Interview de Daniel Glückstein, secrétaire national du PT
Le référendum a donc été fixé au 29 mai par Jacques Chirac. C’est dans moins de trois mois. Pour le Parti des travailleurs, quels sont les enjeux de la situation qui vient de s’ouvrir par cette annonce officielle ?
L’ensemble des observateurs et des journalistes soulignent que la grande inquiétude qui existe pour les partisans de la « Constitution » européenne, c’est ce qu’ils appellent la convergence entre les revendications vitales de la population et le vote du 29 mai.
Alors, il faut dire les choses clairement. Le Parti des travailleurs milite pour que tous ceux qui sont engagés aujourd’hui dans l’action pour les revendications saisissent que l’origine des attaques dont ils sont l’objet, c’est l’Union européenne, que leurs revendications, pour être satisfaites, exigent qu’un coup d’arrêt soit porté aux directives européennes. Il faut donc que le non l’emporte.
Il est certain que nous traversons depuis plusieurs semaines une période de mobilisation grandissante sur le terrain de la lutte de classe. 165 000 lycéens ont manifesté ce 8 mars pour la défense du baccalauréat comme diplôme national ; ils se retrouveront certainement ce 10 mars avec les salariés du public et du privé, qui manifesteront et seront en grève eux aussi pour leurs revendications : les instituteurs et les professeurs contre l’incroyable carte scolaire destructrice que l’on veut imposer ; les salariés du privé et du public sur la question des salaires, des délocalisations ; les agents TOS de l’Education nationale, dont le statut est menacé de destruction, et, avec eux, tous les salariés de la fonction publique ; les viticulteurs confrontés à la disparition pure et simple de leurs revenus ; tous ceux-là et beaucoup d’autres ont la possibilité le 29 mai, en votant non, de porter un coup d’arrêt à la machine qui remet en cause tous les droits, tous les acquis, toutes les conquêtes, non seulement celles de la classe ouvrière, mais y compris celles de la démocratie, et tout particulièrement l’existence des communes, de leurs prérogatives, qui amène un nombre grandissant d’élus à se mobiliser contre cela.
Parlons de la manifestation de Guéret...
Les déclarations qui ont été faites au moment de la manifestation dite de Guéret et après méritent qu’on s’y arrête. Samedi dernier, manifestant officiellement sous l’égide de la défense des services publics, François Hollande a déclaré : « La Constitution européenne permet de garantir ces ser vices publics. » Et, poursuivant sur la même voie, aujourd’hui, Jean- Marc Ayrault, le président du groupe du Parti socialiste à l’Assemblée nationale, a déclaré qu’il voulait « mettre en garde contre une certaine dérive gauchiste, qui consiste à faire porter à la Constitution européenne toutes les difficultés du pays ».
Je ne souhaite pas entrer dans une polémique particulière contre le Parti socialiste, mais il faut dire ici les choses publiquement. Nous mettons, à l’inverse, au défi M. Ayrault de citer une seule des questions qui font l’objet aujourd’hui de manifestations et de grèves et de nous montrer qu’elles ne sont pas en rapport avec la « Constitution » européenne. Qu’il en cite une seule. Pour notre part, il n’y a aucune difficulté à montrer que la déclaration de François Hollande ne correspond pas à la réalité.
« La Constitution européenne, dit-il, permet de garantir les services publics. » Faux, et à double titre. D’abord, parce que l’article I-3, alinéa 2, de la « Constitution » européenne affirme, je cite, que « l’Union offre à ses citoyennes et à ses citoyens un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ». L’article III-167 stipule que « sont incompatibles avec le marché intérieur les aides accordées par les Etats membres sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
C’est au nom de ces deux articles que sont remis en cause, les uns après les autres, tous les monopoles de services publics : La Poste, France Télécom, EDF-GDF, qui, précisément comme services publics, ne peuvent survivre qu’avec des subventions qui permettent de garantir l’égalité en droit des citoyens devant ces services publics. C’est au nom de ces articles qu’on ferme les bureaux de poste, qu’on privatise France Télécom, qu’on ferme les agences EDF-GDF. C’est au nom de ces articles, et aussi au nom du pacte de stabilité européen, qu’on ferme des classes, des écoles par milliers.
Quant à dire que l’Union européenne reconnaît les services publics, c’est faux. Elle reconnaît les fameux « services d’intérêt général » (SIG) ou « services d’intérêt économique général » (SIEG). Et la différence entre ces SIG ou SIEG et le service public est très simple. Lorsque nous disons, nous, dans la tradition française, « service public », nous voulons dire « monopole de l’Etat garanti par le statut de la fonction publique de ses agents ».
Lorsque l’Union européenne dit que les missions de service public peuvent être assurées par le service d’intérêt général ou le service d’intérêt économique général, lequel peut être assuré indifféremment par des entreprises privées ou publiques , cela veut dire, par exemple, que France Télécom privatisée remplit une mission de service public. Cela veut dire que les TOS, exclus de la fonction publique d’Etat, demain privatisés, que la restauration des collèges et des lycées, qui ne sera plus assurée par des TOS fonctionnaires d’Etat mais assurée par la Générale de restauration ou par Sodexo, rempliront des missions de service public. Cela, c’est la privatisation, c’est la destruction.
Donc, nous disons clairement : nous sommes prêts à ouvrir dans ces colonnes et dans n’importe quel meeting du Parti des travailleurs la place nécessaire à M. Ayrault, à M. Hollande : qu’ils viennent nous expliquer en quoi la « Constitution » européenne garantit les services publics. Et nous sommes parfaitement confiants dans le fait que nous ferons la démonstration, textes à l’appui, que la défense des services publics et de la démocratie exige de dire non à la « Constitution » européenne.
Comment le Parti des travailleurs conçoit-il sa bataille pour la victoire du vote non dans les semaines et dans les mois qui viennent ?
Il est clair qu’il y a peu de chances d’assister à une campagne électorale à la loyale. Comme les lecteurs d’Informations ouvrières ont pu s’en rendre compte, la campagne du Parti des travailleurs est largement occultée dans les médias, si ce n’est, il faut le reconnaître, une certaine couverture au moment de la manifestation du 22 janvier. Mais depuis, lorsque la télévision, les radios, les journaux parlent de la campagne pour le référendum, ils préfèrent choisir comme représentants du camp du non les plus éloignés possible des revendications de la masse de la population. Et il y a à cela quelque chose de normal. Ceux qui organisent la campagne électorale veulent la victoire du oui. Et ils savent très bien que si les représentants du non tiennent un langage éloigné des millions de travailleurs des villes et des campagnes et de la jeunesse, cela va favoriser l’abstention.
C’est pourquoi, d’ailleurs, nous estimons qu’il y a une manière de faire campagne pour le non qui pose problème. Celle développée par ATTAC, le Parti communiste français et la LCR, qui se prononcent pour le non, mais qui appellent, par exemple, à manifester le 19 mars à Bruxelles avec la Confédération européenne des syndicats, qui fait campagne pour le oui. C’est un facteur de confusion.
Nous pensons, nous, que la victoire du vote non exige que ceux qui sont pour le non agissent très clairement et séparément par rapport à ceux qui sont pour le oui. L’essentiel, c’est de gagner la conviction de millions d’anonymes, gagner la conviction de ceux-là mêmes qui se sont abstenus à de nombreuses reprises dans les dernières élections, et nous ne leur donnons pas tort. Ils se sont abstenus, parce qu’ils voulaient manifester le rejet de tous les partis institutionnels de « gauche » et de droite, qui, finalement, appliquent la même politique de l’Union européenne. Mais aujourd’hui, il faut nourrir l’idée qu’à l’inverse, cette fois, il faut voter, parce qu’il y a un enjeu : porter un coup d’arrêt à cette politique de destruction. Il s’agit donc, pour nous, d’une campagne « par en bas ». Notre seule force, c’est non seulement la force des militants du Parti des travailleurs, mais de ceux qui, très nombreux, avec le Parti des travailleurs, venus de tous les courants du mouvement ouvrier, ont construit la manifestation du 22 janvier, ont commencé à construire dans tout le pays de véritables comités pour la victoire du vote non à la « Constitution » européenne, c’est-à-dire reliés aux revendications de la population.
Cette campagne va bien sûr prendre la forme de la participation aux nombreuses réunions du Comité national pour la victoire du vote non, dont le meeting de Paris, dans la grande salle de la Mutualité, le 16 avril, ainsi que de meetings spécifiques du Parti des travailleurs. Il s’agit d’organiser une force qui fasse boule de neige.
Concrètement, dans les entreprises, dans les localités ?
Un instituteur dans son école, un ouvrier dans son atelier, un professeur dans son collège ou dans son lycée, un employé de la Sécurité sociale dans son centre, un infirmier dans son service d’hôpital peut tout de suite, s’il en est d’accord, gagner la victoire du vote non. La victoire du vote non, elle est atteinte quand la majorité des collègues autour de lui a signé le Serment du 22 janvier, ou un appel particulier qui lui est relié et qui dit : nous voterons non, nous faisons voter non. Tous ceux qui ont signé peuvent également faire signer autour d’eux, organisant ainsi la majorité autour d’eux pour la victoire du vote non.
Jusqu’où pourrons-nous aller de cette manière ? Bien évidemment, cela ne dépend pas que du seul Parti des travailleurs. Cela dépend aussi de tout le mouvement ouvrier dont le devoir serait de s’engager activement dans la campagne pour la victoire du vote non.
Quoi qu’il en soit, il nous revient à nous, au Parti des travailleurs, de contribuer de toutes nos forces, d’éclairer les enjeux, de grouper, d’organiser, avec les élus, avec les militants, socialistes, communistes et autres, avec les syndicalistes, tous ceux qui, avec nous, dans les comités pour la victoire du vote non, décident d’agir de cette manière : gagner, là où nous sommes, la majorité pour la victoire du vote non.
Daniel Glückstein