par emma-louise » 23 Fév 2003, 09:40
Prostitution
Quelle liberté ?
Aline Pailler, journaliste, auteur de "La Marmite" et de "Femmes en marche", répond ici à une tribune sur la prostitution parue dans "Le Monde" du 8 janvier.
Le 8 janvier dernier paraissait dans Le Monde le manifeste "Ni coupables ni victimes : libres de se prostituer", signé par Marcela Iacub, Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, Régine Desforges, Paula Jacques, Sonia Kronlund et quelques autres.
Il ne peut pas tout à fait aller de la prostitution, qui suscite tant de fantasmes (dans l'inconscient collectif comme dans l'inconscient individuel) et de passages à l'acte, comme d'"un métier comme un autre". Fantasmes que les signataires doivent largement alimenter aux yeux de leurs amants ou de toute autre homme ou femme qui lisent leur manifeste pour la libre prostitution.
Terrain social
Mais quittons ce registre trop sensible, complexe et intime pour revenir sur le terrain social. Le manifeste passe très vite sur la question criminelle de la prostitution forcée, de la violence. Il est vrai qu'aucun gouvernement n'a osé s'attaquer réellement à ce fléau car il y va des intérêts de trop de monde, parfois du "beau monde", pour toutes sortes de profits symboliques ou financiers. Quant aux lois Sarkozy, il est évident qu'elles sont un "remède" pire que le mal.
Pour autant, peut-on affirmer "qu'une femme puisse choisir volontairement ce métier" ou que la prostitution est "un authentique métier" ? Je choisis le champ politique pour répondre à ces questions. En effet, les libertés, les droits en général, ne gagnent jamais à être pensés d'un point de vue moral. Vouloir la liberté de se prostituer (pour les autres !) revient au même que la criminaliser. C'est une fois encore mettre de côté le débat de fond que constituent les rapports de forces sociaux, qu'ils soient de sexe ou économiques.
La prostitution n'est pas exercée dans une société idéale du point de vue des rapports de domination. La violence morale ou physique existe dans les couples, au bureau ou à l'usine. Si on est nombreux à refuser que la santé, la culture, l'être humain soient des marchandises, il faudra un peu plus que ce "manifeste" pour me convaincre que le plaisir, le désir et le corps (de l'homme comme de la femme ) "sauraient être l'objet d'un commerce".
Que la sexualité soit toujours un échange, et souvent avec une "compensation" plus ou moins symbolique, certes. Mais un métier, non ! Imaginons un instant que cela soit institué. Sauf à croire que l'égalité entre les sexes est pleine et entière, ce "travail", comme de nombreux autres très fortement féminisés, serait vite dévalorisé et moins rémunérateur encore que les plus déqualifiés. Une fois cette profession reconnue, qui prendra la plume ou les voix militantes et solidaires pour régler les problèmes qui ne manqueront pas de se poser entre employeur et salarié, travailleur et client ? Certainement pas les signataires que l'on ne retrouve pas souvent dans les luttes ordinaires ! Les prostitué-e-s seront laissés à leur détresse, comme les femmes de ménage d'Arcade ou les employés de chez McDo et autres Daewoo !
Je ne pousserai pas ici le cynisme ou le masochisme à décliner ainsi tous les aspects du droit du travail et des salariés ou de la formation si la prostitution devenait "un métier comme un autre" !
Comment ne pourrait-il pas s'opérer un glissement progressif vers un sous-métier ? Est-ce une profession que ces femmes imaginent pour leurs filles, celles de leurs pairs, leurs amies ou elles-mêmes en cas de baisse de notoriété ou de chômage ?
En cela, cette tribune ne peut en aucun cas se lire dans la lignée des manifestes pour l'avortement écrits par des femmes médecins qui pratiquaient les avortements ou des femmes qui l'avaient décidé pour elles-mêmes et le souhaitaient en cas de besoin pour leurs filles ou amies en même temps qu'elles le revendiquaient pour l'ensemble des femmes. Je ne vois là qu'une posture qui frise le mépris de classe, certainement pas le courage. La prostitution ne sera jamais "un métier comme les autres" car elle sera toujours pour les autres, les étrangers précaires, les déglingués de la société, les pauvres et autres disqualifiés.
Le débat médiatique impose tant de raccourcis que l'on est sommé de choisir son camp même si les questions débattues méritent plus qu'une tribune. Il me faut donc conclure en affirmant sans explication que je suis contre la criminalisation du client, des victimes et des prostitué-e-s, que je milite pour une reconnaissance pleine de leurs droits fondamentaux et sociaux (santé, formation, retraite). Bien entendu, cette reconnaissance est urgente, comme l'est l'engagement du plus grand nombre dans la construction d'une autre société.
La révolution : chiche, mesdames ?
Aline
Rouge 2005 20/02/2003