Acrimed 15 février à Paris :

Message par Louis » 18 Fév 2003, 00:50

Mise en ligne : dimanche 16 février 2003, par Henri Maler

Des dizaines de millions de manifestants contre la guerre. Et les tenanciers des médias dominants, spécialisés dans l'autosatisfaction tapageuse et instantanée, pourront apparemment se prévaloir d'avoir rendu compte correctement des manifestations [1].
Mais ne soyons pas dupes : tant que les gouvernements se divisent, les présentateurs de télévisions - les journalistes eux-mêmes, c'est parfois différent - distillent leurs commentaires dans les alambics de l'un d'entre eux. Aux Etats-Unis, ils soutiennent le Président Bush ; en France ils appuient le Président Chirac, surtout si les sondages qui leur tiennent lieu de conscience professionnelle leur permettent de se présenter en porte-parole de l'opinion publique. Ainsi, avec un empressement qui leur vaudra le prix ex-aequo du suivisme médiatique, Claire Chazal (en service privé) et Béatrice Schonberg (en service public) ont réussi le tour de force de présenter la manifestation de Paris comme une manifestation d'union nationale et de soutien au gouvernement.

Béatrice Schonberg (journal de 20 heures, France 2, 15-03-2003) - Présentation solennelle : « Très impressionnantes mobilisations des anti-guerre aux quatre coins de la planète. Ce sont des millions de militants pacifistes ou de simples citoyens opposés à la guerre en Irak qui ont fait entendre leur voix. Commençons par Paris où près de 250 000 personnes, sous différentes bannières, se sont retrouvées dans un vaste cortège appuyant la position défendue par la France à l'ONU ». Ainsi, en dépit de la diversité des « bannières », dont on ne saura à peu près rien dans la suite du « journal », une même position : un soutien - même pas conditionnel - à la position diplomatique du gouvernement !

Claire Chazal (journal de 20 heures, TF1, 15-03-2003) - Dur labeur de présentation. D'abord situer d'abord les manifestations en fonction des débats de la veille à l'ONU où « les tenants d'une solution pacifiste (sic) l'ont visiblement emporté ». Puis enchaîner sur les manifestants parisiens « rassemblés par les partis politiques de gauche, mais aussi certains partis de droite » : une douteuse approximation (la manifestation n'était pas exclusivement appelée par des partis), doublée d'une délicieuse imprécision sur les « partis de droite » que personne n'a vus. Ainsi « cadré », le reportage sur la manifestation peut être lancé. Une fois fini, ledit reportage mérite cette conclusion chazalienne que l'on peut, il est vrai, entendre comme un sarcasme involontaire : « Et l'UMP qui n'était pas spécialement présente dans cette manifestation (re-sic) s'est dite ensuite, dans une conférence de presse, fière de la force retrouvée de la diplomatie française. ». La boucle est bouclée.

Tout le monde se souvient encore du « pacifisme » des médias français après le 11 septembre, et de leur compassion équilibrée pour les victimes - indubitablement - innocentes des attentats et pour les victimes - exclusivement - accidentelles des bombardements américains. Sans doute est-ce la raison pour laquelle « Manhattan-Kaboul », la chanson de Renaud, fut célébrée comme un hymne planétaire par Jean-Claude Delarue et Michel Drucker dans l'émission « Les victoires de la Musique » sur France 2. Un bien beau moment d'unanimisme médiatique …

… à la limite de l'escroquerie, destinée aux amnésiques : il aura fallu plus de dix ans pour que le prix d'une guerre qui n'a pas cessé depuis 1991 devienne officiellement discutable.

Le 12 mai 1996, sur la chaîne américaine CBS, Lesley Stahl interroge Madeleine Albright (alors Ambassadrice des USA à l'ONU) :
Question : « Nous avons entendu qu'un demi million d'enfants sont morts. Je veux dire, cela fait plus d'enfants qu'il n'y eut de morts à Hiroshima. (…) Ce prix est-il justifié ? »
Réponse : « Je pense que c'est un choix très dur, mais (…) nous pensons que le prix est justifié ».

En 2001 - la date a son importance -, l'association américaine FAIR (Fairness and accuracy in reporting, association de critique des médias) commentait ainsi l'aveu de l'ambassadrice des USA : « La conclusion qu' Albright et les terroristes pourraient avoir eu un même raisonnement - la croyance que la mort de milliers d'innocents soit un prix acceptable pour parvenir à ses fins politiques - ne semble pas pouvoir être faite dans les mass médias américains ». Ajoutons : et dans la plupart des médias français qui, occupés à psalmodier que « nous sommes tous américains », ont alors rejeté dans l'enfer de l' « antiaméricanisme » tous ceux qui, dès ce moment, contestaient les visées impériales du gouvernement américain.

Avec Claire Chazal, déplorons que les américains soient « soumis à une intense propagande de la part des autorités et des médias » : ce n'est pas en France qu'une chose pareille pourrait arriver…


[1] On peut lire une version abrégée (et légèrement différente) de cet article dans L'Humanité du 17 février 2003
Louis
 
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Message par Louis » 18 Fév 2003, 00:53

MANIFESTATIONS DU 15 FÉVRIER 2003
Après la manif' : quand France Inter se prend pour Radio Londres

Mise en ligne : dimanche 16 février 2003, par Java

Samedi 15 février 2003 dans la soirée, ceux et celles qui revenaient de chaleureuses et pacifistes manifestations ont vite du se rendre à l'évidence que leur action, aussi louable et bien intentionnée fut-elle, n'aura pas survécu longtemps à la récupération politico-médiatique. Dans son journal d'information de 19h00, France Inter, zélé petit soldat servile du gouvernement, claquait des talons.
France Inter (En studio) : « C'était donc aujourd'hui la mobilisation générale pour déclarer la guerre à la guerre. Des millions de manifestant de par le monde ont fait entendre leur voix pour dire non à une intervention militaire contre l'Irak. ». Le ton est donné. L'heure est à la « mobilisation générale ». Tous en rang, bille en tête, on se mobilise. On « déclare la guerre à la guerre ».

« Nous allons en reparler dans un instant mais d'abord, on va écouter le discours très fort tenu ce matin par Jean-Pierre Raffarin le Premier ministre, c'était à l'assemblée où les députés étaient réunis pour débattre de la motion de censure. Au Palais Bourbon, tous les orateurs ont fait allusion à une menace de logique de guerre, Jean-Pierre Raffarin n'a pas dérogé à la règle, le chef du gouvernement a tenu à saluer dans cette affaire la position courageuse de la France et le succès de sa diplomatie. ».

Pourquoi cette priorité déférente accordée au discours de Raffarin ? C'est ce que l'on comprendra mieux plus loin…

Raffarin : « Aujourd'hui le sujet essentiel est que la France est de retour sur la scène mondiale après que la cohabitation nous ait paralysés [1]. Maintenant, nous pouvons faire entendre la voix de la France à Monterrey, à Johannesburg, et au Conseil de Sécurité. La France est en train de donner une chance à la paix, la France est en train de donner un espoir au monde, et partout dans le monde on regarde la France, partout dans le monde on espère dans les chances de la France, partout dans le monde aujourd'hui on compte sur le combat que mène le président de la République au nom de l'humanisation de la planète, au nom de l'humanisation de ce monde qui voudrait aller à la guerre, et pour lesquels le peuple, les peuples du monde entier disent à la France de tenir bon, et la France sera à la hauteur de son histoire, à la hauteur de son courage, à la hauteur du message qu'elle doit porter pour l'humanité. »


Voilà ce que le journaliste présente comme un discours « très fort ». Certes, le lyrisme est dans le ton. A la radio, ça donne. Mais ce discours, en plus d'être outrageusement prétentieux et orgueilleux, est surtout parfaitement cynique. Car si la France entendait réellement mener un combat « au nom de l'humanisation de la planète, au nom de l'humanisation de ce monde qui voudrait aller à la guerre, et pour lesquels le peuple, les peuples du monde entier disent à la France de tenir bon », elle soutiendrait, entre autres, le peuple tchétchène au lieu de recevoir Poutine en grande pompe [2]

Pourquoi donc cette priorité déférente accordée au discours de Raffarin ? C'est ce que la suite permet de comprendre : si les manifestants se sont mobilisés par centaines de milliers partout en France, c'est, à en croire le mouton de France Inter, pour « propager » la voix du premier ministre louant le courage diplomatique du Président.

France Inter : « L'écho de cette voix de la France qui dit non à la guerre s'est propagé dans la plupart des grandes villes françaises et dans la plupart des capitales. En France plus de 10 000 manifestants ce matin à Toulouse, 15000 à Lyon, 10000 à Montpellier, 3000 à Brest, on ne peut pas citer tous les rassemblements. Le plus important était sans nul doute celui de Paris avec au moins 100 000 personnes dans le cortège entre Denfert-rochereau et la Bastille, 80 associations, syndicats et partis de gauche avaient appelé à manifester ; il y avait aussi sur la pavé parisien des américains hostiles à la politique de Georges Bush, un cortège avec des slogans divers, mais aussi une banderole unitaire pour dire non à la guerre contre l'Irak, oui à un monde de justice, de paix et de démocratie. Toutes les générations étaient représentées, comme le témoigne ce reportage dans le cortège […] ».

On s'est donc mobilisé pour répondre à « l'écho de cette voix de la France », écho qui « s'est propagé », comme les messages diffusés par Radio Londres se propageaient en leurs temps. Pour preuve que la mobilisation était unitaire « sur le pavé parisien », si les appels venaient de tous bords, tous se rejoignaient, en rang, derrière une banderole unitaire (« avec des slogans divers, mais »). Belle preuve de « mobilisation générale ». On n'a pas les mêmes slogans « mais » on est d'accord, dans le fond. Ce n'était donc pas nécessaire d'enquêter dans la manifestation sur les motivations réelles des uns et des autres. Peut-être craignait-on que, sous ce qu'on essaye de faire passer pour un ralliement à la politique diplomatique de la France, se cachait sournoisement d'autres motifs et d'autres objectifs que ceux de nos chers gouvernants.

Ainsi, la voix (hypocrite et mensongère) que la France veut « porter pour l'humanité », France Inter se charge de la distiller à ses auditeurs : les manifestants du monde entier étaient mobilisés pour répondre en écho à la force diplomatique de notre président, sauveur de la planète. Raffarin taille le costume, France Inter le brosse. Les manifestants apprécieront.


[1] Le chef du gouvernement de la France commet ici une faute de Français : on met l'indicatif derrière après que.

[2] Voir L'arrogant dîner de gala offert par l'Elysée aux grands patrons français et aux instances russes en visite en France d'une part, et la répression (lire l'article dans Samizdat) contre des manifestants pacifistes (bien moins désirables que les milliers de samedi dernier) mobilisés contre la venue de Poutine en dit long sur les scrupules humanistes de la France.
Louis
 
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