couleurs et culture

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par canardos » 03 Jan 2006, 00:13

et si meme la perception des couleurs ne dépendait pas seulement de l'inné mais aussi de l'acquis, de la culture?

a écrit :

[center]"Les couleurs, ça se discute", affirment les automates[/center]

LE MONDE | 23.08.05 | 13h02 • Mis à jour le 23.08.05 | 13h02

Dans les forêts de l'Irian Jaya, le peuple Dani se contente de deux mots pour décrire le monde des couleurs. Pourtant, lorsqu'on demande à ses membres de mémoriser une teinte donnée sur une palette, ils se montrent aussi performants qu'un Occidental. Etudiés dans les années 1970, les Danis avaient apparemment apporté la preuve que la langue n'influence pas la perception et que les couleurs constituent, en fait, des catégories universelles.

"Pas si vite !" , rétorquent Jules Davidoff (université de Londres) et deux collègues britanniques, qui ont reproduit l'étude conduite sur les Danis dans une autre tribu "de l'âge de pierre" , les Berinmos de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ceux-ci n'ont que cinq mots de base pour désigner les couleurs, contre huit pour les Anglo-Saxons. Ainsi, "ils ne marquent pas la distinction entre le bleu et le vert, mais ils ont une frontière, entre leur "nol" -à cheval sur le bleu et le vert- et leur "wor" -qui couvre du vert, de l'orange et du marron-, qui n'existe pas en anglais", indiquaient les chercheurs britanniques dans un article publié dans Nature en 1999.

Les linguistes se sont précisément intéressés à ces frontières, grâce à des épreuves de mémorisation. Celles-ci consistent à présenter une couleur à un individu, puis à lui montrer deux échantillons et à lui demander de choisir lequel est le plus proche de celui qu'il a observé trente secondes plus tôt. Le résultat est éloquent : les Berinmos ont du mal à mémoriser et à distinguer les couleurs situées dans ce qui correspond au bleu et au vert des Occidentaux sur une palette chromatique standardisée. Mais ces chasseurs-cueilleurs parviennent sans difficulté à le faire lorsqu'elles se trouvent de part et d'autre de la frontière entre "nol" et "wor". Les résultats inverses étaient obtenus avec des cobayes anglais.

La conclusion rejoint l'hypothèse "relativiste" d'Edward Sapir (1884-1939) et son élève Benjamin Whorf, selon laquelle l'environnement façonne notre façon de parler du monde. L'exemple type étant les Inuits, dont le vocabulaire pour parler de la glace est d'une richesse effarante. La question étant de savoir si ce vocabulaire façonne en retour leur perception de leur environnement glacé. L'exemple des Berinmos semble apporter la preuve que la langue elle-même influence la catégorisation des couleurs, laquelle ne serait finalement pas universelle.

Le débat n'est cependant pas clos, certains s'interrogeant sur l'isolement génétique des Berinmos. Celui-ci n'aurait-il pu entraîner une dérive de leur perception visuelle ?

Les robots pourraient aider à trancher la question, comme l'indique un article de Luc Steels, directeur du laboratoire Sony à Paris, qui paraîtra à l'automne dans le journal Behavioral and Brain Sciences . Avec son collègue Tony Belpaeme, de l'Université de Bruxelles, il a mobilisé des populations d'automates parlants pour des jeux de discrimination et de "devinette".

Placés devant une palette, ils devaient d'abord former individuellement leur propre catégorisation, les frontières entre différentes couleurs du spectre. Ensuite, en couple, avec un locuteur et un "écouteur", ils devaient négocier sur la dénomination de certaines d'entre elles. Après de nombreuses interactions, un découpage linguistique assez homogène du monde chromatique a émergé. Mais l'introduction de nouveaux automates peut faire bouger ces frontières.

Ces modélisations ont permis de tester trois approches. La première, dite nativiste, postule que les êtres humains naissent avec des catégories perceptuelles identiques. Ils auraient simplement à apprendre de leurs parents le nom de chacune d'elles. La deuxième, appelée empirique, fait au contraire l'hypothèse que cette catégorisation reflète la structure "statistique" du monde dans lequel ils évoluent. Enfin, la position culturaliste voit dans le langage lui-même, à travers l'échange avec d'autres individus, un moyen de coordonner la catégorisation des perceptions.

Pour Luc Steels, c'est la troisième option qui semble la plus réaliste : "Cet apprentissage culturel conduit au développement d'un répertoire adéquat de catégories et de termes de couleurs qui sont partagées par les membres d'une même population, mais pas entre deux populations" , conclut-il.

Pour le chercheur, même si le saut entre ses agents artificiels et le genre humain est délicat, ces modélisations appuient l'approche culturelle. "Je prends des positions fortes en ce se ns", indique-t-il. Car la question, qui s'inscrit dans le débat nature versus culture, est aussi éminemment politique. "Si l'on suit les innéistes, où tout est prédéfini, même la morale, on peut facilement glisser vers des thèses racistes ", prévient-il. De l'importance de discuter des goûts et des couleurs...

Hervé Morin

canardos
 
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Message par Ottokar » 03 Jan 2006, 10:28

Pour ceux qui sont curieux, un petit livre intéressant sur la question des couleurs, de Michel Pastoureau une "histoire du bleu" où l'on apprend que le bleu, quasi inconnu des Grecs qui ne la nomment même pas, couleur peu appréciée des Romains car elle leur rappelait les barbares germains et Celtes (qui se peignaient le corps en bleu façon braveheart), est encore une couleur très peu utilisée dans le Haut Moyen Age avant de revenir en grâce au temps des cathédrales, jusqu'à devenir la couleur préférée en occident au XXème siècle. Le bleu est d'ailleurs passé de gauche (en 1789) à droite tandis que le rouge glissait vers la gauche et même l'extrême gauche, comme nous le savons ! Un petit livre plaisant et facilement lisible même pour non spécialistes, avec des notations matérialistes, sur les approvisionnements en bleu, en rouge, etc. qui expliquent certaines choses.

Comme quoi, les goûts et les couleurs, ça se discute !
Sur le site de la Fnac, le livre de Pastoureau :
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Ottokar
 
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