle empêche la circulation sur les avenues, elle empêche l’entrée dans les édifices publics et à l’Assemblée de l’Etat. Sa force est telle que le gouvernement de l’Etat a dû annuler la fête officielle de la Guelaguetza [5]. Cependant, enseignants et citoyens ont organisé une célébration populaire et alternative.

La majorité des professeurs ont cessé pendant deux semaines d’occuper la capitale oaxaqueña pour terminer le cycle scolaire dans leurs communautés. Les cours finis ils sont revenus en ville pour continuer leur plan d’action. Ils ont « pris » la ville de Oaxaca.

Pour essayer de pallier la crise, Ulises Ruiz a changé plusieurs fonctionnaires de son cabinet, dont le secrétaire de Gouvernement, et les a remplacés par des membres des groupes du PRI qu’il avait supplanter du gouvernement de l’Etat. La manœuvre n’a pas eu plus d’effet. Il n’a pas seulement des problèmes avec la classe politique de cet Etat, mais aussi avec la société dans son ensemble.

Dans le même sens, dans une action désespérée pour conserver le pouvoir, il a trahi son chef Roberto Madrazo, en proposant lors d’une réunion des gouverneurs du PRI de reconnaître Felipe Calderón [6] comme vainqueur de la bataille électorale. Depuis, il a discuté à trois occasions avec le candidat du PAN à la présidence pour lui offrir son soutien et chercher son aide. Le gouvernement fédéral, à court d’alliés pour faire face aux protestations contre la fraude électorale [de l’élection présidentielle du 2 juillet 2006], a répondu en soutenant le gouverneur destitué.

A mesure que le temps passe, la situation s’aggrave. Le 22 juillet un groupe de 20 inconnus a tiré avec des armes à feu de grande puissance contre les installations de Radio Universidad. La radio universitaire, conduite par le mouvement, s’est transformée en un véritable instrument d’information et de mobilisation sociale. Le même jour, plusieurs inconnus ont lancé des cocktails Molotov sur la maison de Enrique Rueda Pacheco, secrétaire général de la section 22 du Syndicat national des travailleurs de l’éducation. Quelques jours plus tard, des cocktails Molotov ont été lancés contre le domicile d’Alejandro Cruz, dirigeant des Organisations indiennes pour les droits humains.

A Oaxaca, la désobéissance civile est très près de devenir un soulèvement populaire qui, loin de s’épuiser, grandit et se radicalise jour après jour. Le mouvement a cessé d’être une lutte traditionnelle de protestation et a commencé à se transformer en un embryon de gouvernement alternatif. Les institutions gouvernementales locales sont toujours de plus en plus des coquilles vides sans autorité, tandis que les assemblées populaires deviennent des instances dont émane un nouveau mandat politique.

Au train où vont les choses, l’exemple de la commune naissante de Oaxaca est loin de se circonscrire à sa localité. Au moment le plus inattendu elle pourrait préfigurer ce qui peut se passer à travers tout le pays si on ne nettoie pas les « cochonneries » commises pendant les élections du 2 juillet.
Notes:

[1] [NDLR] Au début du 20e siècle, deux grèves d’une grande importance marquèrent l’histoire de l’origine du mouvement ouvrier mexicain. Durant la dictature de Porfirio Díaz, il était interdit aux travailleurs de s’organiser, de manifester et de se rebeller pour défendre leurs droits. Malgré cela, en juin 1906, dans l’état de Sonora, des travailleurs des mines de Cananea lancèrent une grève pour des salaires plus élevés et pour être traités plus équitablement par rapport aux employés états-uniens. Plusieurs travailleurs trouvèrent la mort ou furent blessés. L’année suivante, en janvier 1907, une autre grève éclata dans la région de Orizaba, dans l’état de Veracruz. Des travailleurs du secteur du textile de Rio Blanco se mirent en grève à cause de leurs mauvaises conditions de travail. Il y eut également de nombreux morts et blessés.

[2] [NDLR] Sénateur, gouverneur de l’Etat de Oaxaca, membre du Parti Révolutionnaire Institutionnel.

[3] [NDLR] Candidat du PRI à l’élection présidentielle.

[4] [NDLR] Candidat du PRD et plus largement de la Coalition de centre gauche Pour le bien de Tous à l’élection présidentielle.

[5] [NDLR] Célébration rituelle zapotèque.

[6] [NDLR] Candidat du PAN à l’élection présidentielle.

En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous:

Source : La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), 25 juillet 2006.

Traduction : Cathie Duval, pour le RISAL (http://www.risal.collectis.net).

gipsy
 
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Message par Puig Antich » 04 Sep 2006, 14:30

Bravo aux masses mexicaines. Non au front populaire. Gouvernement ouvrier et paysan base sur les 'assemblees populaires', boycott de l'etat bourgeois !
Puig Antich
 
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Message par Combat » 04 Sep 2006, 21:28

Il y aura le jeudi a New York une reunion de soutien au mouvement de Oaxaca appelant a depasser et briser l'emprise encore reelle des illusions front populistes.
Combat
 
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Message par Combat » 04 Sep 2006, 21:57

Pour plus de suivi sur une base large, voila les sites des organisations trotskystes du Mexique(trouvees sur Broadleft). Beaucoup d'entre elles sont au sein du PRD ou ont developpe un opportunisme avance sur la question du front populaire et de l'etape democratique de la revolution. S'il y a des specialistes en espanol, ils pourraient nous ecairer un peu plus:

http://www.geocities.com/unidadsocialista/

http://www.convergenciasocialista.org.mx/

http://www.geocities.com/ligamex/

http://www.unios.org.mx/

http://uclat.cjb.net/

http://www.movimientoalsocialismo.com.mx/

http://mx.geocities.com/jrevolucion/
http://www.militante.org/


La Sparstakist League et le Groupe Internationaliste ont aussi des groupes au Mexique. Ce dernier a des militants sur place a Oaxaca. Il y a un article sur la question en espanol: http://internationalist.org/mexelexsangre0608.html


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Message par gipsy » 07 Sep 2006, 19:45

a écrit :Dans le monde  Lutte Ouvrière n°1988 du 7 septembre 2006
Mexique: La population de Oaxaca en révolte

Oaxaca, capitale de l’État du même nom, est une ville du Mexique, à 550 kilomètres au sud de la capitale et qui compte plus de 250000 habitants. C’est aussi, avec le Guerrero et le Chiapas, l’un des trois États les plus pauvres du Mexique. Depuis trois mois la ville de Oaxaca est littéralement occupée par la population.

Des milliers de manifestants bloquent la ville, occupant plusieurs stations de radio, défendant avec bâtons et machettes leurs «plantons» contre les «convois de la mort» (des policiers en civil «encagoulés» aux ordres du gouverneur) qui ont déjà fait plusieurs victimes, à l’occasion d’attaques armées.

À l’origine de cette situation, il y a la grève massive des 70000 enseignants de cet État, démarrée le 22 mai dernier, pour réclamer l’augmentation de leurs salaires et aussi de meilleures conditions matérielles pour les élèves: goûter, habits, et des chaussures pour tous.

Le 14 juin, au petit matin, la police de l’État est intervenue de manière extrêmement violente. Les campements mis en place par les grévistes au centre de la ville ont été ravagés et brûlés. Un hélicoptère «civil» lançait des grenades lacrymogènes sur les manifestants. Le gouvernement de l’État affirme qu’il n’y a pas eu de morts. Mais les dirigeants enseignants parlent de plusieurs tués en exhibant les douilles des balles tirées par les policiers.

Dans la matinée, de nombreux habitants de la ville sont venus sur la place et se sont alliés aux enseignants. Ensemble, équipés de barres, de pierres, ils ont repoussé les policiers et ont réinvesti la place. Il n’y a plus eu pour l’instant d’autres tentatives officielles de la police. La presse d’opposition dit qu’à partir du mois d’août sont apparus les «convois de la mort», formés de policiers en civil ou de tueurs, qui auraient assassiné des militants.

La revendication qui fait l’unanimité est la démission d’Ulyses Ruiz, le gouverneur de l’État qui avait donné l’ordre d’évacuation de la place. Après le 14 juin, les manifestations pour réclamer cette démission sont devenues de plus en plus importantes. De son côté, Amnesty International dénonce: «Depuis le 10 août, deux personnes ont été tuées et de nombreuses autres ont été blessées. Au moins sept personnes sont actuellement détenues et sept auraient été torturées ou auraient subi de mauvais traitements. Selon les informations reçues par Amnesty International, de nombreux éléments laissent à penser que des atteintes aux droits humains ont été commises par des milices armées opérant dans l’État d’Oaxaca en lien avec les forces de sécurité de cet État. (...) Le 10 août, Ramiro Aragón Pérez, biologiste, a été interpellé avec deux autres militants et frappé par des individus non identifiés se déplaçant à bord d’un véhicule sans plaque d’immatriculation. Les trois hommes auraient été ensuite emmenés dans un lieu secret où ils ont été torturés avant d’être remis au bureau du procureur général d’Oaxaca. Ramiro est toujours en détention et risque à tout moment d’être torturé.»

Pour la rentrée prévue le 21 août, se posait le problème de la reconduction totale ou tournante de la grève des enseignants. À une très large majorité, les différentes assemblées d’enseignants décidaient de la poursuite totale de la grève. Ce lundi 21 août, des petits groupes de quelques dizaines de personnes s’emparaient des stations de radio-télé de la ville et établissaient des barricades sur tous les accès de la vieille ville.

Amnesty International relevait alors de nouveaux assassinats de civils: «Le 22 août, Lorenzo San Pablo, l’un des piquets de grève d’une station radio, a été atteint d’une balle dans le dos tirée par des individus non identifiés qui accompagnaient un convoi de la police, selon des témoins. Il est mort quelques heures plus tard» (....). «Les milices illégales d’Oaxaca aident au «sale travail» des forces de sécurité. Une enquête doit être ouverte sur ces pratiques, de toute urgence, il faut désarmer les milices et les dissoudre et poursuivre en justice les auteurs présumés d’atteintes aux droits humains», a déclaré Javier Zuñiga, directeur du programme Amériques d’Amnesty International».

La population de Oaxaca est donc confrontée à cette situation. Jusqu’à présent, ces attaques sauvages n’ont pas entamé la détermination des grévistes. Mais l’issue du mouvement est aussi conditionnée par les problèmes qui se posent à l’échelle de toute la population, avec la contestation de l’élection présidentielle.

Jean-Claude SARAN
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Message par Combat » 10 Sep 2006, 03:20

Une autre photo assez interessante qui montre les limites du mouvement("touristes partez") et aussi son developpement("Oaxaca anticapitaliste").


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Combat
 
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Message par Combat » 10 Sep 2006, 05:15

Juste pour savoir ou se trouve Oaxaca.


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Message par branruz » 10 Sep 2006, 11:42

le manque de parti révolutionnaire se fait sentir alors qu'à la fin des années 80 le PRT était une des plus grosses sections du SU
est-ce qu'un membre du forum a des élèments sur le comment et le pourquoi de son éclatement?
branruz
 
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Message par Puig Antich » 10 Sep 2006, 12:19

Une connaissance etait la bas au moment des evenements. Je vous enverrais des photos. Il existe un film egalement, produit par le "indymedia" local.

Il semblerait qu'il y ait des "prises d'otage" de touristes, c'est effectivement une limite. Autre limite : cette "assemblee populaire" est une structure de front populaire de tous les opposants au gouverneur, intellectuels, proletaires, paysans, mais aussi certains petits commercants membres du PAN de Vicente Fox. Si ils reussissent a virer le gouverneur, cela volera en eclat et le manque d'un mouvement ouvrier revolutionnaire et independant se fera sentir. Enfin, autre limite selon ce que j'ai compris de la discussion que j'ai eu : le localisme et le decoupage federal du mexique pese lourd, ainsi que les traditions "guerilleristes" du sud qui ne se fondent pas vraiment dans un mouvement ouvrier a l'echelle nationale.

Un slogan du mouvement : zapata vive, la lucha sigue =D>

Bon, jy connais pas gd chose au mexique : des autres eclairages ?
Puig Antich
 
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Message par Puig Antich » 10 Sep 2006, 13:49

Autre limite du mouvement : les travailleurs du pétrole, qui se trouvent au nord de oaxaca, dans la zone frontaliere d'avec l'etat qui se trouve juste au nord, ne sont pas entres veritablement dans le mouvement ; malgre le blocage des convois sur les routes par les participants au mouvement.

Outre ces travailleurs là, il n'existe pas d'unites de production ou les travailleurs sont veritablement concentres. La zone vit du tourisme, de la peche, de l'artisanat. L'embargo sur les touristes et le blocus ont d'ailleurs été levé a un moment pour "faire tourner la machine".

Malgre tout cela, la vacance du pouvoir et la tentative d'y repondre, malgre le manque d'independance de classe, montrent un processus profond de contestation de l'état bourgeois.
Puig Antich
 
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