a écrit :Interview de Caroline Fourest dans Charlie Hebdo, 10 novembre 2004
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Caroline Fourest est rédactrice en chef de la revue Prochoix et vient
de publier un livre dans lequel elle dissèque le discours, la
stratégie et les méthodes de Tariq Ramadan : Frère Tariq (ed.
Grasset).
Charlie hebdo : Tu as lu, écouté et analysés les livres et les
cassettes de Tariq Ramadan, comment le présenterais-tu à l'issue de
cette enquête ?
Caroline Fourest : C'est un prédicateur fondamentaliste, bigot,
moraliste, redoutablement doué pour se présenter comme un
intellectuel musulman progressiste alors qu'il défend un islam
intégriste et combat les musulmans laïques. Ses prêches ressemblent à
s' y méprendre aux prêches des fondamentalistes américains. Sa vision
des femmes rejoint celle du CNFE, la commission femmes du FN. Mais
honnêtement, je crois qu' il est encore plus dangereux. Car au moins
les intégristes chrétiens avancent démasqués. La gauche leur résiste.
Tandis que face à Ramadan, elle est divisée
Charlie Hebdo : Comment expliques-tu qu'un précicateur aussi
intégriste puisse séduire à gauche ?
Caroline Fourest : D'abord par le « double discours », qui existe
réellement. Tariq Ramadan est aussi remarquablement doué pour se
présenter comme un intellectuel musulman persécuté. Il a séduit la
Ligue des droits de l'homme grâce à l'interdiction de séjour dont il
a été l' objet en 1995, sous Debré. Elle lui a permis d'apparaître
comme un martyr de la politique sécuritaire. Sitôt réautorisé à venir
sur le sol français, il est devenu le pilier de la commission « Islam
et laïcité » de la Ligue de l'enseignement, où il a fait fuir tous
les musulmans laïques La Ligue a fini par réaliser son erreur mais
Michel Tubiana et la Ligue des droits de l'homme ont alors accueille
à bras ouvert Ramadan et ses émules. Le parrainage d' Alain Gresh,
qui cite l'Iran comme un pays musulman plutôt modèle concernant les
droits des femmes (sic), a aussi beaucoup joué. Il a mis Ramadan en
contact avec toutes les personnes clefs de la gauche laïque et
altermondialiste. Ce qui lui a permis de diffuser certains concepts
fumeux comme la lutte contre l' « islamophobie » ‹ qui transforme la
lutte antiraciste en lutte anti-blasphème ‹ en compagnie
d'associations comme le MRAP. Certains de ses fidèles ont pris leur
carte chez les Verts. Par le biais de réseaux comme le MIB, il a
aussi tissé des alliances avec des associations comme Casseurs de
pubs.
Ce type d'alliances est encore plus visible depuis le débat sur le
voile L'opposition à la loi sur les signes religieux lui a offert
l'occasion de concrétiser ces alliances par le biais d'une Ecole pour
tous, un collectif pensé par les réseaux ramadiens pour formaliser le
pacte entre progressistes et intégristes. Mais le processus était
enclenché depuis longtemps. Présence musulmane et le Collectif des
musulmans de France, deux de ses associations, se sont investis dans
l'organisation du FSE. En vertu de quoi il est désormais l'un des
intervenants incontournables des grands rassemblements
altermondialistes
Charlie Hebdo : Sans parler de « complot islamiste », peut-on dire
qu' il a développé une stratégie d'infiltration en Europe ?
Caroline Fourest : Comme Hassan al-Banna, le fondateur des Frères
musulmans et grand-père de Ramadan mais surtout l'homme dont il
s'inspire et qu' il enseigne comme un modèle à suivre, Tariq Ramadan
invite ses troupes à cultiver des « sphères de collaboration » avec
la gauche laïque et altermondialiste. Non pas pour inciter les
islamistes à devenir altermondialistes, mais pour mettre le réseau
altermondialiste au service des objectifs intégristes des
islamistes ! Ramadan ne milite pas contre la mondialisation par haine
de la domination ou du « choc des civilisations ». Avant que ce livre
d' Huntington soit pointé du doigt par la gauche, il le recommandait
à ses fidèle comme un livre visionnaire car il avait compris au moins
une chose : l'époque est au « face à face des civilisations » et
le « renouveau islamique » va permettre de résister à l' «
occidentalisation du monde ». Il faut bien comprendre cet objectif.
Il ne s'agit pas de résister à la domination et à l'exploitation au
nom du droit à l'égalité et à la diversité. Il s' agit de résister au
modèle occidental, que Ramadan juge trop laïque et trop «
permissif « , au nom de l' islam politique et intégriste En vue d' un
renouveau où le monde islamique ne sera plus dominé mais
dominateur !
Charlie Hebdo: Certains pensent malgré tout pouvoir dissoudre cet
intégrisme dans l' altermondialisation, tu y crois ?
Caroline Fourest : Je sais que certains altermondialistes font le
pari, tout comme Nicolas Sarkozy, d' intégrer les intégristes. Ils
pensent que c'est un bon moyen de les faire évoluer. Mais ils se
trompent. La collaboration, ce n'est pas le mariage ! précise bien
Ramadan à ses troupes lorsqu'il donne des consignes en prévision du
FSE. Toutes ses cassettes insistent sur le fait qu'il ne faut pas
se « dissoudre » dans la culture occidentale non islamique. Bien au
contraire, il faut « protéger sa foi » pour mieux «contribuer », ce
qui dans le vocabulaire ramadien veut dire : diffuser l'islam
intégriste des Frères musulmans. Les fidèles de Tariq Ramadan ne sont
pas là pour se « dissoudre » dans l' altermondialisation. Lui-même
n'a pas évolué d'un pouce depuis qu'il collabore avec la gauche
laïque. Sa haine de l'islam laïque, par exemple, est intacte. Par
contre, la gauche laïque et altermondialiste a drôlement changé
depuis que les islamises y sont intégrés.
Charlie Hebdo : Tu classes ses alliés en trois catégories : les
naïfs, les complaisants et les alliés objectifs. Dans quelle
catégorie peut-on mettre les altermondialistes ?
Caroline Fourest : Je ne mets pas tous les altermondialistes dans le
même sac.
Aujourd' hui, à mes yeux, la LDH, le MRAP, les Verts et la JCR sont
les organisations les plus directement touchées par le syndrome de
la « collaboration » ramadienne. Bien que leur base résiste. Parmi
les militants parisiens en pleine dérive, certains se font vraiment
piéger. D'autres ont le profil idéal pour servir d' « idiots utiles »
voire de compagnons de route. Ceux-là jugent que la lutte prioritaire
contre l'impérialisme américain et le sionisme justifie toutes les
alliances, y compris avec des totalitaires. Comme ils pensaient jadis
que l'établissement d'un modèle communiste justifiait d'avoir recours
à des méthodes totalitaires. Le complexe néo-colonial a également un
effet certain. Il aveugle certains antiracistes, qui ne parviennent
plus à réfléchir en terme de rapport de domination mais considèrent
d'emblée tous les musulmans comme les nouveaux opprimés, quoi qu'ils
pensent, même s'ils sont intégristes.
Charlie Hebdo : Au FSE de Londres, Bernard Cassen s'est fait insulter
et traiter « d'islamophobe ». On ressent un certain malaise chez les
militants : ils sentent qu'ils se sont fait berner. Il reste quand
même de l'espoir ?
Caroline Fourest : Bien sûr qu'il y a de l'espoir. Les fidèles de
Ramadan sont allés un peu vite en besogne. Du coup, la « prise
d'otage » a été un peu grossière. Il faut maintenant en tirer les
conséquences. Nous sommes en train de vivre une fracture idéologique
aussi importante que celle sur le stalinisme. Personne ne peut rester
indifférent et attendre que cela passe. Il est grands temps que les
organisations progressistes se réveillent et disent stop. Sous peine
de se réveiller avec une sacré gueule de bois à l'iranienne.
Propos recueillis par Gérard Biard
Caroline Fourest : "Frère Tariq. Discours stratégie et méthode de
Tariq Ramadan", Grasset, Paris.