Les lycéens, fer de lance de la mobilisation antiguerre en France
LE MONDE | 29.03.03 | 13h30
Comme après le 21 avril 2002, les jeunes des établissements scolaires sont plus nombreux que les étudiants pour défiler contre la guerre en Irak. Les jeunes issus de l'immigration, qui font le lien avec la question palestinienne, sont massivement représentés dans cette nouvelle génération.
C'est la grande nouveauté des protestations antiguerre. Depuis trois semaines, la participation croissante des lycéens et parfois même de collégiens ne cesse d'étonner. Et ce d'autant – c'est une spécificité française – que la mobilisation des élèves du secondaire dépasse en ampleur celle du monde étudiant. "C'est vrai, dans les manifs, les lycéens sont plus présents. C'était déjà le cas après le 21 avril. Cela ne veut pas dire que dans les facs les étudiants ne soient pas sensibles à cette question de la guerre en Irak, mais ils sont plus résignés. Peut-être que quand on vieillit, il y a un fatalisme qui s'installe", constate Marie-Amélie Keller du syndicat étudiant UNEF.
A moins que l'on n'assiste à une sorte de saut de génération dans l'engagement depuis le 21 avril. De manière lente, parfois contradictoire, confuse ou tortueuse, une certaine repolitisation semble s'opérer dans une partie de la jeunesse lycéenne. Pour celle-ci, les mobilisations antiguerre forment une sorte de prolongement naturel de l'entre-deux-tours de la présidentielle. Depuis la journée du 5 mars, date de la première mobilisation un peu significative de la jeunesse scolaire, on croise ainsi de façon répétée, dans les défilés, des lycéens qui racontent être descendus dans la rue à deux occasions : celle de l'entre-deux-tours de la présidentielle et celle, actuelle, de la guerre contre l'Irak.
A la suite des premières frappes américaines, jeudi 20 mars, les lycéens étaient plusieurs milliers à Paris, dans la rue, dès l'après-midi. Ils sont ressortis deux jours après, le samedi, ont rempilé le mardi 25 mars et une petite fraction d'entre eux était encore dehors le 27 mars.
"ENTRE LES DEUX TOURS"
Pour les jeunes du Réseau lycéen émancipé, une coordination née au lendemain du premier tour de la présidentielle et qui rassemble plusieurs établissements en région parisienne, la connexion avec le 21 avril est évidente."Le réseau est né entre les deux tours. Avec une bande de copains de Paul-Valéry, de Maurice-Ravel, de Voltaire ou d'Hélène-Boucher, durant toute cette semaine-là, on s'est retrouvés à la Bastille pour manifester", témoigne Alex, 17 ans, en première L au Lycée autogéré de Paris. A la suite de quoi, les plus déterminés ont participé aux défilés contre les lois Sarkozy, mais c'est sur la guerre que le réseau a refait le plein de ses forces. "Il y a des gens qui étaient là sur Le Pen, qui ne venaient plus et qui sont revenus sur l'Irak", constate Alex. Ce "réseau", "sans chef ni responsable", qui, dès début février, se signalait en occupant le bureau de recrutement de l'armée de terre à la caserne de Reuilly à Paris, a vu ses membres être de tous les défilés. Refusant d'être un syndicat ou un parti, il fonctionne à l'image des groupes affinitaires du mouvement altermondialisation. Et s'est inspiré de ses recettes : il dispose d'un site Internet avec un forum permanent d'information, mobilise à grand renfort de téléphones portables et de SMS – dans les limites des forfaits compatibles avec l'argent de poche ou payés par les parents – et prise les actions symboliques de protestation.
MIXAGE DE POPULATIONS
Et si, au départ, ce réseau regroupait pour l'essentiel des lycéens de Paris intra-muros, il s'est élargi, à la faveur du mouvement antiguerre, à plusieurs lycées de banlieue. Car à la différence de mouvements catégoriels comme celui d'octobre 1998, où la cohabitation entre jeunesse lycéenne de centre-ville et jeunesse lycéenne de banlieue s'était révélée délicate, celle-ci se passe pour le moment sans aucun problème.
Prolongement du 21 avril, mixage des populations de centre-ville et de banlieue, présence des lycées professionnels aux côtés de l'enseignement général : ces caractéristiques sont également très visibles dans les cortèges des Jeunesses communistes, dont l'importance est l'une des grandes surprises de ce mouvement antiguerre. Julien, 18 ans, lycéen à Nanterre (Hauts-de-Seine), est entré aux JC "il y a un an, avec le 21 avril". Et distribue, régulièrement, ses tracts dans les cortèges antiguerre au côté de Bérénice, élève en première littéraire au très huppé lycée Florence-Schmitt à Saint-Cloud.
L'autre grande spécificité est désormais la présence massive de la jeunesse issue de l'immigration, depuis le déclenchement des hostilités. Cette dernière se sent directement interpellée par la guerre en Irak. A l'interrogation : "Pour quelle autre cause descendrait-elle dans la rue ?", la question palestinienne revient spontanément. Qu'il s'agisse de Naïma, lycéenne à Créteil (Val-de-marne), ou de Loumia, élève au lycée Fénelon dans le 6e arrondissement de Paris, la réponse est la même. Pour d'autres, les cortèges lycéens peuvent prendre l'allure de révélation, sur tous les plans. C'est ainsi que Mariame et Aminata, toutes deux âgées de 16 ans et élèves au lycée Marcel-Cachin de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), ont découvert pour la première fois, mardi 25 mars, à l'occasion d'un défilé de protestation et la place de la Concorde et les manifestations.
Au regard de tout cela, les mobilisations étudiantes, elles, prennent une forme plus classique. Et font davantage la part belle à de jeunes militants déja expérimentés. Agir contre la guerre (ACG), qui fédère la quasi-totalité des collectifs antiguerre des facs et qui a mis en place une coordination Ile-de-France se réunissant chaque mardi soir à Paris, voit ainsi cohabiter de jeunes activistes des JCR (Jeunesses communistes révolutionnaires), de l'Etincelle (ex-Socialisme par en bas ou SPEB, petite formation trotskiste surtout présente sur les campus) et de l'UNEF.
Caroline Monnot
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 30.03.03