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La France crève la faim
Aux Restos du cœur, une demande en hausse de 10% par rapport à l'an dernier • Même constat à la Chorba, à l'Armée du salut ou encore au Secours populaire, reflet d'une plus grande précarité de la population •
Par Ludovic BLECHER
jeudi 15 janvier 2004 (Liberation.fr - 18:18)
'il fallait une preuve que la situation sociale s'est aggravée en France, la voici: pour la première fois depuis plusieurs années, les Restos du cœur s'alarment d'une hausse de plus de 10% en moyenne de la demande d'aide alimentaire dans leurs centres de distribution. Situation d'autant plus inquiétante que la campagne d'hiver n'en est qu'à mi-course et que les vagues de grands froids ont, pour l'heure, épargné l'Hexagone.
«C'est tout ce qui touche l'urgence qui est débordé, les camions, les points chauds, indique Patricia Henry, membre du bureau national des Restos. Car ce sont les plus pauvres, souvent à la rue, dont le nombre est en augmentation.»
«Jusqu'à présent, nous restions à un niveau à peu près stable, de 560.000 bénéficiaires par an pour 60 millions de repas distribués», explique-t-elle. L'augmentation actuelle signifie 3 millions de repas supplémentaires.
Cette dégradation de la situation des plus démunis se fait sentir partout. Avec de pointes particulièrement criantes à Paris, où la hausse des demandes d'aide aux Restos est de plus de 30% et, pire encore, dans le sud-est, où l'augmentation dépasse 40%. Populations concernées, selon les Restos: des jeunes, des femmes seules avec enfants, des chômeurs en fin de droits, mais surtout des «personnes déplacées», demandeurs d'asile ou déboutés de leur demande, souvent en famille.
La fondation Armée du Salut, qui distribue chaque soir des repas au pied de l'Eglise Saint-Laurent, dans le Xe arrondissement de Paris, évoque «l'arrivée récente de jeunes afghans autour d'une vingtaine d'année, et beaucoup de familles afghanes avec enfants». Autre signe de l'aggravation des situations d'exclusion: l'augmentation notable du nombre de personnes à qui l'association attribue 12 repas par semaine au lieu de 6 en raison de la grande faiblesse de leur revenus.
D'autres associations émettent, elles aussi, des signaux de détresse. A la Chorba, où des colis alimentaires sont distribués chaque vendredi, c'est l'inflation: «L'année dernière on faisait 200 à 250 colis alimentaires. Cet année, c'est 300 à 350 tous les vendredis.» Son secrétaire général, Houssine Elabd, constate aussi que les «dépannages» sont devenus quotidiens: «Les services sociaux de la mairie du XIIe nous envoie des gens tous les jours. Cette année, on a l'impression que toutes les ficelles ont été serrées.» La fondation Armée du Salut, qui réajuste de façon hebdomadaire ses rations en fonction des chiffres de la semaine passée, dit manquer «chaque soir de 20 ou 30 repas».
De son côté, le Samu social de Paris indique avoir accueilli en urgence, dans la nuit de mercredi à jeudi, 2.384 personnes en famille qui avaient appelé le «115», contre 1.191 en moyenne en décembre 2002. Même constat alarmant au Secours populaire, qui dispose d'un baromètre annuel: son marché de Noël solidaire où des familles viennent chercher en libre service des denrées pour «faire de vraies fêtes de fin d'année». «L'an dernier, 850 à 900 familles sont venues chez nous, note son secrétaire national, Christophe Auxerre. En 2003, nous avons aidé plus de 1.200 familles et personne ici ne s'y attendait». «Ce je pressens depuis que le début d'année se confirme, déplore-t-il. Il y a une poussée qui n'est pas liée au froid, une aggravation générale de la précarité.»
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