par gerard_wegan » 07 Nov 2006, 03:37
En fait tout ça n'a aucun côté vieille Russie... sauf à constater (mais c'est une banalité) que les villages de datchas des anciens privilégiés -- en l'occurrence des milieux artistiques de l'ancienne aristocratie russe, parlant français et ayant appris à danser le cancan -- ont continué à exister sous l'URSS stalinienne.
(une remarque au passage : les datchas existaient, et existent toujours en Russie, dans la banlieue de grandes villes comme Saint-Petersbourg, et pas seulement dans les milieux hyper riches ; mais pour qui connait un peu la Russie, il est évident que le type de maison qui est celle de la famille de Kotov dans le film n'est pas exactement une datcha de milieu populaire !)
Donc, par rapport à ce que dit Shadoko : la maison de famille ne ressemble pas étrangement à une maison de la noblesse russe -- c'est une datcha typique de l'ancienne noblesse russe... des biens que certains milieux de l'ancienne aristocratie (du moins ceux qui n'ont pas émigré) ont réussi à conserver en nouant des liens (notamment, comme dans le film, par le mariage) avec les nouveaux privilégiés du régime. Des liens forts en apparence, mais dont Mikhalkov souligne avec justesse les lignes de fractures : ainsi Kotov (colonel de l'armée rouge, sans éducation, ayant gagné ses galons dans la guerre civile -- magnifiquement joué par Nikita Mikhalkov lui-même) réagissant devant les jérémiades des aristos de sa belle-famille sur "la belle vie" qu'ils avaient avant la révolution ; ou encore son sentiment d'exclusion lorsque tout ce beau monde (jusqu'à la bonne...) parle en français.
Ce qu'il y a de fort dans ce tableau, c'est l'opposition entre le colonel de l'armée rouge, nationaliste certes dans son éloge de "la Patrie soviétique", mais aussi profondément attaché à ce qu'il croit être la construction du socialisme (Mikhalkov le montre avec finesse par la sincérité des propos que Kotov tient à sa fille à l'occasion d'une promenade en barque, loin donc des grandes déclamations publiques), et le cynisme de l'ancien protégé de l'aristocratie, ayant combattu du côté des blancs dans la guerre civile avant de se vendre au contre-espionnage soviétique en monnayant son retour en URSS contre la dénonciation de généraux blancs en exil, et terminant en URSS même comme agent du NKVD pourchassant les prétendus "ennemis du peuple" ! (superbe interprétation de Oleg Menchikov)
Quant à Mikhalkov lui-même, il a commencé sa carrière d'acteur et de réalisateur du temps de l'URSS, dans les années 70, mais n'en a retenu que le nationalisme du régime stalinien -- il a dû apprendre ça dès le berceau, son père étant le parolier de l'hymne soviétique (qui, faut-il le rappeler, n'était pas L'Internationale !). Sous Eltsine, il est devenu le "pape" du cinéma russe... et il l'est plus ou moins resté depuis (directeur de je ne sais plus quel institut, président du festival de Moscou...), ce qui dit quand même quelque chose de ses relations avec Poutine et le régime actuel. D'ailleurs ses opinions personnelles, comme l'indique Vérié, ne font guère de doute : je ne serais pas étonné d'apprendre qu'il considère Poutine comme un nouveau tsar ! :blink:
Ceci dit, c'est du grand cinéma. A voir aussi, sur la période de la révolution russe : "Esclave de l'amour" (comment la révolution et la guerre civile viennent troubler le petit monde bien rôdé du tournage d'un film muet sur les côtes de Crimée ; plus ou moins tiré de la vie de l'actrice russe Vera Kholodnaya). Mais aussi : "Urga", "Les yeux noirs", "Cinq soirées", "Partition inachevée pour piano mécanique", "Quelques jours de la vie d'Oblomov"... (le tout étant plus ou moins facilement trouvable en France en vo sous-titrée, sur DVD ou VHS).