par Jacquemart » 20 Nov 2004, 10:28
Ce que j'ai lu de plus convaincant à ce propos, je l'ai trouvé chez Duménil et Lévy. Pour résumer leur propos sans les trahir :
- le moteur de l'économie capitaliste, c'est le taux de profit. Celui-ci est fonction de plusieurs facteurs qui sont la productivité du travail, la composition du capital, et le salaire.
- comme l'a montré Marx, dans la société capitaliste, le taux de profit a tendance à connaître une trajectoire à la baisse. Le progrès technique alourdit la composition du capital, ce qui sauf conditions de blocage des salaires très difficiles à imposer pour les capitalistes, conduit à diminuer la rentabilité du capital.
- le système capitaliste a connu une telle évoltuion à la fin du XIXe siècle, dont le résultat a été une crise structurelle des années 1870 à 1890 qui évoque de près celle que nous connaissons aujourd'hui, et l'émergence d'un certain nombre de transformations économiques et sociales de grande ampleur (le capital financier, les grandes entreprises, le taylorisme, l'impérialisme, etc.)
- ces évolutions ont fini par entraîner, aux Etats-Unis tout d'abord (à partir des années 1910-1920) une remontée tendancielle du taux de profit. L'organisation rationnelle de la gestion et de la production a permis tout à la fois un fort progrès de la technique et de la productivité, et, c'est là le noeud de l'affaire, un allègement de la composition du capital. Le travail à la chaîne, le travail en équipe, la diminution des stocks, ont permis aux capitalistes d'employer de moins en moins de capital constant par salarié. C'est dans ces transformations que gît le "ballon d'oxygène" historique du capitalisme, même si ce rebond a été tout d'abord dissimulé par l'énorme crise des années trente.
- ce cours favorable s'est poursuivi aux USA jusqu'aux années 1950-1960, date à laquelle il s'est épuisé, et où les anciennes tendances défavorables ont repris leur cours normal, produisant à terme la "crise" actuelle.
- En Europe, la croissance d'après-guerre s'appuie sur les mêmes tendances favorables qu'aux Etats-Unis, avec entre autres le fait que : 1. le démarrage s'est fait plus tard 2. il est plus facile d'imiter que d'innover. La croissance de la production, de la productivité, et la diminution de la composition du capital en France dans les années 1950-1960, par exemple, est tout à fait spectaculaire. Au bout du compte, le rattrapage effectué (pour une large part), l'Europe et le Japon sont venus se heurter aux mêmes tendances défavorables que celles qui étaient déjà à l'oeuvre aux Etats-Unis.
Pour résumer, je dirais que le capitalisme s'est sauvé pour toute une période historique en créant de grandes entreprises multinationales, en rationalisant la production, en liquidant la petite paysannerie et la petite bourgeoisie du commerce, en séparant la propriété de la gestion, en faisant de la bourgeoisie une pure classe de rentiers... bref, en préparant le socialisme.