a écrit :Salaires : Augmenter, c’est possible !
Ces derniers temps, la question des salaires est revenue sur le devant de la scène à plusieurs reprises. Nous ouvrons ici le débat, et esquissons des mesures concrètes pour augmenter les salaires aujourd’hui.Les deux dernières années, nous avons été nombreux à nous mobiliser contre la réforme des retraites et celle de la Sécurité sociale. Le mouvement social a largement démontré que le but essentiel de ces réformes était la baisse de ce que les patrons appellent les « charges patronales », c’est-à-dire une baisse de la masse salariale. Bref, à chaque fois, nous sommes face au même problème : la redistribution des richesses.
Dans les années cinquante et soixante, les patrons avaient dû accepter que, par les impôts et les cotisations aux caisses de Sécurité sociale, une part importante des richesses produites soit redistribuée aux salariés et à leur famille, via les sommes consacrées à la santé, aux allocations familiales, à la retraite, et aux services publics.
Les années quatre-vingt ont vu une inversion de tendance redoutable dans l’ensemble de ces domaines.
Patronat et gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont tout fait pour réorienter cette répartition des richesses afin d’en augmenter substantiellement la partrevenant aux patrons et aux actionnaires. Ils ont réellement réussi une redistribution des richesses à leur profit. La montée du chômage massif a permis de comprimer l’augmentation de la part des richesses réservée aux salaires, alors que la productivité faisait d’importants bonds en avant. Rien qu’entre 1995 et 2002, la productivité du travail dans l’industrie a augmenté de 3,1 % par an.
Concrètement, entre 1982 et 2004, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) a perdu 9 % au profit des patrons. En 2003, le PIB représentait 1 620 milliards d’euros. 9 % du PIB, cela représente, pour la seule année 2003, 146 milliards en moins dans la poche des salariés.
Et évidemment, cela ne tient pas compte des dépenses supplémentaires qui pèsent chaque année davantage sur les salariés - logement, impôts locaux, augmentation des produits courants, de l’électricité -, ainsi que des dépenses de santé ou de couverture de retraite.
Il y a un effet brutal de vases communiquants dans la répartition des richesses. Inutile d’être expert économique pour comprendre d’où viennent les 42 milliards de profits affichés par les 40 entreprises du CAC 40 en 2004, dont les PDG ont touché cette année-là 84 millions d’euros, soit en moyenne plus de deux millions chacun, et dont les actionnaires ont perçu 35 milliards de dividendes. Ces résultats ne sont qu’un indice des fortunes accumulées grâce aux cadeaux fiscaux, aux « allégements de charges sociales », et surtout, grâce aux gains de productivité, à la généralisation de la flexibilité, au développement de la précarité et au maintien d’un chômage de masse.
Dette d’ÉtatLe Snui (syndicat des impôts) estime qu’entre 1999 et 2005 - aussi bien sous Jospin-Fabius que sous Raffarin -, les baisses successives de l’impôt sur le revenu, qui concerne toujours les plus riches, ont représenté un manque à gagner de 50 milliards d’euros pour l’État.
Pour donner une petite idée, le patrimoine total des dix familles les plus riches de France s’élève à 70 milliards d’euros, soit la valeur de 200 000 appartements confortables dans une grande ville de France. De quoi satisfaire une bonne partie des besoins des mal-logés !
Le budget de l’État contient un paradoxe de taille que personne n’ignore. Les exonérations de cotisations sociales, censées permettre de développer l’emploi, représentent un cadeau annuel de 40 milliards. L’État, avec son budget, compense une grande partie de ce manque à gagner pour les caisses.
Dans le même temps, la charge des dettes de l’État dans le budget est de 40 milliards, soit 80 % des recettes de l’impôt sur le revenu ! Pour financer son déficit, le gouvernement fait appel à l’emprunt, auprès de la même classe sociale qu’il arrose de dégrèvements et de cadeaux fiscaux : il lui verse ainsi deux fois ses largesses.
L’annulation pure et simple de cette dette, le rétablissement des hautes tranches d’impôt sur le revenu, et le retour au niveau d’impôt sur les sociétés de 1980 permettraient des gains de plusieurs dizaines de milliards pour le budget de l’État. Ce dispositif permettrait de financer la hausse de salaires des fonctionnaires, mais aussi de créer des centaines de milliers d’emplois dans la santé et l’ensemble des services publics que l’État réduit comme peau de chagrin. Avec 35 milliards, on pourrait par exemple financer un million d’emplois à 1 500 euros nets (cotisations ouvrières et patronales comprises sur treize mois). Or 100 000 emplois en plus, c’est un milliard en plus pour la Sécu.
Et encore, le budget de la défense nationale est de 42,4 milliards d’euros. Ce sont 245 337 « emplois » (hors pompiers et gendarmerie) totalement inutiles d’un point de vue social. Leur seule fonction est de permettre des interventions en Afrique pour y défendre les intérêts de la bourgeoisie française, ou de servir de faire valoir dans la compétition que se livrent les différents impérialismes dans le monde. Sur ce budget de la défense, près de vingt milliards sont dépensés rien qu’en commandes d’armement.
300 euros pour tousCar au bout de la chaîne, un salarié sur deux gagne moins de 1 400 euros nets par mois, 3,5 millions de personnes gagnent moins de 600 euros par mois, 80 % sont des femmes. Pour l’année 2003, le pouvoir d’achat du salaire mensuel moyen a reculé de 0,3 %. C’est la première fois depuis 1996 qu’on assiste à une baisse du salaire net en euros constants.
Nous proposons une augmentation générale de 300 euros nets pour chaque salarié, mais aussi une augmentation identique des revenus des sans-emploi et des retraités.
C’est une exigence qui vise évidemment à rattraper tout ce qui nous a été pris depuis des dizaines d’années, et à permettre que chacun puisse vivre dignement.
Pour les salariés - qui sont 16,5 millions dans le privé et 5,2 millions dans le public -, cela représente 152 milliards d’euros de dépenses supplémentaires (sur treize mois, toutes cotisations sociales et fiscales, ouvrières et « patronales » comprises) : 117 milliards dans le secteur privé, 35 milliards dans le public. En somme, augmenter les salaires de 300 euros, cela veut dire revenir à une répartition proche de ce qu’elle était il y a vingt-cinq ans.
Et seulement 21 milliards d’euros supplémentaires seraient nécessaires pour permettre aux onze millions de retraités et aux cinq millions de chômeurs de bénéficier eux aussi d’un gain de 300 euros mensuels. Tout simplement parce que le mécanisme de versement des cotisations sociales sur ces 300 euros rempliraient les caisses de retraites de 21,6 milliards d’euros supplémentaires, et celle de l’Assedic de six milliards.
Quant aux caisses de l’Urssaf, elles recueilleraient 29 milliards d’euros en plus. Le fameux « trou » de la Sécu de onze milliards d’euros n’existerait plus ! Bref, de quoi permettre de reprendre le chemin d’une santé correspondant aux besoins sociaux.
Et encore, si par exemple on n’augmentait pas les salaires de ceux qui touchent plus de 4 500 euros par mois, c’est-à-dire 6 % des salariés (PPDA n’a pas besoin de 300 euros en plus !), cela dégagerait neuf milliards d’euros, qui permettraient d’augmenter les minima sociaux à 1 500 euros nets mensuels au million d’allocataires du RMI.
Tout est à nous !Reprendre 173 milliards d’euros sur les profits ! « Inacceptable pour les patrons » diront certains. Pourtant, ces dirigeants nous ont bien imposé une perte identique ces dernières années ! « Inacceptable pour le budget de l’État » diront d’autres ! Nous affirmons que nous en avons assez de voir l’argent public engraisser un peu plus les banques et le patronat. Car avant tout, cette « valse des milliards » nous rappelle l’aberration du système capitaliste, et nous donne une idée des moyens colossaux dont nous disposerions pour une politique sociale en faveur des travailleurs et de la jeunesse.
On le voit donc bien, les « problèmes » de financement de la Sécu, des retraites, du chômage, des services publics ou encore des salaires n’existent pas en soi. Le monde n’a jamais été aussi riche, et si nous sommes dans la misère, c’est le résultat d’une politique assumée par la bourgeoisie : toujours augmenter les profits au détriment des travailleurs. À l’opposé, des mesures satisfaisant réellement les intérêts des travailleurs n’hésiteraient pas à s’en prendre aux profits. Aucune politique un tant soit peu conséquente ne pourrait voir le jour sans commencer à s’en prendre au pouvoir exorbitant de la bourgeoisie. Cela nécessiterait de ne pas hésiter à prendre les mesures adéquates si celle-ci venait à « déserter » - délocalisations, licenciements, fuites des capitaux -, en menaçant de nationaliser, réquisitionner les entreprises et geler les avoirs des capitalistes.
Toutes les bagarres pour l’augmentation des salaires, même de 30 euros, et pour de véritables embauches, sont une bonne nouvelle. Cela faisait longtemps que les travailleurs ne s’étaient pas emparé d’une revendication « offensive ». La question des salaires peut aider à l’unification des luttes des salariés du public comme du privé. Ces luttes vont dans le bon sens : elles tentent d’inverser une tendance de la baisse du pouvoir d’achat. Cette tendance est d’ailleurs trop souvent considérée comme inéluctable (« c’est la faute à la mondialisation, il n’y a rien à faire, il faut d’abord préserver son emploi, on verra après pour les salaires »). Nous faisons la démonstration que c’est possible.
Mais cela nécessitera une mobilisation d’envergure pour faire reculer patronat et gouvernement. Une augmentation générale des salaires de 300 euros représenterait l’équivalent d’une augmentation de 30 % du Smic. Une telle mesure a déjà été prise. C’était en Mai 68.
Ali Jonas et Laurent Carasso (article par dans Rouge n° 2114 du 2 juin 2005).Pour en savoir plus
(pour avoir les liens cliquables des références, cliquez ici) : • « Tableaux de l’économie française 2004-2005 » et « France, portrait social 2004-2005 », Insee. • Alternatives économiques, « Pourquoi il faut augmenter les salaires », n° 232, janvier 2005, et « France : alerte à la dette » n° 235 avril 2005. • Pierre Concialdi, « Le niveau de vie des salariés : de la “modération” à la régression ? », note du Cerc-Association n° 11, mai 2005. • « Les seuils de pauvreté en France », L’observatoire des inégalités. • Michel Husson, « Le capitalisme ivre de profits », Politis n° 844, mars 2005, et « Boulimie des profits et salaires allégés », Rouge n° 2104, mars 2005. • « Évolution de l’emploi salarié au quatrième trimestre 2004 », Dares n° 12.2, mars 2005. • Budget de l’État 2005. • Budget de la défense 2005. • « Augmenter les salaires, c’est juste, c’est possible et c’est bon pour l’emploi », CGT, mars 2005. • « Dossier salaires : la contre-offensive s’impose, 300 euros pour tous », Convergences Révolutionnaires n°37, janvier-février 2005.