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Theo Psaradelis
Acquitté
Ouvrier dans le textile, Theo Psaradelis a adhéré à la section grecque de la IVe Internationale en 1963. Il est emprisonné et torturé sous la dictature des colonels en 1969. Il s'évade au bout de trois mois et rejoint en barque la Turquie puis la Bulgarie. La police stalinienne l'arrête et le remet aux mains des Grecs. Il est alors condamné à treize ans et demi de prison. Libéré sous condition en 1972, pour raisons de santé, il rejoint clandestinement la France où il va militer à la LCR avant de rentrer en Grèce lors de la chute de la dictature, en septembre 1974. Il est à nouveau arrêté au cours de l'été 2002, avec une vingtaine de personnes.
- Tu as été arrêté pendant l'été 2002. De quoi étais-tu accusé ?
Theo Psaradelis - Dans cette histoire, j'étais accusé d'avoir participé à deux hold-up, en 1988 et 1991. Grâce au soutien de ma défense, de mes camarades et de ma famille, j'ai eu la chance de prouver mon innocence. Nombreux sont ceux qui sont condamnés sans preuve réelle. L'autre accusation que j'ai dû affronter est celle de participation à une organisation criminelle, le Groupe du 17 Novembre. Il s'agit d'un groupe d'extrême gauche qui pratique la lutte armée par des assassinats politiques ciblés. J'ai été acquitté du fait de la prescription : les juges ont considéré que j'étais membre du Groupe du 17 Novembre mais que je m'en étais retiré avant avril 2001 (date à partir de laquelle il s'est agi d'un crime et non plus d'un délit) et la mise en application de la loi antiterroriste en Grèce. En quelque sorte, j'aurais été un membre fantôme du groupe sans avoir jamais participé à ses attentats.
Trois autres personnes ont aussi été acquittées. Parlant de nous quatre, un journal titrait "Condamnés, jugés et enfin acquittés", cela résume bien comment les choses se sont passées. Nous avons tous été condamnés par les médias avant même d'être jugés. Au début du procès, le tribunal a décidé que nous n'étions pas des prisonniers politiques mais des prisonniers de "droit commun" et que les crimes dont on nous accusait étaient des crimes de droit commun. Cela ne m'a pas étonné, je suis passé en procès plusieurs fois avant la dictature des colonels et deux fois pendant. A chaque fois, c'était pour des délits de droit commun du type "entrave à la circulation", suite à des manifs par exemple. Aucun régime n'admet qu'il juge des opposants politiques et ce n'est pas différent sous le Pasok [parti social-démocrate, NDLR].
S'ils avaient admis le caractère politique du procès, nous aurions été jugés par un jury populaire. Et cela, le gouvernement ne le voulait à aucun prix. Ils n'ont pas confiance dans les jurys populaires. Malgré tous leurs efforts, ils n'ont pas pu empêcher que durant ce procès on parle de politique. Finalement, j'ai été acquitté, ainsi que Iannis Sérifis, Anestis Papanastassiou et Anguéliki Sotiropoulou. Je pense, en ce qui me concerne, qu'avec mes avocats et les témoins qui sont venus me soutenir, je suis parvenu à convaincre les juges de mon innocence. Aujourd'hui, sur les quatre, deux vont être de nouveau jugés car le procureur a fait appel de la décision du tribunal. Il s'agit d'Anguéliki Sotiropoulou et de Iannis Sérifis - notons que pour ce dernier le procureur lui-même avait proposé son acquittement du fait de la prescription, ce qui le laissait exposé au danger d'extradition, mais le tribunal l'a proclamé innocent pour cause de doutes.
Quant aux six autres accusés - Gitopoulos, Savas Xiros, Christodoulos Xiros, Vassilis Tzortzatos, Dimitri Koufodina et Iraklis Kostaris - ils ont été condamnés à la perpétuité, bien que les juges ne soient parvenus à faire la preuve de leur culpabilité.
- Quel jugement as-tu sur ce procès ? Que penses-tu du groupe du 17 Novembre ?
T. Psaradelis - Ceux que j'ai connus en prison et qui admettent leur participation au 17N sont des militants d'extrême gauche qui se sont fourvoyés dans une direction erronée et sans issue. Ils ont fait un choix politique que j'ai toujours combattu, en tant que membre de la IVe Internationale. Même sous la dictature, je n'étais pas d'accord avec les camarades qui posaient des bombes et je l'ai clairement dit à l'époque.
- Y a-t-il un lien avec la campagne "antiterroriste" de l'administration étatsunienne ?
T. Psaradelis - Bien sûr. La pression des Etats-Unis est très forte, et le gouvernement grec s'y soumet, entre autres parce qu'il y a le chantage aux Jeux olympiques : "Si vous voulez faire vos jeux, il faut faire ce qu'on vous dit sur le plan de la sécurité ." Le danger qui se profile est celui du "mithridatisme", comme l'a dit mon avocat dans sa plaidoirie : on s'habitue de plus en plus aux violations des droits politiques, sociaux, démocratiques acquis, dans l'espoir de jouir de plus de sécurité. Maintenant on entend dans les médias qu'il est question de nous extrader vers les Etats-Unis parce que les familles des étatsuniens tués par le 17N sont mécontentes de la décision. Sous la dictature, je m'étais évadé en Bulgarie et le régime stalinien m'a livré aux colonels. Il ne me reste plus qu'à être livré aux Etats-Unis - qui ont amené la dictature en Grèce - par un régime socialiste et la boucle sera bouclée.
- Quelle solidarité s'est exprimée pour toi en Grèce et à l'échelle internationale ?
T. Psaradelis - En Grèce, j'ai été soutenu par les camarades trotskystes, par le Réseau pour les droits politiques et sociaux, par le Regroupement contre le terrorisme d'Etat. J'ai été soutenu aussi par des camarades inorganisés, les amis, la famille, des gens de gauche qui se sont déclarés spontanément en ma faveur. Aucun soutien de la part de la gauche traditionnelle. Le PC grec n'a même pas jugé utile de dénoncer les violations des droits des accusés : violation de la présomption d'innocence, tribunal d'exception, régime carcéral spécial les mois qui ont précédé le procès, etc.
Sur le plan international, j'étais l'accusé le plus soutenu. Un appel demandant ma libération a été signé par des personnalités connues. Mes vieux camarades Alain Krivine, Catherine Samary, Mikael Löwy, Eleni Varika et d'autres sont venus témoigner au procès ; tous et toutes, je tiens à les remercier, et surtout Gilles Perrault, qui a écrit dans le Monde diplomatique un article qui a eu un grand retentissement et a fait le voyage pour venir me voir en pleine canicule.
- Quelle attitude faut-il avoir pour les autres inculpés ?
T. Psaradelis - Pour ceux qui reconnaissent leur participation au 17N, il faut les reconnaître en tant que composante du mouvement ouvrier. C'est très important pour des militants qui vont être condamnés à quinze, dix, quatre fois la perpétuité. Il faut soutenir ceux qui affirment leur innocence, réclamer le respect des droits et un procès équitable en appel qui reconnaisse le caractère politique des actions pour lesquelles ils sont accusés.
Propos recueillis par Alain Krivine
Rouge 2045 25/12/2003