a écrit :Les stars des cités battent le rappel des jeunes en politique
LE MONDE | 20.12.05 | 13h34 • Mis à jour le 20.12.05 | 20h44
Créé en février, le collectif Devoirs de mémoires voulait prendre le temps d'"éveiller les consciences", selon sa présidente, Leila Dixmier. Parce que "l'histoire répond à beaucoup de troubles identitaires" et que "taire les discriminations d'hier, c'est susciter les discriminations de demain", ses fondateurs — le rappeur Joey Starr, le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, Olivier Besancenot, ainsi que Jean-Claude Tchicaya (Mouvement des droits civiques), adjoint au maire de Bagneux — ont organisé des conférences : sur les massacres de Sétif, le poids du colonialisme et de l'esclavage dans la société française, puis — ce qui était prévu avant les violences urbaines — l'histoire des pratiques policières.
PROCÉDURE
La loi du 10 novembre 1997 a prévu l'inscription d'office sur les listes électorales des jeunes ayant atteint l'âge de 18 ans. Les mairies s'appuient sur des fichiers de l'Insee établis d'après les données du recensement militaire. Jusqu'en 2000, les municipalités devaient demander par courrier aux jeunes concernés de fournir un justificatif de nationalité et de domicile. En 2002, cette procédure a été simplifiée, ce qui n'a que partiellement resserré les mailles du filet. Selon le ministère de l'intérieur, sur les 593 000 jeunes recensés en 2005 lors de la journée d'appel, 84 100 (14 %) n'ont "pas été retrouvés" et n'ont pu être inscrits.
L'actualité les a d'abord rattrapés, avant de menacer de les dépasser. Polémiques sur la mémoire de la colonisation et de l'esclavage, émeutes en banlieues, état d'urgence : les emballements de l'automne ont eu raison de l'angle et du tempo initialement choisis. Devoirs de mémoires est devenu Devoir de réagir. Avec un nouvel objectif : obtenir des inscriptions massives sur les listes électorales.
Pour convaincre vite, la liste des parrains s'est élargie : Jamel Debbouze, Joey Starr, Jean-Pierre Bacri, Lilian Thuram, Mathieu Kassovitz et d'autres personnalités ont apporté à cette ancienne cause une bouffée d'air frais, doublée d'un potentiel d'audience et de crédibilité auprès des jeunes des cités qui ferait pâlir d'envie les chefs de parti. Mardi 20 décembre, à 13 heures, plusieurs de ces stars devaient débattre avec des jeunes à l'Espace 93, en face de la mairie de Clichy-sous-Bois, avant de s'y rendre pour joindre les actes à la parole.
Lundi soir, en marge d'une ultime réunion avant le jour J, Joey Starr disait son "envie" de "conscientiser tout le monde, de fédérer" et sa volonté de convaincre les jeunes que "toutes leurs voix auront un poids". "Les gens ont besoin d'être écoutés", explique Leila Dixmier. "Les revendications des jeunes seront plus entendues lorsqu'ils seront inscrits" sur les listes, poursuit Jean-Claude Tchicaya.
Pour éviter que le collectif soit accusé d'être "récupéré", Olivier Besancenot, absent de la réunion, a été invité à se mettre en retrait. "On est apolitique. Même si on fait forcément de la politique", expliquait Joey Starr. La seule allusion partisane implicite figurant dans le texte de l'appel est la volonté de "ne pas revivre le 21 avril 2002". "Un second tour avec le FN est le seul cas où on sera obligé de dire notre avis", explique Leila Dixmier. Les uns et les autres ne se privent pas, toutefois, à titre personnel, de dire tout le mal qu'ils pensent de Nicolas Sarkozy. "C'est sa bêtise et son manque de tact qui ont fait que ça a pété", dit la présidente du collectif, en précisant que "tout le monde ici est d'accord là-dessus".
Au-delà, c'est le paysage politique qui leur pose problème. Leila Dixmier qui, à 28 ans, devait s'inscrire pour la première fois, mardi, sur une liste électorale, n'est "pas du tout convaincue" par une offre politique qui souffre d'"un manque de leaders poignant". "La gauche aussi a beaucoup déçu", souligne Jean-Claude Tchicaya, en rappelant notamment le revirement tardif du Parti socialiste sur la loi du 23 février.
Pourquoi, alors, s'inscrire sur des listes électorales ? "On ne va pas changer le monde en un scrutin", relève Joey Starr. "L'objectif est à plus long terme. Il faut d'abord qu'on nous écoute et qu'on nous réponde", souligne Leila Dixmier. "Ça se fera par étapes. Il faut que les jeunes comprennent que la politique est accessible", renchérit Jean-Claude Tchicaya. Des inscriptions pour peser électoralement, être entendu, pris en compte ; avant, pourquoi pas, d'être en mesure de prendre la relève de candidats et de partis jugés aujourd'hui inadaptés : tels sont les lendemains de ce 20 décembre rêvés par les membres du collectif.
Les partis se tiennent prudemment à l'écart et observent. "Notre travail viendra après, en 2006. Ce sera à nous de faire en sorte que nos propositions arrivent à "parler" à ces jeunes qui vont s'inscrire", dit Bruno Le Roux, député PS de Seine-Saint-Denis, qui parie sur leur "envie de changement". "S'ils ont des arrière-pensées antisarkozystes, je dis... chiche ! L'embrigadement n'est pas dans l'air du temps", réplique un proche du ministre de l'intérieur, Yves Jégo, député UMP de Seine-et-Marne. Plus amer, Pierre Cardo, député UMP des Yvelines et maire de Chanteloup-les-Vignes, moque "des vedettes qui se donnent bonne conscience sans que cela leur coûte trop cher".
Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 21.12.05