Femmes contre les violences

Message par Louis » 10 Mars 2003, 23:06

Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, cofondatrice, en 1985, avec Nathalie Bourdon et Maya Surduts du Collectif féministe contre le viol, militante actuellement d'une nouvelle association, les Dé-chaînées, mouvement féministe contre les violences faites aux femmes et aux enfants, nous a accordé cet entretien.

- Peux-tu expliquer ce qu'est le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) et quelles sont ses actions ?
Suzy Rojtman - Le CNDF a été créé en 1996 à la suite de la grande manifestation féministe du 25 novembre 1995. Celle-ci avait été organisée à l'initiative de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception (Cadac).
Le collectif est un regroupement unitaire d'associations, de syndicats et de partis politiques. Il a de nombreuses mobilisations à son actif : les Assises pour les droits des femmes du 15 et 16 mars 1997, la manifestation (la seule nationale avant le vote de la loi) du 15 novembre de la même année sur la réduction du temps de travail (RTT), une campagne contre le travail à temps partiel imposé, contre le Front national et ses complices, une manifestation thématique le 15 janvier 2000, la participation à la Marche mondiale des femmes de l'an 2000 et l'impulsion de la coordination française, une campagne sur les modes de garde de la petite enfance, le partage des tâches domestiques et l'emploi des femmes. La dernière initiative en date est le forum-débat national des 9 et 10 mars 2002, "De nouveaux défis pour le féminisme", dont les actes sortiront pour le 8 mars de cette année. C'est un collectif très actif qui a le mérite d'être parvenu à maintenir sa structure unitaire quand tant d'autres finissent par péricliter.

- Les médias présentent souvent le 8 mars comme "la journée de la femme", façon fête des mères... Peux-tu rappeler les origines de cette journée internationale de lutte et sa raison d'être ?
S. Rojtman - C'est sûr que le 8 mars n'a rien à voir avec la fête des mères instituée par Pétain. C'est Clara Zetkin qui propose pour la première fois, en 1910, la création d'une Journée internationale des femmes lors de la conférence internationale des femmes socialistes. La date ne sera fixée qu'à la suite de la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg en 1917 et des mobilisations importantes de femmes à cette date-là. L'historiographie fait remonter son origine à la manifestation des couturières new-yorkaises, le 8 mars 1857, mais la chercheuse Françoise Picq a mis en évidence qu'il ne s'agissait que d'un mythe fondateur. En 1977, la date du 8 mars est institutionnalisée par les Nations unies, en 1982 par la France.

- Cette journée sera centrée cette année sur les violences faites aux femmes. De quelles violences s'agit-il ?
S. Rojtman - Cette journée du 8 mars sera en fait l'aboutissement de la Marche contre les ghettos et pour l'égalité, qui dénonce les violences que subissent les jeunes filles dans les quartiers, depuis des années. Elles, mais pas seulement. Leurs mères aussi. Des violences dont elles peuvent parler maintenant parce que l'immense travail effectué antérieurement par le mouvement féministe sur ce thème des violences (criminalisation du viol, reconnaissance du viol conjugal, du harcèlement sexuel et moral, etc.) le permet. Des violences dont elles veulent parler parce que la coupe déborde et que la régression de leur condition est trop forte, trop étouffante. Tout cela dans un contexte de délitement du tissu social provoqué par le chômage, la précarité, la misère. Tout cela aussi dans un contexte de "retour de bâton" général concernant l'ensemble des droits des femmes : sur les violences, dont certains mettent encore en cause la réalité, mais aussi sur la mixité à l'école (les bons résultats des filles brimeraient les garçons, pour aller vite), sur la famille avec la promotion tous azimuts de la nécessaire autorité des pères, etc.
Mais les jeunes femmes craignent encore de façon importante les représailles, crainte qu'a toujours une victime de violences, mais qui ici est plus palpable et plus possible aussi.
Les violences subies sont de toutes sortes : des viols collectifs (rejetons le thème de "tournante" employé à la place de "viol"), qui peuvent être le prélude à de la prostitution, d'autres agressions sexuelles, des mutilations sexuelles, du harcèlement sexuel et/ou moral, des injures sexistes. Il y a aussi les violences, dont on parle moins, qui se cachent derrière les murs de la famille: les viols incestueux, les mariages forcés (appelés pudiquement "arrangés"), les violences conjugales et/ou sur les enfants.
Mais ces violences ne sont pas l'apanage de ces quartiers, il faut le dire et le redire : elles ont lieu dans toutes les classes sociales, dans tous les milieux, dans tous les pays, sur tous les territoires. Et pareillement, les victimes sont issues de tous les milieux sociaux, de tous les pays. On peut vraiment parler d'universalité à leur égard.

- Quelles sont les revendications et les propositions du CNDF dans ce domaine ?
S. Rojtman - Il faudrait d'abord que les lois qui existent désormais sur les violences - grâce aux luttes des féministes - soient réellement appliquées. Car, lors d'une procédure judiciaire, même si dans ce domaine des progrès ont été réalisés, il arrive encore souvent qu'une femme victime soit traitée comme une coupable. Et il y a encore beaucoup de non-lieux, de classements sans suite, de relaxes des agresseurs. La justice est vraiment du côté de l'ordre sexiste.
Nous demandons également que les victimes majeures puissent bénéficier des mesures facilitant la procédure judiciaire prévues pour les victimes mineures par la loi du 17 juin 1998 : enregistrement de l'audition et présence d'un tiers, motivation des classements sans suite, remboursement intégral des soins par la Sécurité sociale. Cela peut sembler modeste, mais on en est encore là ! Nous demandons plus généralement l'extension des mesures de procédure judiciaire favorisant, pour les victimes, la saisine de la justice. Il faut accroître significativement les lieux d'hébergement pour les victimes et la création de lieux d'accueil qui, à ma connaissance, n'existent pas et donner les moyens d'une réelle protection des victimes face aux menaces de représailles.
A l'école, il faut promouvoir une éducation non sexiste, prévue par la convention du 25 février 2000, ainsi qu'une véritable éducation sexuelle (dont trois heures sont déjà prévues par la loi du 4 juillet 2001 sur l'avortement et la contraception). Les outils existent, il faut les faire appliquer !
Pour que les femmes puissent sortir de la prostitution, il faut des alternatives immédiates en termes de logement, d'emploi, de formation, de carte de séjour...
Enfin, pour faire court, nous demandons le droit au séjour garanti pour les femmes qui se libèrent d'un mariage forcé, qui subissent des violences conjugales ici ou des persécutions sexistes dans leur pays d'origine. Il faut enfin appliquer les lois civiles françaises pour toutes les personnes vivant en France et non des codes de statut personnel discriminatoires.

- Les jeunes participantes de la Marche contre les ghettos et pour l'égalité à l'origine de l'appel "Ni putes, ni soumises" (voir le champ libre) manifesteront aux côtés des associations féministes. Certaines rejettent pourtant le qualificatif de "féministe" . Qu'en penses-tu ?
S. Rojtman - Effectivement, dans l'appel "Ni putes, ni soumises", il est dit que le mouvement féministe a "déserté les quartiers". Mais c'est l'ensemble du mouvement social, dans un contexte politique qui lui était beaucoup plus défavorable, qui a "déserté les quartiers". Ceci dit, je souhaiterais rappeler que le féminisme c'est aussi l'auto-organisation et que si, je le répète, ces jeunes filles peuvent maintenant mettre en évidence ces violences et être écoutées, c'est grâce à tout le travail réalisé antérieurement par les féministes.
J'ai lu attentivement leur livre blanc et je dois reconnaître que j'ai été personnellement agréablement surprise. Mais le cheminement de ces jeunes femmes ne m'étonne pas. Si on se révolte contre les violences subies, les contrôles tatillons des mecs de la famille, les conditions très précaires de travail des femmes, ici jeunes et immigrées, les "traditions" oppressantes, etc., on finit par tout remettre en cause et s'apercevoir que l'on ne peut faire l'impasse sur une analyse féministe, sauf à être de mauvaise foi. Le fait que la Marche se soit tournée vers les féministes, entre autres, ne m'étonne pas, même si du travail reste à faire. Je suis persuadée que ce n'est que le début d'un travail en commun, sur les violences, ce qui me semble indispensable, mais aussi sur l'ensemble des droits des femmes.

Propos recueillis par Pauline Terminière.


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Quelques chiffres
L'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff) a été réalisée en 2000, à la demande du secrétariat d'Etat aux Droits des femmes de l'époque (Nicole Péry), auprès de 6 970 femmes de 20 à 59 ans. Elle nous donne les premiers résultats suivants :

- 0,3 % des femmes a été victime d'un viol en 1999. Ce qui donne en extrapolant auprès des seize millions de femmes métropolitaines de 20 à 59 ans 48 000 viols en un an. Et nous savons pertinemment que beaucoup de filles de moins de 20 ans sont violées ;
- 13,3 % des femmes ont été victimes d'agressions verbales en 1999 dans l'espace public, 1,9 % d'avances et d'agressions sexuelles, 1,7 % d'agressions physiques ;
- 1,9 % des femmes ont été victimes en 1999 de harcèlement sexuel au travail ;
- 10 % des femmes ont été victimes de violences conjugales de toutes sortes en 1999 (de l'insulte au viol) ;
- 17,8 % des femmes ont été victimes au cours de la vie (depuis l'âge de 18 ans) d'agressions physiques, 11,4 % d'agressions sexuelles, 8 % de viols et tentatives de viols, 2,9 % de viols.

De nombreuses femmes parlent pour la première fois, à l'occasion de l'enquête, des violences subies, soit durant les douze derniers mois, soit durant la vie. Au cours de la vie, seuls 6 % des attouchements, 3 % des tentatives de viols, 8 % des viols ont donné lieu à une suite judiciaire. Une autre enquête doit retenir toute notre attention : celle réalisée en 2000 par Marie-Claude Brachet et Simone Iff, intitulée "Le devenir des plaintes pour viols et agressions sexuelles du ressort du tribunal de grande instance de Créteil en 1995". C'est une recherche dans les dossiers archivés par la Justice. - 420 plaintes par an sont déposées en moyenne pour viols et agressions sexuelles à Créteil. Durant l'année 1995, seules 119 plaintes ont été traitées par le tribunal (soit 28 %) : 68 pour viols et 51 pour d'autres agressions sexuelles (la justice définit le viol par la "pénétration sexuelle"). Le viol, un crime, est passible des assises, les autres agressions sexuelles, des délits, de la correctionnelle. De fait, selon l'enquête, quinze viols ont été traités en assises, seize en correctionnelle, dix-huit ont occasionné un non-lieu et dix-neuf un classement sans suite. Deux plaintes pour agression sexuelle ont été jugées aux assises car requalifiées en viol, 38 en Correctionnelle, 24 ont occasionné un non-lieu et 24 un classement sans suite. Donc seul 25 % des viols sont jugés par une cour d'assises. A peine 55 % des auteurs mis en cause ont fait l'objet d'une condamnation. Donc, comme le disent les auteures, "si on prend en compte les 303 plaintes non sanctionnées on constate que 19 plaintes seulement sur 100 font l'objet d'une condamnation! Donc l'auteur d'un viol ou d'une agression sexuelle ne court le risque d'être condamné que 19 fois sur cent."
Louis
 
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