C'était le sujet de l'éphéméride du 3 juin. Mais tout laisse prévoir que la fête de LO va priver les lecteurs du FALO de leur site préféré les 3, 4 et 5 juin 2006. Alors, quelques jours avant la date, ce qui devait apparaître samedi prochain :
a écrit : 3 juin 1966 : Début de la révolution culturelle en Chine
Extraits de l'exposé du Cercle Léon Trotsky : La Chine à l'heure de la Révolution Culturelle, 18 décembre 1967
Pendant plus d'un an, de violents conflits secouèrent la société chinoise. Plusieurs dizaines de millions de jeunes, étudiants et lycéens pour la plupart, ont fait la loi ou ont semblé la faire à travers tout le pays. Ils l'ont faite au nom du socialisme et ils déclarèrent vouloir détruire tous vestiges de la société ancienne, fussent-ils culturels ou moraux. C'est encore au nom du socialisme qu'ils occupèrent le pavé des plus grands centres industriels de la Chine, c'est au nom du socialisme qu'ils se heurtèrent, parfois violemment, au prolétariat des villes. […]
Mais l'hypothèse d'une fraction maoïste écartée du pouvoir et mobilisant les Gardes Rouges pour le reconquérir est d'une incroyable ineptie, dès que l'on se rappelle ce que représente une telle mobilisation. Un communiqué de l'Agence Chine Nouvelle faisait état à l'époque de cinquante millions de «Gardes Rouges et autres étudiants et professeurs révolutionnaires». Ils étaient, nous l'avons dit, onze millions à se rendre à Pékin par vagues successives. Pour ce faire, ils avaient à leur disposition des trains, des bateaux, des autocars. Il fallait une puissante organisation pour les rassembler, les encadrer, les transporter, les loger, les nourrir. Il fallait en un mot toute l'organisation de l'État, toute la puissance logistique de l'armée.
Ce sont là des faits. Ils prouvent deux choses. Ils prouvent d'abord que la mainmise de Mao et de Lin-Piao sur l'appareil de l'État et de l'armée était totale au moment de la mobilisation des Gardes Rouges. […]
Le fait est, répétons-le, primordial. Quelles qu'aient pu être les péripéties au sein de l'équipe dirigeante, quels qu'aient pu être les affrontements fonctionnels par l'intermédiaire de Lin-Piao et de Mao, c'est l'ensemble du régime qui a pris la décision de mobiliser les Gardes Rouges.
Un deuxième fait est tout aussi primordial. Ces millions de jeunes ne furent pas mobilisés pour obtenir la tête de quelques malheureux Pen-Chen ou Liu Shao-shi, ou pour scander des slogans contre les dirigeants déjà liquidés, à des meetings monstres. Pendant des mois ils ont fait la loi ou tenté de la faire à travers tout le pays dans toutes les grandes villes. Ils ont eu des rapports, pacifiques ou violents, avec les différentes couches de la société, avec des dizaines, sinon des centaines de millions de personnes.
Directement ou indirectement, le mouvement a concerné l'ensemble de la société chinoise. Il s'agit là incontestablement, d'un mouvement de masse. Il a une signification sociale. Et, outre la question : qui a mobilisé les Gardes Rouges, il s'en pose d'autres : qui sont les Gardes Rouges quelle force sociale représentent-ils, contre qui furent-ils mobilisés et pourquoi ? Quels sont les protagonistes des heurts sociaux qui secouent la Chine, et quelle est la dynamique des antagonismes qui, à cette ampleur, sont des antagonismes de classe ?
Les faits, tout au moins ceux qui nous sont parvenus au compte-gouttes, apportent quelques éléments de réponse.
La presse chinoise elle-même rapporta en son temps les heurts qui opposèrent les étudiants Gardes Rouges à des ouvriers à Canton, à Shanghaï et à Tien-tsin. Elle reconnut elle-même, dès septembre, «qu'un petit nombre d'ouvriers, paysans et soldats furent trompés et prirent part à la lutte contre les étudiants». Elle publia de véritables bulletins de victoire après la «reconquête» (le mot est d'elle!) de Shanghaï puis de Canton, hauts lieux du prolétariat chinois.
Manifestement, l'activité des Gardes Rouges s'est heurtée à des résistances. Manifestement, cette résistance n'était pas le fait d'individus isolés, car alors pourquoi les milliers de Gardes Rouges n'ont-ils pas suffi à certains endroits à l'affaire, pourquoi fallait-il que l'armée elle-même intervienne pour leur prêter main forte ? Manifestement encore, c'est dans les centres industriels que la résistance fut la plus vigoureuse.
Ces faits-là, incontestables — et personne ne les conteste — sont d'une importance autrement plus grande que des spéculations sur ce qui peut opposer Mao à l'hypothétique fraction Liu Shao-shi. Ils soulignent qu'il ne suffit pas de commenter ce que disent les uns et les autres, d'autant moins qu'on n'entend guère d'autre son de cloche que celui du gouvernement, transmis et déformé par les commentateurs occidentaux. […]
Il s'agissait donc de tuer dans l'oeuf la possibilité d'une telle évolution, de mettre au pas le prolétariat, d'étouffer ses aspirations, de prévenir ses revendications, de l'embrigader. Cette mise au pas n'était pas spécialement destinée à être violente. Il s'agissait plutôt d'exercer une pression morale, de façonner la vie quotidienne au nom de l'intérêt de la défense de la patrie. Une telle pression moléculaire de tous les jours ne peut être le fait d'un organe de répression, sauf dans les dictatures les plus féroces et les plus équipées, et ce n'est pas le cas de la Chine. Pour effectuer cette gigantesque mise au pas de la population urbaine et du .prolétariat, pour la soumettre à une pression constante, pour l'encadrer, le régime a effectué une véritable mobilisation de masse. Il pouvait le faire parce qu'il était populaire, parce qu'il était sûr d'avoir la majorité du peuple derrière lui. Mais de toute manière, il a pris soin de mobiliser la partie la plus encadrée, la plus embrigadée de la population. […]
Non ! Le rôle dévolu aux Gardes Rouges ne fut pas d'éliminer les bourgeois. Ce fut, encore une fois, d'agir au niveau moléculaire où les aspirations populaires se manifestèrent. Ce fut d'exercer une pression telle que personne n'osât revendiquer quoi que ce soit de peur de passer, de ce fait même, pour un allié des Américains. […]
Pour conclure, ce qu'on peut affirmer avec certitude, c'est que la Révolution Culturelle n'est pas un approfondissement de la révolution chinoise, dans le sens prolétarien et socialiste du terme. Tout au contraire, elle vise à diminuer la part du prolétariat dans la vie sociale, elle vise à affaiblir le rôle du prolétariat comme force organisée.[…]
N'oublions pas le contexte : la Chine de Mao est depuis sa naissance entourée de la menace impérialiste, menace qui depuis la nouvelle guerre du Vietnam devient de plus en plus précise. […]
L'étouffant étau de l'impérialisme ressoude l'unité nationale derrière Mao, et légitime devant le peuple les mesures d'austérité de celui-ci.
Aussi, le prolétariat chinois a besoin du prolétariat international. A courte échéance pour desserrer l'étau de la menace impérialiste sur la Chine. A longue échéance enfin, si le prolétariat chinois est faible en nombre par rapport à l'énorme masse de la paysannerie, il est fort de ses alliés, c'est-à-dire du prolétariat international. La renaissance politique du prolétariat chinois se fera dans le cadre d'une remontée du mouvement révolutionnaire prolétarien à l'échelle du monde.