a écrit :LE MONDE | 29.01.05 | 13h37
On le verra bientôt en calife Haroun El-Poussah, le souverain indolent et rêveur qu'imaginèrent Goscinny et Tabary, dans l'adaptation au cinéma d'Iznogoud, qui sortira en salles le 9 février.
On le verra bientôt en calife Haroun El-Poussah, le souverain indolent et rêveur qu'imaginèrent Goscinny et Tabary, dans l'adaptation au cinéma d'Iznogoud, qui sortira en salles le 9 février. Mais il ne restera plus que l'image. Jacques Villeret, comédien à la scène et à l'écran, est mort, vendredi 28 janvier, à l'hôpital d'Evreux (Eure), d'une hémorragie interne. Il était âgé de 53 ans. Claude Lelouch et Francis Veber, qui l'avaient dirigé, mais aussi Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin ou Bertrand Delanoë, ont rendu hommage au comédien dont la popularité était assez grande pour que TF1 modifie ses programmes à l'annonce de son décès. La chaîne diffusera dimanche 30 janvier Le Dîner de cons.
C'est justement avec cette pièce de Francis Veber, créée en 1993, adaptée à l'écran en 1998, que la carrière de Jacques Villeret a culminé au théâtre et au cinéma. Il y incarnait François Pignon, l'humble fonctionnaire humilié puis triomphant, un rôle qui lui valut le César du meilleur acteur en 1999. Avec plus de neuf millions d'entrées, le film reste l'un des plus grands succès de l'histoire du cinéma français et a fixé durablement l'image de cet homme un peu trop gros (quoique sa silhouette ait souvent varié au fil des ans), aux grands yeux naïfs, si gentil qu'il parvient à surmonter la méchanceté du reste de l'humanité. Mais ce n'est pas rendre justice à cet acteur étonnant que de se limiter à cette version-là de l'acteur.
Sur scène, il donna d'étonnants one-man-show et triompha dans La Contrebasse. A l'écran, il accompagna Jean-Luc Godard deux films durant (Prénom Carmen et Soigne ta droite) et venait de donner dans Le Furet, de Jean-Pierre Mocky, une performance d'une ambiguïté maladive qui évoquait irrésistiblement un autre grand comédien, Peter Lorre, le "Maudit" de Fritz Lang. Mais Le Furet n'a rencontré qu'un public limité, pendant qu'un autre de ses films récents, Malabar Princess, conte familial, agreste et sentimental comme les affectionne en ce moment l'industrie cinématographique française, triomphait au box-office.
Jacques Villeret est né le 6 février 1951, à Tours (Indre-et-Loire). Sa mère est coiffeuse, son père intendant de lycée. En 1991, il racontait à L'Evénement du jeudi : "L'idée d'être comédien m'est venue tôt, vers 6 ou 7 ans. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être tout simplement du plaisir qu'on a à imiter les professeurs et à voir que les copains rient."
A Tours, il suit des cours d'art dramatique. Son bac en poche, il part pour Paris, où il réussit à entrer au Conservatoire, la même année qu'André Dussollier, Nathalie Baye ou Jean-François Balmer. Il a pour professeur Louis Seigner. Au concours de sortie, en 1972, il obtient un deuxième prix de comédie en interprétant le Pierrot du Dom Juande Molière. L'année suivante, il joue Le Brave Soldat Schweik. "Jacques Villeret, 22 ans, est une grosse boule (...). Il ne se bile pas. Il doit être un peu paresseux ou distrait. Il "diffuse" tant de drôlerie, tant de vie, mais aussi tant de nostalgie d'autres choses qu'il doit pouvoir être utilisé à contre-emploi", écrit alors Michel Cournot (Le Monde du 7 juillet 1973).
Tout de suite, Jacques Villeret joue beaucoup. Il commence au cinéma par R.A.S., d'Yves Boisset, croise le chemin de Claude Lelouch pour Toute une vie et le retrouve avec Robert et Robert (1978), pour lequel il remporte le César du meilleur second rôle masculin, mais après lequel l'acteur explique qu'on ne lui offre plus "que des rôles de timides". Non que cette qualité lui soit étrangère ; il avoue aussi : "La timidité est une chose que je dégage beaucoup, sûrement pas par hasard."
ENTHOUSIASTES
Mais, dans le même temps, il se lance seul sur scène dans une série de spectacles qui font salle comble entre autres à la Gaîté Montparnasse. Ses qualités d'imitateur (il reconstitue à lui seul une séquence d'un film de Bergman) et d'imagination (il joue la Joconde face aux visiteurs qui défilent devant elle) portent des spectacles essentiellement fondés sur la comédie - les textes ne sont pas assez marquants pour passer en radio comme ceux de ses contemporains, Pierre Desproges ou Coluche.
En 1981, son personnage d'extraterrestre rural dans La Soupe aux choux, de Jean Girault (qui est par ailleurs l'avant-dernier film de Louis de Funès) le marque encore plus fortement que celui de Robert et Robert. La popularité du film le poursuit des années durant. Récemment, il se plaignait encore à Paris Match d'être poursuivi par des enthousiastes qui imitaient le doux babil de la Denrée. Sa carrière cinématographique ne se résume toutefois pas à cette veine typiquement française. Il joue dans des films plus contemporains (Black Mic-Mac, de Thomas Gilou, et Les Frères Pétard, d'Hervé Palud, en 1986). C'est aussi à ce moment qu'il fait un bout de chemin avec Jean-Luc Godard, participant à la tentative burlesque du cinéaste dans Soigne ta droite(1987), où il partage la vedette avec Godard lui-même.
En 1990, Jacques Villeret rencontre un énorme succès en jouant La Contrebasse, de Patrick Süsskind, spectacle pendant lequel il est seul en scène et qu'il jouera six cents fois. Il enchaîne avec Le Dîner de cons (1993), adapté cinq ans plus tard au cinéma. Mais, en 2000, lorsqu'il joue dans Jeffrey Bernard est souffrant, de Keith Waterhouse, au Théâtre de la Madeleine, le public découvre un comédien en pleine souffrance, qui doit d'abord retarder de deux semaines la première du spectacle avant d'être parfois incapable de le terminer : "Est-ce le texte de la pièce, la question n'est plus là. Jacques Villeret veut rester en scène quoi qu'il arrive, devant son public qui l'aime et qu'il aime" (Le Monde du 29 décembre 2000).
A la suite de cet épisode, l'acteur donne de nombreux entretiens explicatifs dans lequel il évoque à la fois des problèmes avec le fisc et une rupture amoureuse. Mais ces incertitudes théâtrales affectent à peine sa carrière cinématographique. Il tourne avec Jean Becker (Les Enfants du marais en 1998, Un crime au paradisen 2000 et Effroyables jardins en 2002) ou Bertrand Blier (Les Acteurs en 2000). On vient de le voir dans deux grands succès populaires : Malabar Princess, de Gilles Legrand, déjà évoqué, et Vipère au poing, l'adaptation du récit d'Hervé Bazin par Philippe de Broca. Dans ces deux films il incarne des hommes affaiblis par la vie, auxquels il prêtait son regard clair, toujours aussi naïf, de plus en plus triste.
Mais il ne faut pas oublier de corriger cette image par l'ambiguïté du Furet de Mocky, bandit antisocial qui perpètre ses forfaits sous le meilleur des déguisements, celui d'un homme banal jusqu'à la transparence. Dans ce rôle, Jacques Villeret laissait par éclairs transparaître la joie malicieuse de l'acteur qui a réussi à tromper son monde.
Thomas Sotinel
"Il commence au cinéma par R.A.S., d'Yves Boisset" Le livre R.A.S. est une valeur sûre, le film je ne sais pas ?