(Le Monde @ mardi 21 juin 2005 a écrit :Yachting spatial grâce à la seule force de la lumière Un missile jaillit d'un sous-marin nucléaire russe en plongée dans la mer de Barents. Retour aux cauchemars de la guerre froide ? Non, bond en avant, vers le rêve d'un mode de propulsion éminemment pacifique. Mardi 21 juin, l'engin balistique reconfiguré doit placer en orbite, à 800 km d'altitude, une voile solaire chargée d'accomplir, pour la première fois, un vol contrôlé, seulement mû par la lumière du soleil. La tentative n'aura pas lieu tout de suite. Ce n'est qu'une fois placée sur son orbite polaire idéale, après quatre jours de tests à distance, que la voile, baptisée Cosmos 1, sera déployée. Les voiles plutôt : huit triangles, agencés comme les portions d'un fromage, d'une surface totale de 600 m2 de Mylar, une sorte de film plastique doublé d'une pellicule d'aluminium, qui, malgré une épaisseur ne dépassant pas le quart de celle d'un sac-poubelle, est beaucoup plus réfléchissant. Si rien ne se déchire au moment du dépliage, la voile sera visible de la Terre à l'oeil nu. Et elle s'appuiera sur cette lumière solaire pour se libérer peu à peu, en une lente spirale, de l'attraction terrestre.
Organiser des courses de la Terre à la Lune...
Depuis plus de vingt ans, l'élan de la propulsion photonique a été donné par plusieurs projets de courses de voiliers solaires. Aucun n'a encore vu le jour, faute de moyens, mais entre rêve, poésie et technologie de pointe ils ont stimulé l'imagination de groupes concurrents, structurés en associations nationales.
En France, l'U3P s'est créée en 1981, autour d'un premier projet de course Terre-Lune. En 1988, c'est un économiste américain qui proposait de marquer l'anniversaire de la découverte de l'Amérique par une régate de la Terre à Mars.
Au cours des années 1990, deux autres projets inaboutis ont été lancés, dont la Luna Cup, pour un budget équivalent à celui d'une Coupe de l'America. Le groupe américain à l'origine de Cosmos 1, comme celui des Japonais qui ont testé une voile en 2004, sont d'anciens candidats à ces différentes compétitions.
[-] fermer
Si tout se passe ainsi, les promoteurs de l'entreprise auront réussi une double démonstration, économique et technique. Ils auront d'abord prouvé qu'un budget inférieur à 4 millions de dollars, intégralement sur fonds privés, peut suffire, avec astuce et persévérance, à mener à bien un projet qui aurait coûté quinze fois plus cher à la NASA. Certes, la Planetary Society, à l'origine de l'aventure, n'est pas tout à fait étrangère à l'agence spatiale américaine. Son président, Lou Friedman, est un ancien de la maison. Cofondée avec le charismatique astrophysicien Carl Sagan, décédé en 1996, dont la première femme poursuit l'oeuvre en finançant l'essentiel de la voile solaire via Cosmos, son entreprise de divertissement scientifique, la Planetary Society sert à l'occasion de lobby soutenant la NASA. Mais lorsqu'il a fallu concrétiser l'idée, Lou Friedman s'est tourné vers une industrie plus habituée aux bricolages de génie qu'aux budgets pharaoniques.
Cosmos 1 a été fabriquée à Moscou, par des organismes issus de l'âge d'or de la recherche spatiale soviétique. En mai, elle a été transportée sur une base navale proche de Mourmansk, où l'attendait l'un de ces sous-marins rendus inutiles par les accords de démilitarisation et reconvertis en lanceurs d'engins spatiaux. Evidemment, des financements si serrés n'autorisent pas tous les essais qui font monter les coûts de la NASA. En 2001, le premier lancement d'un prototype, beaucoup moins élaboré, de la voile solaire avait échoué. Les boulons de la tête du missile, insuffisamment testés, n'avaient pas explosé assez fort pour libérer la voile. La mauvaise nouvelle s'était transformée en bonne opération financière : le lancement prévu mardi est en partie payé par la prime d'assurance touchée alors.
Ces détails prosaïques contribueront peut-être à atteindre l'un des buts les plus poétiques de l'astronomie : donner aux vaisseaux spatiaux le mode de propulsion qui servait à traverser les mers. Attention, cependant, à ne pas trop filer la métaphore. Ce n'est nullement le vent solaire qui gonflera le gigantesque octogone de Cosmos 1. Les particules, électrons ou protons émis par notre astre comme un souffle intermittent, ne sont d'aucune utilité dans cette entreprise. Ce sont les photons, les grains de lumière voyageant à 300 000 km/s, qui doivent faire avancer l'engin, selon un principe dont Johannes Kepler, au XVIIe siècle, avait déjà eu l'intuition. Celui-ci avait constaté que la queue des comètes, composée de poussières, était déviée dans un sens opposé à la direction du Soleil. Il en avait conclu que la lumière solaire exerçait une pression sur ces particules, aujourd'hui appelée pression de radiation.
Plus tard, d'autres travaux démontrèrent que les photons, en frappant un objet, lui confèrent un peu de leur énergie. Si le corps est absorbant, cette énergie sera principalement transformée en chaleur. S'il est réfléchissant, le photon rebondira en fournissant à l'objet une énergie cinétique beaucoup plus élevée. Sur Terre, cette pichenette de lumière est presque imperceptible. "Elle peut se comparer à la pression qu'exercerait un morceau de sucre sur un terrain de football" , explique Jean-Yves Prado, ingénieur au CNES et membre de l'Union pour la promotion de la propulsion photonique (U3P), qui regroupe, depuis vingt-cinq ans, les partisans français de ce type d'énergie. Dans l'espace, nulle résistance ni gravité ne vient s'opposer au mouvement ; l'effet sera beaucoup plus fort sur une voile solaire conçue comme un miroir réfléchissant. "Plus elle sera grande, plus l'impulsion reçue sera importante, résume M. Prado. Plus elle sera légère, plus l'accélération sera marquée."
La voile bénéficierait alors de l'autre énorme avantage de la force motrice des photons. Permanente, elle se cumule sur des jours, des mois, voire des années, ce qui permet à la voile d'atteindre des vitesses impressionnantes. Sur son site (
www.u3p.net), l'U3P estime qu'"une voile carrée de 800 m de côté et de 2,5 microns d'épaisseur pourrait acheminer une charge de 5 t sur Mars en 500 jours ou de 1,5 t sur Jupiter en 900 jours" . Soit sensiblement plus vite que des sondes à propulsion chimique classique, handicapées par la limitation de leur source d'énergie.
Les promoteurs de Cosmos 1 ne voient pas si loin. Ils espèrent que la voile échappera à l'attraction terrestre en atteignant une vitesse de 310 km/h au bout d'une journée et de 16 000 km/h après 100 jours. Si la fragile aile solaire survit jusque-là.
Jérôme Fenoglio