je suis rentré de vacances,
et d'une semaine de marche avec les objecteurs de croissance
dans le nord pas-de-calais,
ma région d'origine,
une région de prolos comme vous le savez.
je vois que le sujet a fait débat,
je n'ai pas tout lu,
mais j'aimerais me rapprocher de vous,
parce que je pense que nous avons bq en commun.
j'ai parlé de ce sujet sur votre site à des potes décroissants qui me disent :
"laisse tomber, LO ils sont super sectaires, tu perds ton temps à discuter avec eux..."
et comme nous-mêmes, on se fait traiter de sectaires (par la presse marchande), ça me motive.
je n'ai pas tout lu vers la fin,
mais je vois que certains ont compris,
et que d'autres vasouillent encore un peu.
l'histoire du pastis et du camping, c'est effectivement risible.
il n'y a pas de mépris de classe là-dedans :
c'est une façon de montrer que la décroissance questionne la pensée unique.
j'aurais pu prendre un safari photo dans la savane africaine,
ou un stage de feng chui pour bobos !
le pastis, d'où vient-il ?
d'un industriel.
est-ce que c'est donné ?
pas vraiment. je trouve ça excessivement cher pour ce que c'est.
je bois des pastis en terasse,
je passe des vacances en camping...
mais mon pastis, c'est le mien,
c'est moi qui ai travaillé pour le faire,
avec mes propres outils de production,
et il me coute 4 euros le litre !
si j'étends mon exemple du pastis à tout ce que je peux produire par moi-même
(fruits et légumes, produits laitiers, pain, meubles, vêtements, médicaments...),
et que tous les consommateurs en font de même (c'est utopique je vous rassure),
c'est toute l'économie et la conception du travail
qui se retrouve remise en cause.
j'aimerais comme vous EN FINIR AVEC LE CAPITALISME.
j'aimerais tellement que la Commune de Paris ne se soit pas soldée par 30000 morts et 30000 déportés.
j'aimerais tellement que le communisme ne se soit pas planté en URSS, en Afrique, et que le seul exemple à peu près potable reste Cuba, avec une liberté restreinte.
nous attendons le communisme,
mais il ne vient pas.
nous attendons le retour du plein emploi,
ou "la reprise de l'emploi",
mais ça ne vient pas.
alors ?
allons-nous rester encore 30 ans à avaler des couleuvres ?
notre système de santé lutte contre le cancer,
mais la société industrielle et marchande en fabrique chaque jour,
par ses solvants, ses peintures, ses aérosols...
la croissance crée des emplois, mais elle en détruit autant.
si je ne peux pas empêcher la création d'emplois indignes, si je ne peux pas empêcher l'existence de multinationales qui licencient quand ça va mal, et qui licencient quand ça va bien, je peux renoncer à consentir au système.
je ne marche plus dans toutes ses combines :
- je ne marche plus avec la pub,
- je ne marche plus aux achats de fêtes,
- je n'ai pas besoin d'une CB.
pour celui qui me questionnait sur la CB : elle m'était facturée 6 euros par mois. c'est toujours ça de gagné. et puis c'est surtout symbolique : avec une CB, j'ai l'illusion d'être "quelqu'un" : un riche, quelqu'un qui dépense avec aisance.
en refusant la CB, je refuse le matraquage publicitaire des banquiers, je refuse la dépense facile, les crédits à 1 ou 2 mois...
c'est un acte de résistance symbolique.
alors que faire ?
la réponse, c'est que nous sommes tous des capitalistes. tant que nous consentons au système, rien ne peut changer. l'idée de la décroissance, de la simplicité volontaire (qui n'est pas "pauvreté volontaire" ou misère), c'est de tuer le capitaliste EN SOI.
j'ai lu cet été un bouquin d'Alain Accardo qui va dans le sens de la décroissance : "Le petit-bourgeois gentilhomme".
il y a un "inconscient social" qui fait que même certains anti-capitalistes sont incapables de lutter contre le capitalisme, parce qu'ils en sont imprégnés jusqu'au trognon.
la décroissance, c'est une socio-analyse. ça prend du temps, ça demande de réfléchir, de remettre en cause tout ce qui semblait évident jusque là :
- le tourisme de masse,
- la "route des vacances",
- les auto-routes,
- les supermarchés "toujours moins chers",
- la télévision opium du peuple qui fait applaudir au garde à vous des rangées de moutons bien sages, qui cachent leur ennui derrière des sourires polis...
je sais qu'il ne faut pas traiter les humains d'animaux, car c'est le début de la barbarie. mais dès fois, je ne peux pas faire autrement.
quand on étudie un peu l'expérience de la vie dans les camps de concentration, l'humanité donne envie de vomir : qui fustiger ? les bourreaux, ou ceux qui pensent qu'en acceptant de ramper, ils auront peut-être encore un jour de vie supplémentaire ?
le projet des camps d'extermination nazis n'est pas étranger au capitalisme. il ne tombe pas de nulle part, comme les journalistes des commémorations voudraient nous le faire croire. il découle directement du capitalisme.
et la barbarie est de retour aujourd'hui, sous une forme tellement plus sophistiquée, tellement plus perverse et invisible : une dictature souriante, le triomphe du marketing, de la pub, de la machine à soutirer les consentements, dans la plus grande indifférence générale.
le mensonge collectif comme standard de la pensée.
on fait semblant de s'intéresser à la révolte des banlieues, mais en fait, on s'en fout pas mal, une fois que la presse n'en parle plus.
et moi qui pensait passer encore des dizaines d'années bien tranquille, lové dans mon petit confort bourgeois, j'ai dû ouvrir les yeux un jour, et rejoindre le maquis... symbolique.
Pour revenir à l'article du début :
a écrit :Marches pour la «décroissance»: Prêcher l’abstinence à ceux qui n’ont
rien
Je n'ai pas répondu à cette première phrase : d'où sortent ces mots ?
Déjà ça démarre mal.
Prêcher : nous ne sommes pas des curés. Parmi nous, il y a beaucoup de libertaires,
qui ont en horreur tout ce qui ressemble à un curé, un sermont, un pape, la banque
Ambrosio, et les coincés du cul.
L'abstinence : abstinence sexuelle ? Non. Abstinence gastronomique ? Non plus.
Abstinence suppose du "tout ou rien". Abstinence, c'est se priver TOTALEMENT. Hors il
n'est pas question de se priver totalement de tout. Je n'ai pas de voiture, mais je
prends de temps en temps le taxi.
Au lieu de prendre ma voiture pour aller chercher mon pain à 500 mètres, je prends
mon vélo.
La décroissance, c'est aussi le désir de recollectiviser les moyens : au lieu de
partir "sur la route des vacances", prenons le train ou le car. Etes-vous contre la
collectivisation ?
Au lieu d'avoir chacun un barbecue, une piscine, une télé, un home cinéma, une
bagnole, un téléphone portable, partageons !
Au lieu de mettre à la benne une machine à laver qui marche encore, mais qui n'est pas à "programme automatique", donnons-là.
"Ceux qui n'ont rien" : vous en connaissez beaucoup qui n'ont rien en France ? Comme
les mots "prêcher" et "abstinence", cette phrase est excessive.
Combien de gens au Rmi se serrent la ceinture pour faire comme les autres ?
Mimétisme imbécile, entretenu par la publicité criminelle, la voix de son maître :
le patron. Ceux-là souffrent non pas de manquer de biens, mais d'être relégués au
rang de parias. Ils souffrent d'inactivité, de dévalorisation de soi, du mépris
exprimé par ceux qui travaillent et qui finalement ne peuvent pas avouer une petite
part d'envie et de jalousie.
Réactionnaire. Il n'est pas question de revenir au passé. La consommation a apporté
du confort, elle a contribué à la libération de la femme, la médecine nous a libéré
de certaines maladies mortelles...
Mais que ferons-nous dans quelques décennies, lorsque le pétrole atteindra des
sommes astronomiques ?
Est-ce que notre façon de consommer aujourd'hui n'est pas un peu excessive ? Tout
est occasion à consommer, y compris les fêtes. Nous consommons des tonnes
d'emballages inutiles, des produits inutiles, des gadgets technologiques inutiles
fabriqués en Chine ou ailleurs, forme d'exploitation néo-coloniale insupportable.
Mépris de classe : non, refus des standards.
J'aime les prolos, mais je n'aime pas ceux qui leur bourre le crâne de standards.
J'ai de la compassion pour les pauvres gusses qui s'exhibent dans l'île de la tentation, et j'ai une saine colère contre ceux qui organisent une telle mise en scène, pour du fric.
La solidarité est une arme.
bien à vous,
un anonyme du XXIe siècle.