Dans ces années là, qui dit Italie dit fascisme. Angélica en profite pour nous donner son avis sur les fascismes allemands et italiens.
J’aimerais préciser ici la différence opposant les deux « triomphes » italien et allemand. En Allemagne, la défaite de la classe ouvrière fut presque entièrement due à la division et à la démoralisation des années précédant 1932, ainsi qu’à la ligne communiste de « social-fascisme », qui rendit impossible toute espèce de front uni. L’Allemagne comptait en effet des millions de travailleurs organisés qui, sur un même mot d’ordre, auraient pu se mobiliser et empêcher la victoire d’Hitler. Il faut ajouter qu’une grande part du nouvel électorat communiste passa en 1932 au Parti Nazi. d’abord parce que les divisions internes du mouvement ouvrier l’avaient découragée et dégoûtée, ensuite parce que les mêmes raisons qui l’avaient poussé au début à adhérer au communisme le poussèrent plus tard à rejoindre le fascisme.
En Italie, le fascisme en tant qu’idéologie ne triompha jamais Ce fut seulement la victoire de l’huile de ricin, du poignard et de la bombe. La foi des travailleurs dans le socialisme, leur haine du fascisme demeurèrent intacts. […].
Je me contenterai de souligner que pendant trois ans et demi, les masses italiennes s’opposèrent aux sanglants ravages des bandes fascistes et préférèrent voir détruire leurs organismes plutôt que de céder à leurs oppresseurs. Les fascistes allemands, eux, n’éprouvèrent aucune difficulté à occuper des milliers de centres ouvriers répartis dans tout le pays. J’aimerais également souligner que tant que le Parlement a continué d’exister en Italie, en dépit de la répression féroce qui accablait les députés et les électeurs, le nombre de bulletins de vote accordés aux partis ouvriers n’a jamais baissé. C’est probablement ce fait qui persuada les fascistes italiens que seules l’extermination physique et la suppression du parlementarisme leur permettraient d’arriver à leurs fins.
Angelica insiste : «en dépit de la répression féroce qui accablait les députés et les électeurs, le nombre de bulletins de vote accordés aux partis ouvriers n’a jamais baissé.»
Ce que dit Angelica sur l'Italie peut être rapproché de ce que dit Léon Trotsky à des camarades américains, en 1938, dans une "Discussion sur le Programme de Transition". Léon Trotsky remarque lui aussi que les travailleurs italiens, malgré la terreur organisée par les fascistes, avait continué de voter pour les partis ouvriers. On est en juin 1938, faisons une digression avec ce texte de Léon Trotsky :
Ces jours-ci, j’ai lu un livre en français, écrit par un ouvrier italien, sur la montée du fascisme en Italie. L’auteur est un opportuniste. C’était un socialiste, mais ce qu’il y a d’intéressant, ce ne sont pas ses conclusions, ce , sont les faits qu’il relate. Il dresse le tableau du prolétariat italien, spécialement en 1920-1921. Il était puissamment organisé. Il y avait 160 députés socialistes au Parlement. Ils tenaient plus d’un tiers des communes et les parties les plus importantes de l’Italie, centre du pouvoir ouvrier, étaient aux mains des socialistes.
Aucun capitaliste ne pouvait embaucher ou débaucher sans l’aval du syndicat, et cela concernait aussi bien les ouvriers agricoles que les travailleurs de l’industrie. Cela semblait être 49 % de la dictature du prolétariat, mais la réaction de la faible bourgeoisie et des officiers démobilisés face à cette situation fut terrible. Ensuite, l’auteur raconte comment ils organisèrent de petites bandes dirigées par des officiers, que des autobus convoyaient à travers tout le pays. Trente hommes organisés investissaient une des cités de 10 000 habitants contrôlées par les socialistes, ils mettaient le feu à la mairie, brûlaient les maisons, fusillaient les dirigeants, imposaient les conditions de travail voulues par les capitalistes, puis ils partaient ailleurs et recommençaient la même chose dans des centaines de villes l’une après l’autre. En faisant régner une terreur effroyable et en agissant systématiquement de la sorte, ils détruisirent totalement les syndicats et devinrent donc les maîtres de l’Italie. Ils étaient pourtant une petite minorité.
Les travailleurs déclenchèrent la grève générale. Les fascistes envoyèrent leurs autobus briser chaque grève localement et, avec une petite minorité organisée, ils balayèrent les organisations ouvrières. Après cela, il y eut des élections et les ouvriers terrorisés élurent le même nombre de députés. Ces derniers protestèrent au Parlement jusqu’à sa dissolution. C’est là la différence entre pouvoir formel et pouvoir réel. Ces députés étaient tous persuadés détenir le pouvoir, pourtant cet immense mouvement empli de l’esprit de sacrifice fut balayé, écrasé, réduit à néant par quelque 10000 fascistes bien organisés, prêts à se sacrifier et ayant de bons chefs militaires.
Discussion avec Léon trotsky sur le Programme de Transition. Edition Les Bons Caractères.
La défaite du mouvement ouvrier, la plus lourde responsabilité, Angelica Balabanoff l'attribue au Komintern.
Dans cette défaite du mouvement ouvrier mondial, commencée avec la victoire du fascisme italien, la plus lourde responsabilité du Komintern réside peut-être dans le découragement général que cette victoire provoqua chez les militants sincères les années suivantes. Des milliers d’entre eux, irrités et déçus, glissèrent du mouvement vers l’inaction, comme le font aujourd’hui des milliers d’autres, à la suite des récents événements de Russie. Ils furent à tout jamais perdus pour la cause.