a écrit : mercredi 8 septembre 2004, 11h26
La couverture de Beslan illustre la main-mise du Kremlin sur l'information
MOSCOU (AFP) - Images censurées, journalistes arrêtés, rédacteur en chef renvoyé: la couverture de la prise d'otages de Beslan et de son dénouement tragique illustre la main-mise croissante du Kremlin sur l'information disponible en Russie.
"Je pense que les Russes n'ont reçu qu'un dixième de l'information disponible à l'extérieur", a déclaré à l'AFP Oleg Panfilov du Centre du journalisme extrême à Moscou.
Ainsi, vendredi, alors que le monde entier pouvait voir les images d'enfants nus sortant en courant de leur école, à Beslan dans le Caucase russe, au milieu de flammes, de tirs et d'explosions, qui ont fait au moins 336 morts, les téléspectateurs russes devaient se contenter de programmes de divertissement.
Et NTV, longtemps la seule chaîne indépendante du pouvoir mais désormais contrôlée par la compagnie publique Gazprom, a interrompu sa couverture de la tragédie, au moment même où une bombe explosait dans l'école où des centaines d'enfants et d'adultes étaient retenus en otages par un commando pro-tchétchène.
Bien que l'association Reporters sans Frontières ait demandé au ministère de l'Intérieur russe de faire en sorte "que les journalistes puissent remplir leur mission sans obstacle", plusieurs journalistes, connus pour leur ton critique, ont été interdits de se rendre à Beslan.
Et deux reporters géorgiens ainsi que le chef du bureau à Moscou de la chaîne satellitaire Al-Arabiya, qui couvraient la prise d'otages en Ossétie du Nord, ont été arrêtés par les autorités russes.
Quant au rédacteur en chef du quotidien Izvestia, Raf Chakirov, il a affirmé lundi avoir été contraint à la démission, en raison d'un "désaccord" avec sa société d'édition, Profmédia, pour qui la couverture par son journal de la prise d'otages de Beslan était "trop émotionnelle".
Mais, l'adjointe du rédacteur en chef de l'hebdomadaire Moskovskie Novosti, Lioudmila Telen, a estimé que "la vraie raison" de son limogeage tenait dans les critiques du journal "à l'égard de la position des autorités" à Beslan.
Pendant toute la crise, "les journalistes de la télévision russe ont travaillé en gardant un oeil par dessus leur épaule" vers le Kremlin et leurs éditeurs, estime M. Panfilov.
Mais pour lui, "le président n'a plus besoin de donner des directives, les journalistes le font d'eux-mêmes".
"Il y a à la fois de l'autocensure, de la censure des rédacteurs en chef et de la censure des propriétaires", dit-il.
De même, Mark Urnov, expert de l'institut de recherches Expertise Foundation, estime qu'en Russie, la télévision n'exerce pas son rôle de contre-pouvoir mais "sert un autre but", celui de la propagande.
D'ailleurs, un haut responsable de la chaîne Channel One a reconnu sous couvert de l'anonymat que celle-ci était "une chaîne présidentielle".
"Tout ce qui reste, c'est un petit groupe de journaux qui ne sont jamais lus et des analystes qui ne sont jamais entendus", résume Mark Urnov.
Et beaucoup soulignent que les chaînes de télévision ont largement diffusé ces derniers jours des appels aux Russes à participer à la manifestation contre le terrorisme, organisée mardi à l'appel des autorités.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes s'y sont rendues.
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