razzia sur le Katanga

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Message par roudoudou » 11 Juin 2006, 22:31

a écrit :Razzia sur le trésor du Katanga
LE MONDE | 10.06.06 | 14h06  •  Mis à jour le 10.06.06 | 14h06 
  Des creuseurs indépendants cherchent du cuivre, près de Lubumbashi, dans la mine de Kalukuluku, laissée à l'abandon par la Gécamines.

Le président rêve. Derrière les portes capitonnées de son bureau à Lubumbashi, la capitale de la province du Katanga, au sud de la République démocratique du Congo (RDC), Jean Assumani rêve d'une résurrection. Celle de la Gécamines, le groupe minier qui fit les beaux jours du Zaïre du président Mobutu et dont il est le nouveau patron. "La Gécamines va surprendre, dit-il. On l'a enterrée trop vite. Elle est de retour."

 

Les mots ne trompent personne. La Gécamines n'est plus que le fantôme pathétique d'une histoire révolue. Symbole dans les années 1970 d'une Afrique résolue à secouer la tutelle économique de l'ancien colonisateur, elle est aujourd'hui à l'agonie, victime d'un Etat prédateur et de firmes étrangères rapaces. "Le pillage des ressources minières du pays est systématique. Rien n'est fait pour y mettre fin", dénonce le chef de l'Eglise catholique, le cardinal Nicolas Etsou. L'ONU, les ONG internationales, le Parlement congolais peuvent bien publier des rapports alarmants - le dernier il y a quelques semaines -, l'heure est au partage des dépouilles.

Et quelles dépouilles : entreprise publique, la Gécamines est assise sur 30 % des réserves mondiales de cobalt, 10 % de celles de cuivre ! Elle possède du zinc à ne plus savoir qu'en faire... La table est servie. Dotés d'un solide appétit les convives se sont invités au festin.

Le gâchis est saisissant. Il s'étale à la sortie de Lumumbashi, où une immense usine de raffinage meurt à petit feu. Des volutes de fumée ne s'échappent plus par intermittence que d'un seul des huit fourneaux pris dans un enchevêtrement de poutrelles métalliques rouillées.

Un peu à l'écart, éparpillés dans un décor de ruine industrielle, des parents d'anciens de la Gécamines s'échinent dès l'aube à détacher à grands coups de marteau les résidus de cuivre accrochés aux débris épars d'anciens fours. De temps en temps, des gardes viennent les disperser. Qu'ils tournent le dos et l'étrange manège reprend jusqu'à la tombée du jour.

L'échec, on l'observe en survolant Kolwezi, l'autre grande cité du Katanga, où les mines à ciel ouvert - cuivre et cobalt -, faute d'entretien, sont devenues des lacs naturels. Pour remettre en service les installations, il faudrait des millions de dollars. Pour donner la mesure du sinistre, rappelons que la Gécamines employait jadis près de 30 000 salariés et qu'elle peine aujourd'hui à en rémunérer 12 000. "On pourrait faire avec 3 000", confie Jean Assumani. Les finances s'en porteraient d'autant mieux que l'entreprise n'a plus de fonds propres depuis des années. Elle croule sous une dette abyssale et affiche une perte équivalente aux deux tiers de son chiffre d'affaires.

La Gécamines ne vaut plus que par son portefeuille minier. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir après avoir chassé le maréchal Mobutu, Laurent-Désiré Kabila en avait offert les plus beaux morceaux au Zimbabwe pour services militaires rendus dans la guerre contre le Rwanda.

Le président assassiné, son fils, actuel chef de l'Etat, a changé de partenaires mais pas de politique. Poussé par la Banque mondiale, Joseph Kabila a laissé mourir une Gécamines exsangue et confié à des partenaires souvent étrangers des dizaines de mines du groupe public. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Dans le sud du Katanga, des pelleteuses ont refait leur apparition dans des carrières béantes et des usines flambant neuves sortent de terre à l'ombre des friches de la Gécamines. A l'heure où les cours des métaux flambent, même les anciens terrils trouvent preneurs parce qu'ils contiennent des débris de cuivre, de cobalt et de zinc récupérables après passage dans un haut-fourneau.

Les chiffres de production ne reflètent pas encore le changement. D'ici quatre ou cinq ans, le Katanga - une province de la taille de la France - aura retrouvé les niveaux records de production de cuivre ou de cobalt des années 1980. Le problème vient de ce que la relance s'effectue dans un environnement opaque. "Ici, c'est le Far West, un pays de pionniers, résume un industriel sous couvert d'anonymat. Des entrepreneurs asiatiques, européens, nord-américains ou congolais débarquent et se servent avec la complicité des autorités." Il n'y a plus de règles qui s'imposent. Tout s'achète, tout se vend.

Une enquête du Parlement congolais réalisée fin 2005 avec le soutien de la Banque mondiale raconte par le menu le pillage organisé des richesses minières. D'une grande rigueur, le document est édifiant. Dans la partie consacrée au Katanga, il dénonce, exemples à l'appui, les "entreprises nébuleuses" à l'actionnariat obscur, les "exonérations fiscales, douanières et parafiscales accordées de façon exagérée pour des longues périodes allant de quinze à trente ans (...) sans tenir compte de l'importance réelle de l'investissement" ; les "dirigeants politiques au sommet de l'Etat (qui) interviennent dans l'ombre par le jeu du trafic d'influence et par des ordres intempestifs donnés aux négociateurs ou aux signataires des contrats" ; la puissance publique, qui accorde des permis d'exploitation "sans qu'aucune disposition de contrôle des installations ait été prise au préalable".

Personne n'a contesté la teneur de ce document, condamné à moisir au Parlement si un anonyme ne l'avait publié sur Internet. Depuis, d'autres rapports ont vu le jour qui éclairent une face nouvelle de la ruée vers le Katanga. Une firme étrangère, dont les actionnaires sont impossibles à identifier, la Somika, se voit reprocher d'avoir installé "son unité de traitement de minerais (grande consommatrice d'acide> au-dessus de la nappe aquifère qui alimente Lubumbashi", deuxième ville du Congo. "Impossible de dire ce que sera la qualité de l'eau dans deux ou trois ans", précise le directeur d'un centre médical, le docteur Charles de Baecker.

Anvil Mining, compagnie minière australienne cotée en Bourse, est, elle, accusée d'avoir, en octobre 2004, mis ses moyens de transport (camions et avions) à la disposition de l'armée congolaise pour aller reprendre une petite ville brièvement occupée par un groupuscule armé. L'affaire serait passée inaperçue si les forces congolaises ne s'étaient rendues coupables d'exactions dans la bourgade. Une équipe de télévision australienne qui a enquêté sur place évalue à une centaine le nombre de civils froidement abattus par l'armée. Des poursuites à l'encontre d'Anvil Mining pour "complicité" sont à l'étude.


Le cas de la société indienne Chemaf illustre un autre aspect du pillage. Bénéficiaire d'une concession minière à la périphérie de Lubumbashi, la firme s'était engagée, selon le rapport parlementaire, à "apporter des investissements pour une exploitation industrielle". Dans les faits, elle s'adonnerait "illégalement à l'exploitation artisanale". Une visite sur place, à la mine de l'Etoile, concédée à Chemaf pour une bouchée de pain, le confirme. Ici, pas de cuvette savamment dessinée en demi-lune, pas de pelle mécanique en action, juste une colline noirâtre piquetée de milliers de trous autour desquels s'agite une armée d'artisans mineurs. A coup de pelles, on creuse, on s'enfonce sans le moindre étayage jusqu'à 15 ou 20 mètres de profondeur dans un sol gorgé de cuivre et de cobalt. Des sacs ressortent des puits et seront vendus à l'entreprise concessionnaire avant de partir vers la lointaine Asie via l'Afrique du Sud ou la Tanzanie.



Le volume des exportations est un mystère qui profite à des firmes sans scrupule et plombe les finances publiques. En comparant les chiffres des exportations minières de RDC en direction de la Chine, une association congolaise, la Ligue contre la corruption et la fraude, a découvert qu'ils variaient de 1 à 10 selon qu'ils émanaient de Kinshasa ou de Pékin. Autrement dit, la Chine importe de RDC dix fois plus de cuivre et de cobalt que n'indiquent les statistiques officielles fournies par Kinshasa. "Des millions de dollars de recettes (...) sont perdus chaque mois", conclut l'association.

De ce naufrage où a sombré la Gécamines, Lubumbashi est miraculeusement sortie indemne. La ville à la beauté surannée a su s'adapter aux temps nouveaux. Sous le régime de Mobutu, elle vivait aux crochets de l'entreprise, qui finançait écoles et hôpitaux. C'est toujours vrai, sauf que Lubumbashi a changé de parrain. Le nouveau s'appelle Georges Forrest. Né au Congo mais de nationalité belge, ce sexagénaire aussi discret qu'influent est à la tête du premier groupe privé de la RDC.

Avant la faillite de la Gécamines, la maison Forrest était puissante. La déconfiture du groupe minier a permis d'agrandir l'empire familial. Lubumbashi en profite sans états d'âme. On enseigne dans les écoles Georges Forrest. On se soigne dans les centres de santé Forrest. L'équipe locale de football porte ses couleurs. Il subventionne le musée local et porte à bout de bras un centre culturel. La Gécamines est morte. La culture maison demeure.

Jean-Pierre Tuquoi (Lubumbashi, envoyé spécial)
Article paru dans l'édition du 11.06.06















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Message par Wapi » 11 Juin 2006, 22:48

Georges Forrest n'est pas du tout un type discret .... c'est seulement que le journaliste du monde vient de découvrir l'existence de celui qui est consul honoraire de France à Lubumbashi. Tout un symbole !

Ici un aperçu de son empire.

Sinon, je trouve que le titre et le sous-titre de cet article sont dégueulasses. Ils laissent à penser que les "creuseurs" sont les razzieurs ... et pas un mot sur le doublement des cours du cuivre et la hausse vertigineuse du cours des métaux non ferreux depuis plusieurs mois...
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Message par zeanticpe » 12 Juin 2006, 03:18

Pas bien compris, moi. Qu'est-ce qui a entraîne la faillite de la Gecamines.
a écrit :victime d'un Etat prédateur et de firmes étrangères rapaces

L'article décrit les ruines de cette exploitation. J'imagine que les prix ont sans cesse été tirés vers le bas?
Et quel role a joué Forest là-dedans:
a écrit :Avant la faillite de la Gécamines, la maison Forrest était puissante. La déconfiture du groupe minier a permis d'agrandir l'empire familial
zeanticpe
 
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Message par zeanticpe » 12 Juin 2006, 10:19

plus précisement cette phrase:
a écrit :Le président assassiné, son fils, actuel chef de l'Etat, a changé de partenaires mais pas de politique. Poussé par la Banque mondiale, Joseph Kabila a laissé mourir une Gécamines exsangue et confié à des partenaires souvent étrangers des dizaines de mines du groupe public. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Dans le sud du Katanga, des pelleteuses ont refait leur apparition dans des carrières béantes et des usines flambant neuves sortent de terre à l'ombre des friches de la Gécamines. A l'heure où les cours des métaux flambent, même les anciens terrils trouvent preneurs parce qu'ils contiennent des débris de cuivre, de cobalt et de zinc récupérables après passage dans un haut-fourneau.

puis cette phrase:
a écrit :Laurent-Désiré Kabila en avait offert les plus beaux morceaux au Zimbabwe pour services militaires rendus dans la guerre contre le Rwanda.


Est-ce que les exploitations appartiennent toujours au Zaire?
Ou bien est-ce que le prix du cuivre était anormalement bas et a augmenté depuis qu'il n'appartient plus au Zaire?
Pourquoi les industries qui l'exploitaient sont tombées, en ruine?
Quel role a joue la maison Forest là-dedans?
Qui sont les gens qui s'échinent à récupérer un peu de cuivre accroché sur les machines, chassés par les gardes? Est-ce pour le revendre?
Y-at-il des articles sur le net, plus précis là-dessus?
zeanticpe
 
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Message par Combat » 12 Juin 2006, 15:48

D'apres mes souvenirs la Gecamine etait deja en ruine totale a l'epoque de Mobutu. Elle servait de pompe a son regime corrompu mais les resources avaient tant pillees et mal gerees que la societe ne tournait plus qu'a 1/10 de sa capacite(tout etait vole systematiquement y compris l'equipement de production).
Combat
 
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Message par Wapi » 12 Juin 2006, 21:05

ça dépend de quelle période on parle quand on dit "sous Mobutu" ... son règne a quand même duré de 1965 (officiellement, en fait 1961) à 1994 ...

La société a été longtemps fort prospère, jusqu'à la politique de "zaïrianisation" des emplois à partir de 1977 je crois. A partir de cette date, des cadres "zaïrois", incompétents et proches du pouvoir ont remplacé les expatriés, et s'en sont donnés à coeur joie dans le pillage des caisses de l'entreprise et le détournement de fond à une échelle sans précédent avec ce qui existait auparavant.

Mais le problème a été la chute brutale des cours du cuivre sur le marché mondial dans les années 80 (sauf erreur car je n'ai pas revérifié les dates), ce qui n'a pas arrangé les choses.

Evidemment, ce sont surtout les ouvriers et la population locale qui en ont fait les frais.

Ce que je trouve le plus surprenant (pas tant que ça en fait), c'est que dans certains coins, comme en Afrique centrale, le capitalisme n'a même plus besoin d'un Etat pour fonctionner. Tout se passe par pillage et prédation pure sans même qu'il y ait besoin d'une structure étatique pour l'organiser au profit des trusts mondiaux. Ils viennent, et ils se servent, aidés parfois par quelques bandes armées, et c'est aussi tragiquement simple que cela.

Une photo de l'usine au temps de sa splendeur
Wapi
 
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