Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Marxisme et mouvement ouvrier.

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 23 Avr 2023, 18:07

J'ai passé les journées de Juillet. C'est effectivement irremplaçable.
Comme l'avait écrit pouchtaxi, Trotsky, dans son Staline, y qualifie les mémoires de Soukhanov d'ouvrage «irremplaçable»:
Un des historiens de cette période, le menchévik de gauche Soukhanov, auteur du manifeste mentionné plus haut, « Aux travailleurs du monde entier », dit dans ses irremplaçables Notes sur la révolution : « Chez les bolchéviks, à ce moment là, il y avait, outre Kamenev, Staline qui paraissait au Comité exécutif... Pendant la période de son activité modeste... (il) produisit et non pas sur moi seulement, l'impression d'une tâche grise, apparaissant et disparaissant d'une manière terne et sans laisser de trace. Il n'y a vraiment rien d'autre à dire de lui. » Par la suite, Soukhanov paya de sa vie ce refus d'en dire plus.

Notre Soukhanov y est mentionné 4 fois dans le Staline. Il est aussi parfois juste mentionné, sans être nommé, comme «chroniqueur attentif et consciencieux»:
À propos de la première intervention de Lénine [retour de Suisse] à la conférence des bolchéviks, un chroniqueur attentif et consciencieux de la révolution écrit : « Je n'ai pas oublié ce discours tonitruant, qui me secoua et me stupéfia, et non pas seulement moi, hérétique venu par hasard, mais aussi tous les orthodoxes. J'affirme que personne ne s'attendait à rien de semblable. »

Trotsky, dans ce même livre, cite aussi – avec satisfaction:
« Oui, les bolchéviks ont travaillé assidûment et inlassablement », témoigne Soukhanov, menchévik de gauche. « Ils étaient avec les masses, à l'usine, quotidiennement, constamment… Les masses vivaient et respiraient avec les bolchéviks. Elles étaient dans les mains du parti de Lénine et de Trotsky. » Dans les mains du parti, mais non pas dans celles de son appareil.

Par contre, dans l'Histoire de la révolution russe par Léon Trotsky, Soukhanov est cité très, très souvent: il est mentionné ...188 fois (83 fois dans Février, 105 fois dans Octobre).
Ça semble bien irremplaçable.
Cyrano
 
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 23 Avr 2023, 18:15

J'ai écrit : «Le livre est sorti en 1922 et 1923.». J'aurais dû lire l'avant-propos des éditions Smolny et la préface de Nilokaï Soukhanov...
Ces Carnets de la révolution russe sont répartis en 7 tomes dont la parution s'échelonne de 1919 à 1921. Soukhanov s'est donc mis au boulot très tôt: il commence la rédaction des Carnets dès juillet 1918. Il écrit dans la préface au premier tome:
«Ces Carnets ne doivent pas être lus comme une histoire de la Révolution russe, ni même comme un essai historique, fût-il des plus légers et des plus modestes. Ce serait injuste et fallacieux. Il s’agit la de souvenirs personnels, et rien de plus
Il se qualifie lui-même comme «auteur de contrebande». Mais c'est un bon contrebandier.

A la fin de cette préface, il écrit:
«[Que le lecteur] garde en tête également le fait suivant : j'utilise partout l’ancien calendrier, celui dans lequel se sont déroulés les événements et dans lequel je m’en rappelle.»
Hein?!
La calendrier Julien? C'est quoi le décalage, déjà? Perdu dans rues de Petrograd, j'vas être perdu dans les dates. C'est du vicieux, le calendrier Julien: c'est en retard sur notre calendrier de 13 jours. Pas deux semaines, par 14 jours, mais non, 13 jours. Ainsi le livre s'ouvre avec le 21 février, alors attends, du coup, alors, donc, chez nous, voilà, c'est le 6 mars. OK… Mouaih…
Cyrano
 
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 23 Avr 2023, 18:19

C'est dit plus haut, Trosky avait noté pour la description par Soukhanov de l'arrivée de Lénine dans son wagon plombé était une «une page très vivante». Ça dure en fait vingt pages.
En v'la un p'tit bout, l'arrivée même de Lénine descendant de son train au son de La Marseillaise. Profitez bien, je ne vous remettrai pas d'autres extraits aussi longs.
La foule massée devant la gare de Finlande couvrait toute la place, empêchant tout mouvement et bloquant presque les tramways. Au-dessus des bannières rouges flottaient, plus haut que les autres, un immense étendard aux lettres cousues d'or : «Comité central du POSDR (bolchevik)». Sous les bannières rouges, dans l'entrée latérale, dans les anciens appartements tsaristes, des troupes avaient été déployées avec des orchestres. De nombreuses automobiles étaient là, le moteur ronflant. A deux ou trois endroits, on voyait émerger de la foule les contours terribles d’un véhicule blindé. Et dans la rue adjacente, un monstre inconnu, un projecteur était braqué sur la place, effrayant et dispersant la foule, éclairant et rejetant soudainement dans une nuit impénétrable des pans énormes de la ville en activité, des toits, de hauts bâtiments, des colonnes, des filins, des tramways et quelques figures humaines.
[…]
Le train eut beaucoup de retard mais il finit par arriver. Une Marseillaise tonitruante fut entonnée sur le quai et des cris de bienvenue retentirent. Nous restâmes dans les appartements tsaristes tandis que les «généraux» du bolchevisme accueillaient Lénine devant le wagon. Puis le cortège se fit entendre sur le quai, sous les banderoles triomphales, en musique, passant entre les haies de soldats et d’ouvriers qui le saluaient. Tchkheïdzé, maussade, sortit au milieu de la pièce et nous lui emboitâmes le pas, nous préparant à la rencontre. Et quelle rencontre! Ma pauvre plume n’en est pas digne !

Sous le portail apparut d’abord Chliapnikov, solennel et empressé: dans le rôle de maître de cérémonie, il avait l’air d’un bon vieux commissaire de police annonçant la bonne nouvelle de la venue du gouverneur. Sans nécessité particulière, il se mit à crier d’un air soucieux : «Permettez, camarades, Laissez-nous passer, camarades, laissez-nous passer!» Derriére Chliapnikov, à la tête du petit groupe de gens sur lesquels la porte des appartements tsaristes s’ouvrit, Lénine marchait ou plutôt courait, sous un chapeau rond, le visage frigorifié et on énorme bouquet entre les mains. Arrivé au milieu de la pièce, il s'arrêta devant Tchkheïdzé comme s’i1 venait de se heurter à un obstacle absolument inattendu.

Sans se départir de son air maussade, Tchkheïdzé prononça un discours de bienvenue qui avait l’esprit, la lettre mais également le ton d’un sermon :

«Camarade Lénine, au nom du Soviet de Pétersbourg des députés ouvriers et soldats, et de toute la révolution, nous vous souhaitons la bienvenue en Russie, mais nous considérons que la tâche principale de la démocratie russe est à présent la défense de notre révolution contre toutes les atteintes qui la menacent, à l’intérieur comme à l’extérieur. Nous considérons qu’il est nécessaire, à cette fin, de ne pas nous diviser mais de serrer les rangs de toute la démocratie. Nous espérons que vous servirez ces buts avec nous...»

Tchkheïdze se tut. J’étais stupéfait. Comment réagir a un tel «accueil» ? A ce «mais», tout a fait charmant... Lénine, manifestement, savait très bien comment réagir à tout cela. Il donnait l’impression que tout ce qui venait de se passer ne le concernait pas le moins du monde. Il regardait à côté, examinant les personnes qui l'entouraient et même le plafond de l’appartement tsariste, arrangeait son bouquet – assez peu assorti au reste de sa figure. Puis, tournant complètement le dos à la delegation du Comité exécutif il fit cette réponse :

«Chers camarades, soldats, matelots et ouvriers ! Je suis heureux de saluer en vous la Revolution russe victorieuse, de saluer en vous le détachement d’avant-garde de l’armée prolétarienne mondiale. La guerre de pillage impérialiste est le début d'une guerre civile dans toute l’Europe. Le temps approche où, à l’appel de notre camarade Karl Liebknecht, les peuples tourneront leurs fusils contre leurs exploiteurs capitalistes. L'aube de la révolution mondiale s'est déjà levée. En Allemagne, c'est l'effervescence... D’un jour à l’autre, à tout moment, l'effondrement menace l'impérialisme européen. La Révolution russe que vous avez accomplie a ouvert la première brèche, marqué le début d’une ère nouvelle. Vive la révolution socialiste
mondiale !
»

Non seulement ce n’était pas vraiment une réponse à l’«accueil» de Tchkheîdzé, mais ce n’était pas non plus une réponse, ni même une réaction au «contexte» général de la Révolution russe tel que tout le monde le percevait, témoins et participants. Tout le contexte de notre révolution – pas seulement Tchkheïdzé – tirait à hue, et Lénine, directement depuis la fenêtre de son wagon plombé, sans rien demander à personne, sans écouter personne, tirait à dia...

C'était vraiment curieux! Pour nous tous qui étions pris sans interruption dans le travail quotidien prosaïque et abrutissant de la révolution, par les besoins du moment, par des affaires urgentes mais bien peu historiques, une lumière forte, aveuglante, un peu exotique frappait soudain nos yeux, occultant tout ce que nous «vivions». Dans notre révolution, une note non pas antagonique au «contexte», non pas dissonante, mais nouvelle, puissante et quelque peu bouleversante venait de s’élever.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Duffy » 23 Avr 2023, 20:48

Merci :D
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Ottokar » 23 Avr 2023, 21:42

J'ai commencé à le lire, c'est bavard. Intéressant sur ce que pense le milieu qu'il fréquente, le personnel politique. Mais du coup ses souvenirs de février sont bien plus dans les salons, les couloirs et les lieux officiels que dans la rue où ça se décide. Assez drôle de voir que tandis que la rue se bat, d'autres sont déjà en train d'occuper les postes de pouvoir...
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par com_71 » 23 Avr 2023, 21:56

Ottokar a écrit :Assez drôle de voir que tandis que la rue se bat, d'autres sont déjà en train d'occuper les postes de pouvoir...

Drôle, drôle... :(
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Ottokar » 24 Avr 2023, 06:54

Mon "drôle" est ironique évidemment. Tellement classique. Les leaders des insurrections de la révolution française s'installent au pouvoir qu'ils ont conquis, après le 10 août 92 ou le 31 mai 93. Mais ensuite, en 1830 comme en 48, on voit se développer le même phénomène. La rue se bat et meurt, tandis qu'en coulisse, les politiques traditionnels occupent la place en cherchant des solutions de secours. Trotsky le montre très bien en racontant février à partir de souvenirs de bolcheviks dans la rue et les régiments, tandis que socialistes modérés et bourgeois s'installent.
Le récit de Soukhanov confirme aussi cela. En février, aux yeux des masses, seul le soviet existe. Ce sont des socialistes comme lui, convaincus que seule la bourgeoisie peut gouverner, qui vont remettre le pouvoir à ses représentants.
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par artza » 24 Avr 2023, 07:13

Trotsky explique,
...les intellectuels radicaux croyaient à ce qu'ils désiraient, on le voit par le témoignage de Soukhanov... qui ne sortait presque pas du palais de Tauride, et qui tenait par le bouton de leur veste les députés notoires...
artza
 
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 25 Avr 2023, 09:04

Diderot disait du roman épistolaire "Julie ou la nouvelle Héloïse" qu'il le trouvait trop feuillu. J'ai bien aimé cette expression, elle s'appliquerait assez bien aux Carnets de Soukhanov.
Mais en commençant le livre, on sait à quoi on s'attend : le premier volume va du 21 février au 24 juin, avec 800 pages. Faut pas s'attendre à du laconisme, non? Dans le deuxième volume, les 5 jours des journées de juillet sont racontés en 85 pages. Y'a donc forcément à lire. Soukhanov aurait peut-être pu élaguer un peu, mais ce n'est pas bavard, le terme me semble péjoratif. Bavard, mouaih, oui, non, peut-être: à chacun sa lecture.

Soukhanov a posé les limites de son texte : faut pas y chercher une histoire de la révolution russe, ce sont ses souvenirs personnels, uniquement, «rien de plus». Léon Trotsky a écrit une histoire de la révolution russe, ce n'est pas le même projet. Faut pas chercher chez Soukhanov ce qu'il n'a pas promis de donner, ce ne serait pas fair-play.
Mais clairement, faut lire un bouquin ou une brochure sur la révolution russe avant de parcourir ces volumes feuillus.

Dans le volume "Février" de son "Histoire de la révolution russe", éditions du Seuil, Trotsky écrit : «Reconstituer un vivant tableau des événements qui se sont produits dans la rue est presque inconcevable. On doit être heureux si l'on réussit à en retrouver la succession générale et la logique interne
Les 5 journées de Février, du 23 au 27, sont décrites par Trotsky en 35 pages. Soukhanov y consacre 80 pages. Et on ne voit pas que les ors du Palais de Tauride.
Au fait, après les 35 pages "Du 23 au 27 février", Trotsky nous propose les trois chapitres suivants: "Qui dirigea l'insurrection de févier?"; "Le paradoxe de la révolution de février"; "Le nouveau pouvoir"; "La dualité de pouvoirs"; "Le Comité Exécutif". Plus d'une centaine de pages où Soukhanov est cité sans arrêt – et ça se passe «bien plus dans les salons, les couloirs et les lieux officiels que dans la rue où ça se décide

Et puis, eh! Faudrait se rafraîchir la mémoire. Que faisaient donc les bolchéviks, sinon, soutenir le gouvernement de coalition puisque la révolution était faite, que maintenant on allait avoir une nécessaire république démocratique bourgeoise selon l'orthodoxie du développement de la Russie. Soukhanov nous dit qu'il n'y avait que Kollontaï pour soutenir Lénine dans ses élucubrations qualifiées d'«anarchistes» en avril. Zinoviev et Kamenev y furent toujours opposées.

Ces deux volumes ne sont pas uniquement de Nikolaï Soukhanov: il y a aussi le travail des éditions Smolny.
On a une chronologie des évènements dont il va âtre question dans les mémoires. Même plus dans le volume 1 puisque la chronologie remonte à 1825. On a des cartes de Pétrograd pour les personnes comme moi qui s'y perdent – ça se passe aussi dans les rues.
On a une iconographie exceptionnelle avec des photos des évènements et des protagonistes. Ce qui est écrit sur les banderoles des manifs est traduit – et c'est souvent riche d'enseignement. On a quelques notes, j'y ai appris que la verste vaut à peu près 1 km (pour moi, la verste, ça reste très Michel Strogogff).

On a des annexes pertinentes.
Par exemple, la fameuse lettre ouverte de Kamenev du 18 octobre 1917. On a un texte de Lénine de 1923 "A propos des mémoires de Soukhanov" et un texte de Trotsky de 1930 sur une interpétation de Soukhanov. Dans ce texte, tiens, au fait, Léon Trotsky écrit:
«Malgré toutes les imperfections de cet ouvrage (prolixité, impressionnisme, myopie politique) qui en rendent par moment la lecture insupportable, on ne peut s'empêcher de reconnaître la sincérité de l'auteur qui fait de son ouvrage une source précieuse pour l'histoire

Faut le lire!
Il ne faut pas remarquer que les trucs nunuches du bouquin de Soukhanov, ou les appréciations critiques. On peut être encore capable d'enthousiasme.
Cyrano
 
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Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Ottokar » 25 Avr 2023, 16:00

J'en ai lu 250 pages, j'ai encore du taf ! Cela se lit bien, c'est vrai mais c'est à déconseiller à qui n'a pas lu au moins l'Histoire de la révo russe de Trotsky, et ce serait mieux d'avoir lu aussi quelques autres titres : les passages du Staline de LT sur 17 et notamment l'annexe "trois conceptions de la révolution russe". Plus les oeuvres de Lénine de 17, plus les livres republiés au moment du centenaire (Petrograd la rouge, les comités d'usine, le soviet...), etc. etc. Bref ce journal écrit à chaud, en 18-20, lu par ceux qui avaient vécu les évènements doit être remis dans son contexte.

Au bout des premières 250 pages, le gouvernement est laborieusement formé et je n'en suis qu'au 5e jour de la révolution... bon, Soukhanov dit qu'ensuite ça va plus vite. Il ne sort pas de Tauride en effet. On est pour l'essentiel dans les négociations entre ce qu'il appelle "la démocratie" (les soviets) qui a fait la révolution et "la bourgeoisie censitaire", ex-députés, dignitaires de l'ancien régime. Le problème de ces gens-là est que la bourgeoisie aimerait des changements, mais craint par dessus tout l'activité des masses. La fois d'avant, en 1905, elle s'est ralliée au tsarisme et elle serait prête à le refaire. Mais la rue et les soldats ne lui en laissent pas le temps, le régime non plus, car il s'écroule.

Soukhanov sent bien que les soldats et les ouvriers détestent non seulement les Romanov mais aussi les officiers et les généraux qui les répriment, les bourgeois, les possédants. Ils ne connaissent que le soviet et ne veulent parler, obéir qu'au soviet. Or les dirigeants du soviet, les socialistes, sont prisonniers de leurs schémas : la révolution qui vient est "bourgeoise", et une révolution bourgeoise doit mettre la bourgeoisie au pouvoir. D'où la contradiction entre les "censitaires" à qui ils donnent le gouvernement et le soviet qui a le pouvoir réel. Le premier acte du soviet est de reconnaître des libertés de citoyen aux soldats, et d'encourager la généralisation des comités de régiments et de représentants au soviet. On imagine la tête des généraux... qui essaient de publier un ordre inverse, rappel à la discipline, puis s'écrasent prudemment. Et tout est à l'avenant, Soukhanov le théorise et le décrit. Un gouvernement en sort, Kerenski qui n'a rien demandé à personne y entre, alors que les représentants officiels du soviet (dont il membre) ont décidé de ne pas en faire partie. Et on met la poussière sous le tapis, en ne disant pas par exemple si on continue la guerre ou si on l'arrête.

Quant aux bolchéviks, dans les descriptions de Soukhanov, ils manquent d'une direction claire. Les seuls dirigeants cités sont Chliapnikov, décrit comme "gauchiste" car trop sensible aux ouvriers aux yeux de Soukhanov, et Molotov qui n'a pas l'air de peser d'un grand poids (mais c'est un adversaire politique qui parle...). Les interventions rapportées montrent qu'ils n'ont aucune confiance dans la bourgeoisie et qu'eux, ils ne s'appuient que sur les masses, le soviet. Mais ils ne sont pas capables d'en tirer les conséquences, car ils sont eux aussi prisonniers de vieilles formules. Ils attendaient que la révolution mettre en place la "dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie". Cela aurait pu (dû) se matérialiser par un gouvernement soviétique (= issu du soviet) et ce, dès février. Mais, et c'est le "paradoxe de février" décrit par Trotski, les partis du soviet remettent leur pouvoir à la bourgeoisie... sans que les masses lâchent la réalité du pouvoir. D'où cette situation de "double pouvoir" qu'on vit de l'intérieur dans le récit. Et cela se passe au sein d'un même bâtiment, le palais Tauride (l'ancienne Douma) : à l'aile droite du palais, la bourgeoisie et à l'aile gauche, siège le soviet !

La suite au prochain épisode. Je ne regrette pas de le lire mais encore une fois cela doit être lu avec une certaine distance. Ce n'est pas à conseiller à n'importe qui. Et vu la longueur, je ferai peut-être des pauses : le tome I fait 850 pages et le tome II autant !
Ottokar
 
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