Mai 68 ou comment se libérer des aînés

Message par ianovka » 28 Oct 2005, 12:50

a écrit :Livre. L'auteur, 31 ans, analyse la période par le prisme de la mouvance trotskiste, interviews des «acteurs» à l'appui.
Mai 68 ou comment se libérer des aînés

Par Eric AESCHIMANN
vendredi 28 octobre 2005

Leur jeunesse et la nôtre. L'espérance révolutionnaire au fil des générations
de Jean Birnbaum, Stock, 363 pp., 20 €.


Un mythe court chez ceux qui n'ont pas vécu mai 1968 ­ ce qui commence à faire du monde. «Ils» auraient tout pris. «Ils» auraient fermé derrière eux la porte de l'Histoire, emporté avec eux l'idée de Révolution. «Ils» : les soixante-huitards, cause de tous nos maux. Toute une littérature est en train de voir le jour sur ce filon. Le propos n'est pas forcément infondé. Ce qui est agaçant, dans cette complainte, c'est l'impuissance volontaire : puisqu'«ils» ne nous ont rien transmis, «nous» serions donc démunis à jamais.

Jean Birnbaum, 31 ans, évite l'écueil. Comme d'autres, il est travaillé par ce ressentiment des moins de 45 ans envers leurs aînés. Avec une ironie cinglante, il dresse le constat de ces ex-révolutionnaires devenus «tigres de papier» qui, «à l'heure des clubs de gym et des examens du côlon», assomment leur descendance du récit pontifiant de leur renoncement. Mais, de ce refus de transmission, de «ce vide politique», il choisit de faire un événement fondateur : «C'est le désert qui nous met en mouvement.»

Une «enquête en filiation» donc. Qu'est-ce que l'idée de révolution ? Pourquoi suscite-t-elle à la fois séduction et méfiance ? Quelle force magnétique fit que jadis et naguère des jeunes gens s'engageaient parfois une vie entière ? C'est dans la mouvance trotskiste que Jean Birnbaum a trouvé des débuts de réponse. Il a recueilli le témoignage d'individus qui ont connu ce frisson-là, de Claire Faget, la compagne de Barta, fondateur historique de LO, à André Essel, Laurent Schwartz, en passant par Arlette Laguiller, Boris Fraenkel, Thierry Jonquet, Alex Métayer et d'autres. Ils lui ont raconté leur itinéraire militant, confié le regard qu'ils portent sur le monde et sur leur engagement, vingt, trente ou soixante ans après.

Ni apologie ni procès en sorcellerie, l'idée est de comprendre et, dans le flot de la parole souvent chargée d'émotions, de repérer des continuités, des fragments de vérités, des dénis. La continuité ? La précocité de l'engagement et cet âge des premiers engagements, qui semble si incongru aujourd'hui : 14 ans ; avoir 14 ans en 1934, quand les ligues attaquaient le Palais-Bourbon ; avoir 14 ans en 1954, au début de la guerre d'Algérie ; avoir 14 ans en 1986, lors des grandes manifestations étudiantes. Les fragments de vérités ? La prise de conscience qu'il en va du sentiment de révolte comme de toutes les émotions : il faut, pour s'en saisir pleinement et devenir adulte, faire un travail de réflexion, de pensée, de mémoire. «Les trotskistes n'ont pas changé le monde», mais, à l'inverse des «maos», ils ont été «les artisans d'une transmission entêtée», Ils ont lu et ils ont fait lire, ils ont écrit et fait écrire.

Mais si l'auteur éprouve une certaine tendresse pour ce trotskisme «mémoriel», il se fait aussi accusateur sans concession de ses non-dits, ses dénis, avec en particulier une analyse passionnante de la douloureuse articulation du militant avec ses origines familiales. Une grande partie des militants interrogés par Birnbaum sont juifs ­ dans un texte, Trotski parle du «privilège négatif des masses juives» qui, plus que les autres, ne pourront «être sauvées de la famine, de l'humiliation, de l'extermination physique par d'autres moyens qu'une révolution prolétarienne». Or, ces juifs trotskistes accompagnèrent leur engagement d'un rejet total de leur identité ; après la guerre, ils refusèrent toute spécificité à la Shoah. Birnbaum remonte aux racines de ce projet de vie: se défaire des pesanteurs de l'origine pour se forger une nouvelle identité, décrocher «un passeport pour l'universel». L'ambition, commune à tous les militants, n'était pas sans grandeur. Mais, pour les militants juifs, l'écartèlement fut plus terrible, «déchirés, menacés jusque dans leur chair».

Maintenir «l'hypothèse selon laquelle le révolté s'engage de bonne foi» tout en restant lucide «sur les dérives possibles ou avérées», tel est le chemin étroit que trace Jean Birnbaum. Son livre s'arrête quand vient la question essentielle : et maintenant ? Il fallait probablement ce détour inattendu pour se débarrasser du complexe du cadet. Se déprendre de l'hypnose du défaitisme soixante-huitard en y opposant la démesure du projet trotskiste. Et déblayer la voie. Pour les «nouvelles» générations, la quête ne fait que commencer.
"Le capital est une force internationale. Il faut, pour la vaincre, l'union internationale, la fraternité internationale des ouvriers." Lénine
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Message par Ottokar » 31 Oct 2005, 08:56

Birnbaum c'est bien ce gars qui a été un moment proche de LO ou a milité un peu avec LO et qui a fait l'émission de France Culture de l'été 2004 ?
Ottokar
 
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Message par com_71 » 31 Oct 2005, 10:44

(Ottokar @ lundi 31 octobre 2005 à 08:56 a écrit : Birnbaum c'est bien ce gars qui a fait l'émission de France Culture de l'été 2004 ?
Oui pour cette partie de la question.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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