a écrit :sylvestre Ecrit le : mardi 29 avril 2008 à 13:05
il y a tout un brouillard idéologique autour de la question qu'il est important de dissiper, Trop souvent l'image qui domine est de quelques blancs vertueux qui luttent pour libérer des esclaves trop opprimés pour pouvoir lutter par eux-mêmes. Par exemple quand Luc Marchauciel écrit "La France révolutionnaire avait fait la première abolition en 1794" ça donne une image complètement fausse : en vérité les esclaves ont arraché leur liberté par l'insurrection, en alliance avec les classes populaires de métropole contre l'a grande bourgeoisie esclavagiste qui ont poussé à la radicalisation de la Révolution. La contribution des esclaves de Saint-Domingue aux victoires des couches populaires métropolitaines est donc tout aussi importante que la réciproque.
Merde, en une phrase pour préciser la chronologie ("La France révolutionnaire avait fait la première abolition en 1794"), je me fais le complice de la dévalorisation des esclaves Noirs dans l'histoire et l'apologue des gentils Blancs.... Juré, la prochaine fois que je relaterai l'histoire des droits des femmes en France, je ne dirai pas "La France a légalisé l'avortement en 1975" (ça, c'est "une vision complètement fausse"), mais "Contrainte et forcée par les glorieuses luttes féministes - en alliance avec les masses prolétariennes, la France bourgeoise de Simone Weil a légalisé l'avortement". C'est mieux là ? je suis politiquement correct ?
Ceci dit, Sylvestre a raison de mettre en avant le bouquin de CLR James, qui est décisif dans l'historiographie du sujet... quoique aujourd'hui un peu daté quand même (1938 !).
N'empêche que je trouve sa vision des choses, certes bien sous tous rapports du point de vue de la radicalité politique, mais quand même un peu bourrine...
Je maintiens que l'idéologie des Lumières a joué un grand rôle dans cette décision de la Convention en 1794, et la société des Amis des Noirs (qui sont des blancs vertueux) a poussé dans ce sens dès le début de Révolution (mais en misant sur une extinction progressive et sans appeler les esclaves à la révolte contre leurs maîtres). Et je ne suis pas sûr que ses membres étaient majoritairement issus des couches populaires, loin s'en faut (Mirabeau, membre fondateur et auteur de très beaux discours sur le sujet, était le prototype du bourgeois révoltuioonaire -du moins, en 1789...).
Sur la chronologie, si on rentre dans les détails, c'est vrai qu'il est important de signaler que les révoltes d'esclaves ont précédé l'abolition officielle : les colons français voulaient profiter de la Révolution pour entrer dans un processus d'autonomie/indépendance par rapport à la métropole (comme la Révolution Américaine, en gros), et ont en partie creusé leur tombe en s'aliénant ainsi le pouvoir central. Dans le même temps, ce sont d'abord les libres de couleur qui se révoltent, en s'appuyant sur les principes de la DDHC (ils sont écrasés par les Grands Blancs), puis à l'été 1791 (trois ans avant l'abolition) les esclaves du Nord de St Domingue. Ensuite, les émissaires de l'Assemblée législatives prennent généralement la décision d'abolir l'esclavage avant même que la Convention ne la vote (c'est le cas de Sonthonax à St Domingue, mais ça arrive aussi ailleurs). Sur le terrain, ça se joue au rapport de forces dans les différentes parties de l'île....
Pour le reste, puisque Sylvestre exige que les formulations soient examinées à la
loupe, je suis plus convaincu par celle de Marcel Dorigny, une des meilleurs spécialistes de la question ("c'est l'intercation entre le potentiel insurrectionnel de cette colonie si particulière et la Révolution qui seule explique le moment précis où la révolte des Noirs - latente et même récurrente - a pu devenir une Révolution victorieuse, fusse, in fine, contre la révolution française elle-même, ou son avatar napoléonien") que par celle de Sylvestre ("les esclaves ont arraché leur liberté par l'insurrection, en alliance avec les classes populaires de métropole contre l'a grande bourgeoisie esclavagiste qui ont poussé à la radicalisation de la Révolution. La contribution des esclaves de Saint-Domingue aux victoires des couches populaires métropolitaines est donc tout aussi importante que la réciproque").
Deux trucs me chiffonent dans cette belle image :
- En sachant qu'il fallait entre un et deux mois pour qu'une information circule entre les Caraïbes et la métropole, cette idée d'"alliance" entre les esclaves et les couches populaires de métropole (avec tout ce que cela suppose d'intentionnalité consciente, contrairement au plus sobre "interaction") me semble un peu olé-olé. Comment communiquaient-ils pour passer cette alliance ? Dispose-t-on par exemple de compte rendus de réunions des sociétés populaires montrant que cette question de l'esclavage à l'autre bout du monde fait partie de leurs préoccupations, et que les participants se sentiraient dans une alliance avec eux ? Cela me semble à priori trop beau pour être vrai...
- Ce dont je suis à peu près sûr, c'est qu'il n'y a pas dans la révolution française des classes populaires homogènes en alliance avec des esclaves homogènes qui contre une bourgeosisie qui serait tout entière esclavagiste. C'est tellement schématique que ça vire au conte de fée marxisant...