Au Nigéria, trafic de femmes pour les trottoirs européens

Message par Barikad » 08 Nov 2005, 11:12

a écrit :A Benin City, la quasi-totalité des familles a un membre prostitué à l'étranger.
Au Nigéria, trafic de femmes pour les trottoirs européens


par Virginie GOMEZ
QUOTIDIEN : mardi 08 novembre 2005

Benin City envoyée spéciale




Routes défoncées, bâtisses lépreuses, Benin City respire la misère. Seules quelques touches de prospérité témoignent de la vigueur de l'économie informelle : un golf, de belles demeures, «achetées avec l'argent de la prostitution», affirme une habitante. Il y a plusieurs siècles, Benin City fut le coeur prospère d'un royaume esclavagiste, elle est aujourd'hui le repaire des vendeurs de femmes : 90 % des Nigérianes arpentant les trottoirs d'Europe sont originaires de cette région du sud-ouest du Nigeria ; la quasi-totalité des familles de Benin City a au moins un membre prostitué à l'étranger.


Le phénomène date des années 80. A l'époque, le Nigeria s'appauvrit. Quelques filles partent en Italie pour récolter des tomates. La saison achevée, elles commencent à se prostituer et s'aperçoivent que ça rapporte. Certaines reviennent à Benin City, achètent des voitures et des maisons. «D'autres ont voulu les imiter, celles qui étaient rentrées les ont aidées, ce qui avait commencé comme une entraide entre voisines est devenue une organisation criminelle», raconte soeur Florence, coordinatrice du Comité pour la dignité des femmes.

Dette imaginaire.
Juliette a neuf frères ; l'année dernière, son père a décidé de l'envoyer en Europe «parce que tant de gens ont fait le voyage et font vivre leur famille». Munie de faux papiers, Juliette, une fois à Paris, est conduite dans un appartement où attendent d'autres Nigérianes. Au bout de trois jours, les «Madames», autrement dit les maquerelles, font leur apparition. «Elles nous ont dit qu'elles seraient désormais nos madames, on s'est regardées, choquées, nous on croyait qu'on serait des domestiques.» Sous la menace d'un «garde du corps», Juliette se prostitue. Sans papiers, les filles sont condamnées à l'illégalité, à la merci des maquerelles qui leur demandent de rembourser une dette imaginaire faramineuse ­ 70 000 euros en Italie, la principale destination finale. Fouillées au corps pour s'assurer qu'elles ne cachent rien, torturées lorsqu'elles désobéissent, rares sont les filles qui économisent.

A l'instar de Juliette, beaucoup sont expulsées après une arrestation par la police. Malades, traumatisées, en dépression, accros à la drogue, les rescapées des trottoirs d'Europe restent dans les limbes, esprit déchiré entre un rêve d'ailleurs brisé et la misère noire qui est à Benin City leur seul horizon. La famille rejette celle qui revient sans rien, alors qu'elle était censée améliorer la condition de tous. Le père de Juliette ne lui pardonne pas la vente du champ qui a payé ses faux papiers. «Régulièrement, il en parle, il se fâche, dit-elle. Ça pèse sur mes épaules, je dois lui racheter ce champ.» Afin de s'assurer du silence des femmes, les trafiquants les soumettent à des rituels vaudous. Juliette se souvient de son passage au temple. «Ils ont pris des poils sous mes bras, sur mon sexe, des cheveux, et ils m'ont fait jurer que je resterais leur esclave tant que je n'aurais pas remboursé ma dette et racheté ma liberté.»

En janvier dernier, une trafiquante a été appréhendée à l'aéroport de Lagos. Son sac contenait des carnets portant chacun un nom et les montants remboursés jour après jour, des photos de femmes posant dans de beaux intérieurs destinées à convaincre de futures victimes. Sur d'autres clichés, les mêmes filles nues, de face et de dos, debout dans le coin d'une chambre ; enveloppés dans du papier, des poils pubiens, des cheveux, des ongles, des tissus imprégnés de sang menstruel. Confisqués, ces objets intimes garantissent le prolongement de la terreur ressentie au cours du rituel, et le silence en cas d'arrestation.

En 2003, le Nigeria a édicté une loi contre le trafic d'êtres humains ; l'agence du même nom (en abrégé Naptip), créée dans la foulée, a obtenu une condamnation. Mais les Madames restent insaisissables. «Ce sont pour la plupart de riches Nigérianes, d'un certain âge, elles-mêmes ex-prostituées originaires de Benin City, elles vivent à l'étranger depuis une vingtaine d'années et ont pris la nationalité du pays de destination», explique Mohammed Babandede, chef des investigations à la Naptip. Adossées à des mafias internationales, elles emploient au Nigeria des recruteurs, «les trolleys», qui convoient leurs victimes à travers le désert, les vendant à d'autres passeurs chargés de leur faire traverser la Méditerranée. Selon la Naptip, ce trafic rapporte 9,5 milliards de dollars par an.

Formations. Plusieurs organisations, dont l'Unicef, essaient d'offrir aux jeunes filles des formations pour les dissuader de s'en aller. Mais elles se laissent prendre. Maria Obazua, de l'ONG Initiative pour le pouvoir des filles, a constaté qu'avant de partir beaucoup essaient d'avoir un enfant. «Souvent, celles qui sont rentrées ne le peuvent plus, à cause des maladies sexuellement transmissibles qu'elles ont attrapées. Celles qui partent se disent que même si l'aventure tourne mal, elles auront eu au moins un enfant.» Juliette le reconnaît : même si elles le nient, beaucoup savent ce qui les attend en Europe. «Que voulez-vous qu'on fasse ? Regardez mon père, il est vieux, et il n'a même pas de quoi se nourrir. Ici nous souffrons depuis notre naissance jusqu'à notre mort.»



http://www.liberation.fr/page.php?Article=336758
Barikad
 
Message(s) : 0
Inscription : 28 Mai 2003, 09:18

Retour vers Presse et communiqués

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invité(s)