Brésil
La question de la terre
Nous reproduisons ici des extraits d'une interview donnée par Miguel Rossetto à la "Folha", un journal de São Paulo, le 16 mars 2003. Miguel Rossetto est le ministre brésilien du Développement agraire. Il est membre du Parti des travailleurs et de la tendance Démocratie socialiste (au sein de laquelle militent nos camarades de la IVe Internationale).
- Pensez-vous que le demi-tour à gauche de votre ministère contribue au désarmement des esprits, à un moment où les propriétaires terriens organisent des actions armées ?
Miguel Rossetto - Nous condamnons la violence exercée par les propriétaires terriens. Les tensions doivent être réglées par le dialogue. Des secteurs réactionnaires de droite, minoritaires, ne réussissent pas à vivre avec la République. La majorité des producteurs n'est pas d'accord avec ce type de comportement.
Ceux qui produisent en ayant le sens de la responsabilité sociale seront respectés et soutenus. Mais nous ne ferons aucune concession aux propriétaires de terres improductives, destinées à la spéculation. Il y a des aires où le "grilage (1)" est une réalité. Ceci est inacceptable et relève de la barbarie. Notre mission est d'arriver à vaincre cela.
- Vous avez produit une note affirmant que le pillage du bâtiment de l'Incra au Mato Grosso (2) par des militants du Mouvement des sans-terre (MST), "a outrepassé les limites démocratiques de la manifestation". L'invasion de terres privées est-elle contraire au respect de la Constitution ou se situe-t-elle dans le cadre démocratique de l'exercice de la manifestation ?
M. Rossetto - L'occupation des terres est une vaste question. Nous parlons de propriétés privées dans des aires publiques. La caractérisation d'illégalité ou pas est de la responsabilité du pouvoir judiciaire. Il n'y a pas de possibilité d'une réponse théorique. Les décisions des tribunaux varient en fonction du type de propriété.
Selon la jurisprudence, l'occupation des terres n'est pas jugée comme ne respectant pas la Constitution, quand ces terres ne sont pas exploitées. La Constitution établie clairement que la propriété rurale est liée à la question de la productivité. La notion de propriété est liée à l'idée de fonction sociale. C'est pour cela que théoriquement la réponse est difficile. Les manifestations sociales sont une conquête démocratique. Quant au MST, c'est une organisation de travailleurs victimes du processus d'exclusion, qui accomplit un rôle très important pour le développement de la société.
- La violence est associée à l'invation de terres ?
M. Rossetto - Elle est aussi associée à l'exclusion sociale. Elle existe parce qu'il y a de la misère, de l'exclusion. Elle est le fruit de l'abandon, du manque de perspectives.
- Quelle est votre opinion sur la réforme agraire du précédent gouvernement, celui de F. H. Cardoso et qu'entendez-vous faire de différent ?
M. Rossetto - Cardoso a fait une réforme du XIXe siècle. Il s'est limité à donner de la terre. Il a promu les installations des paysans sans permettre les conditions fondamentales pour la production. Les paysans sont nombreux à ne pas avoir d'habitation, d'éléctricité, d'accès au réseau routier. Nous devons changer cela. Nous allons faire la réforme du XXIe siècle, dont l'élément central sera la transformation des sans-terres en agriculteurs producteurs, qui disposent de connaissances, de l'assistance technique et de crédit. Nous allons stimuler un modèle collectif des occupations (assentamentos) paysannes.
Nous allons aussi éliminer la Banque de la terre, mise en place par Cardoso. Nous y avons trouvé beaucoup d'irrégularités : fausse factures, pots de vin... Elles seront signalées au Ministère public. Mon souhait est que le nouveau ministère identifie et punisse les responsables, comme je le ferai.
1. Possession illégale de terres à partir de faux documents.
2. Il s'agit de l'Institut national de la colonisation et de la réforme agraire du Mato Grosso, l'un des Etats fédérés du Brésil.