Rien à rajouter.
J'en profites pour mettre une tribune parue dans Rouge de la semaine derniere sur le sujet:
("Rouge" a écrit :Europe-Turquie
Oui aux travailleurs turcs
Le 14 octobre, « Rouge » publiait un article de Patrick Tamerlan sur la question de l’intégration de la Turquie à l’Union européenne. Galia Trépère et Yvan Lemaitre donnent leur point de vue sur cette question.
En octobre, Chirac et Schröder se sont prononcés pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le 17 décembre, le Conseil de l’Europe doit décider de l’ouverture des négociations. La procédure s’annonce longue, dix ou quinze ans... Ce débat est l’occasion d’un déballage de préjugés réactionnaires et racistes auquel le mouvement ouvrier oppose une démarche internationaliste. « La Turquie n’est pas en Europe », déclarait, péremptoire, Fabius lors du débat à l’Assemblée, bien convaincu d’avoir trouvé une solide conviction dans le fonds de commerce des préjugés. Contrevérités et fausses évidences se bousculent dans ce débat où les partis avancent leurs arguments en fonction des préjugés qu’ils entendent flatter à des fins électorales.
Concert d’hypocrisies
Ce débat a au moins le mérite de révéler l’étroitesse intellectuelle du petit monde politique hexagonal. Raffarin s’inquiète du « fleuve de l’islam rejoignant le lit de la laïcité », oubliant au passage que la Turquie a une Constitution bien plus « laïque » que bien des États parmi les 25. Giscard, dans Le Figaro, voit un « risque d’envenimer le choc des civilisations » et craint que la Turquie ne vienne perturber la naissance d’un « patriotisme européen » ! Et, bien évidemment, ce patriotisme qui se veut moderne se drape dans les plis du drapeau du Vatican, de la chrétienté que la Constitution était à deux doigts de reconnaître comme fondement. C’est au nom de « quinze siècles de christianisme » que Bayrou s’indigne de l’entrée de la Turquie, qui « rendrait l’Europe frontalière de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran ». Et Le Pen de surenchérir, la Turquie est « un pays d’Asie... en voie de réislamisation » ! La droite craint que la confusion entre la Constitution et la question de l’entrée de la Turquie ne détourne une partie de son électorat du « oui », tandis que Fabius espérait que cette confusion lui profiterait au sein du PS, ce dont s’inquiétait Hollande... Quant à Emmanuelli, pour qui « l’entrée de la Turquie dans l’UE est une aberration », il craint, lui, que « le PS ne soit plus attentif à l’opinion de son électorat ». Sans commentaire... Ce petit monde réactionnaire croit pouvoir tirer argument de la géographique. L’histoire et les guerres ont mis la Turquie aux marches de l’Europe, mais dame Nature et la tectonique des plaques n’ont pas tranché le débat des frontières entre l’Asie et l’Europe. L’histoire ne s’est pas arrêtée en 1683 sous les murs de Vienne, où furent repoussées les armées de l’Empire ottoman... Ces esprits éclairés n’ont aucune gêne à rejeter la Turquie hors de cette étrange Europe dans laquelle ils intègrent les Antilles ou la Réunion, après y avoir intégré les pays du Maghreb... Ils ignorent avec un mépris non dissimulé que depuis le siège de Vienne le capitalisme a ouvert les portes de l’Europe à plusieurs millions de travailleurs turcs. Faut-il rappeler que plus de 2,5 mil-lions de Turcs vivent en Allemagne et que 600 000 Allemands sont d’origine turque ? En France, ils sont 400 000. L’argument des « critères occidentaux » de démocratie permet à nos démocrates ex-amis de Gbagbo de se donner une allure progressiste, sauf que cet argument apparaît vite comme une mauvaise raison. Certes, le régime turc est pour le moins réactionnaire, dominé par les militaires et sous l’influence des intégristes, mais qui peut croire que la démocratie pourrait s’épanouir enfermée dans le carcan des frontières ? Faut-il rappeler à tous ces amis de l’histoire et de la géographie que la démocratie moderne est née sur les côtes de la Turquie, dans les cités grecques de l’ancienne Ionie.
Les arguments
« L’Amérique croit qu’en tant que puissance européenne, la place de la Turquie est dans l’Union européenne », déclarait Bush, il y a peu, à Istanbul. Vue des États-Unis, la question des frontières de l’Europe semble, même à un esprit aussi rétrograde, une question moyenâgeuse... Peu soucieux des petits privilèges nationaux et des illusions culturelles que défend le microcosme politique français, Bush a tout à gagner à ce que la Turquie vienne faire contrepoids, avec ses 70 millions d’habitants, au couple franco-allemand et à la détacher des États arabes. Et surtout, les affaires sont les affaires. Il y a déjà belle lurette que la Turquie est intégrée dans les échanges européens. Son intégration dans l’union douanière européenne est un fait depuis le 1er janvier 1996. Depuis neuf ans, il n’y a quasiment plus de barrières à la libre circulation des capitaux et des marchandises entre la Turquie et l’Europe. 53 % des exportations turques se font vers l’Europe et 55 % de ses importations en viennent. Et il y a belle lurette que Renault, Axa, Bouygues, France Télécom et bien d’autres travaillent avec les militaires turcs pour faire prospérer leurs affaires. Leur « oui » à l’entrée de la Turquie ne s’embarrasse pas de scrupules démocratiques, leurs capitaux et leurs marchandises jouissent déjà de toutes les libertés. Cette liberté d’exploiter les travailleurs dans les chantiers et les usines de Turquie, d’Allemagne ou de France est bien la nature même du capitalisme, elle essaie de se donner une image progressiste en invoquant la démocratie. Les classes populaires de Turquie auraient bien tort de se plier à la contrainte du libéralisme sans demander une contrepartie minime, un peu plus de liberté et de démocratie pour elles-mêmes. Ce serait à elles d’en décider, mais quoi qu’il en soit, les révolutionnaires, le mouvement ouvrier leur disent par avance : « Oui, vous êtes les bienvenues, nous sommes avec vous, ensemble écrivons une nouvelle page de l’histoire, dessinons une nouvelle carte de géographie humaine ; pas la géographie des guerres et des frontières, la géographie de la coopération et de la fraternité des peuples. » Nous nous plaçons du point de vue des intérêts du mouvement ouvrier, de la lutte de classes. Il s’agit de savoir ce qui met les travailleurs en meilleure position pour défendre leurs conditions d’existence, conquérir des droits démocratiques, gagner des points d’appui dans leur combat d’émancipation sociale. Les travailleurs de Turquie n’ont aucun intérêt au maintien de leur pays hors de l’UE. Le prix que leur bourgeoisie leur fait payer pour qu’elle puisse participer à la concurrence sur le marché européen, ils le payent déjà. L’ouverture des frontières, l’intégration de leur pays dans le champ politique européen, ne changera pas leur vie, mais elle ne peut qu’atténuer la pression qui tire leurs salaires vers le bas. Elle peut contribuer à ce que la libre circulation des capitaux et des marchandises s’accompagne d’un peu de liberté pour les hommes et les idées... Elle peut être aussi un point d’appui pour les travailleurs immigrés ici, pour conquérir plus de respect, de dignité, de droits. Dire « oui » à l’intégration de la Turquie à l’UE, c’est s’affirmer contre les préjugés et les privilèges nationaux, c’est dire « oui » à l’unité des exploités par-delà les frontières. C’est dire « oui » à la démocratie d’un point de vue révolutionnaire, « oui » au droit des travailleurs et des peuples de décider de leur destin, « oui » aux droits des femmes, au respect des minorités, au droit à l’autonomie du peuple kurde.
Galia Trépère, Yvan Lemaitre
2004-12-09 15:07:07