Par Workers World,
Une interview
avec Victor Shapinov,
coordinateur et principal théoricien
de l’organisation marxiste
Union Borotba (La Lutte) d’Ukraine.
Volet 1: Communistes ukrainiens: face à face avec le fascisme du 21ème siècle !
Simféropol, Crimée – 22 septembre 2014
Victor Shapinov vit actuellement en exil avec d’autres militants de Borotba, en Crimée, sous la menace d’arrestation par le régime putschiste soutenu par les USA à Kiev.
Workers World: Quel est le rôle de l’impérialisme américain en Ukraine aujourd’hui?
Shapinov Victor: Il est très important maintenant et Maïdan l’a montré. (Maïdan est le mouvement pro-impérialiste qui a pris son nom de la place centrale de Kiev, la capitale ukrainienne, où se sont tenues des manifestations à la fin de 2013 et début 2014. La structure de ce mouvement, extensivement financée et soutenue politiquement par le gouvernement des États-Unis, était composé de gangs et de partis politiques néo-nazis. – WW)
(Maïdan a abouti au renversement du gouvernement du président élu Viktor Ianoukovitch en Février. Il amena au pouvoir une alliance d’oligarques, de politiciens fascistes et néolibéraux qui ont mené une guerre brutale contre la classe ouvrière, la population russophone, principalement de la région du Donbass et contre les antifascistes à travers l’Ukraine.)
Avant le Maïdan, nous ne croyions pas que le rôle des États-Unis était si important dans des pays comme l’Ukraine. Nous riions parfois des théoriciens du complot qui disaient que tout ce qui arrivait était produit par le département d’État US, par la CIA et ainsi de suite.
Bien sûr, ce n’est pas vrai, parce que sa vraie base (du mouvement Maïdan) est la crise capitaliste. L’Ukraine n’était que le maillon faible dans la chaîne de pays post-soviétiques. Il y a beaucoup de contradictions. Différentes forces impérialistes et même non impérialistes, essaient de profiter de la situation pour atteindre leurs objectifs. Cependant, l’impérialisme américain possède les meilleurs instruments dans ce domaine.
Par exemple, dans la politique ukrainienne, l’impérialisme américain ne se limite pas aux agents directs qui sont actifs dans la vie politique et qui détiennent des positions pro-occidentales. Tout autour, ils ‘ont des bonnes relations et des alliances avec des organisations non gouvernementales (ONG) et des organisations des droits de l’homme. Elles ne soutiennent pas toujours directement l’impérialisme américain, mais dans les moments critiques – par exemple, quand Maidan a commencé – dans cette situation, elles reçurent l’ordre d’y aller et elles y sont allées.
Nous, nous sommes allés enquêter sur Maïdan dès le début [en Novembre 2013]. Nous avons vu seulement 1000 personnes, et beaucoup venaient des ONG, des organisations de droits de l’homme et autres semblables. Nous avons reconnu beaucoup d’entre eux que nous connaissions personnellement, parce que quand vous êtes actif dans la politique que vous les connaissez forcément.
Du point de vue des mécanismes politiques et financiers, l’Ukraine se trouve totalement intégré dans le système dirigé par les États-Unis. Les oligarques ukrainiens ont tous de l’argent, des comptes bancaires en Europe et aux États-Unis et ils sont étroitement liés avec le capital impérialiste.
Nous avions aussi des consultants politiques: comme Paul Manafort [US lobbyiste et campagne conseiller de plusieurs présidents républicains]. Il était un confident de l’ancien président Ianoukovitch. Mais tous les hommes politiques ukrainiens lui demandaient conseil. Il était très pratique pour eux d’aller lui demander comment faire quoi que ce soit. Il était un des moyens de Washington d’influencer les événements. Ce n’était pas manifeste; c’était de la communication de certains politiciens ukrainiens avec des forces des États-Unis afin de trouver les moyens de faire les choses dans la politique ukrainienne.
Un autre de ces mécanismes ce sont les crédits du Fonds Monétaire International. Tous les gouvernements ukrainiens précédents [depuis l'éclatement de l'URSS en 1991] étaient tributaires de crédits du FMI. Le montant de la dette est toujours en augmentation croissante, ce qui permettait à l’Ouest de poser des conditions ; par exemple, la destruction du système social de santé ou l’augmentation du prix du gaz pour la population.
WW: Quel est votre point de vue sur l’accord de cessez-le-feu négocié à Minsk? [Les accords de Minsk ont été négociés à l'initiative de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Représentant de l'Union européenne) et la Fédération de Russie. L'accord, signé le 5 septembre, était censé mettre fin à la guerre civile entre l'Ukraine et les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk nouvellement indépendants de la région sud-est où se trouvent les exploitations minières du Donbass. Le 16 Septembre, le parlement ukrainien a adopté une loi accordant «A certaines régions de Donetsk et de Lougansk » un statut spécial pour trois ans.]
VS: Il n’y a pas de réel cessez le feu. Les attaques militaires ukrainiennes n’ont pas cessé, même pas un jour.
Après le traité de Minsk, nous avons vu l’attaque d’artillerie la plus cruelle jamais effectuée, sur la ville de Donetsk, plus encore que dans les jours les plus durs de la guerre. Nous croyons qu’il y a une sorte de négociation sous-la-table entre l’impérialisme américain, l’Union européenne et [le président russe Vladimir] Poutine sur la façon de ralentir la situation vers quelque chose d’acceptable pour tout le monde.
Les Républiques populaires de Donetsk et Lougansk sont tout simplement des pions dans ce grand jeu. C’est dommage, mais c’est vrai. Les républiques populaires ont dû signer ces traités car actuellement elles ne peuvent pas survivre sans l’aide humanitaire de la Russie.
Nous pensons que c’est la raison pour laquelle [l'ancien ministre de la Défense de Donetsk et chef de la milice Igor] Strelkov a été retiré. Parce qu’il était intransigeant dans ce conflit. Maintenant, nous voyons que la plupart des commandants militaires ne soutiennent pas l’accord. Avant Minsk, la milice du peuple avançait, l’armée ukrainienne était déprimé et proche de la défaite sur certains points.
Une des raisons pourquoi les milices ne supportent pas le traité de paix est qu’il y a seulement un petit morceau de terre dans cette configuration. De cette façon, les républiques, ou la Novorossia, ne survivront pas ou seront complètement dépendants de la Russie. Ils veulent faire un véritable état qui puisse être indépendant. Bien sûr, ils veulent des relations amicales avec la Russie, mais ils ne veulent pas être une marionnette.
En outre – et nous essayons d’utiliser l’influence que nous avons sur ce point – ce n’est pas seulement au sujet des régions de Donetsk et de Lougansk. C’est une question pour au moins un cinquième de l’Ukraine, ou peut-être pour l’ensemble.
Nous ne pensons pas que l’Ukraine, même des régions du nord-ouest, devrait être sous le pouvoir des oligarques, des nationalistes et des fascistes. La population ne devrait pas avoir à vivre sous ce régime, même si elle leur apporte un soutien de masse en ce moment. Nous pensons que c’est très mauvais pour tout Ukraine. Il détruit le bien-être économique de la population dans l’Ouest et à Kiev également.
WW: Comment Borotba pose la question de l’autonomie et de l’autodétermination pour les autres régions de l’Ukraine, comme Odessa: où les néo-nazis ont massacrés 48 militants le 2 mai?
VS: Après le coup d’Etat de Maïdan, Borotba a été très actif dans la construction d’un mouvement de résistance dans les villes du sud-est telles que Kharkov et Odessa.
Maintenant, depuis l’exil en Crimée, nous avons contribué à établir un Comité pour la libération d’Odessa, qui se compose de certains membres du parlement régional d’Odessa, des membres du conseil municipal et des militants civils et politiques. Nous avons fait une pétition pour que le gouvernement ukrainien élargisse le traité avec Lougansk et Donetsk, pour qu’il accorde l’autonomie gouvernementale et autres choses comme d’avoir leurs propres milices municipales, ainsi la milice du peuple peut se transformer et avoir des droits à conserver ses armes, par exemple. Ainsi que le droit des résidents à leur langue maternelle dans l’éducation.
Nous pensons que cela peut être une première étape pour arrêter la guerre civile, qui continue non seulement dans le Donbass, Odessa et Kharkov mais non pas comme une lutte armée, mais par des actions partisanes et des manifestations civiles qui sont réprimés. Mais encore, les gens vont sortir et faire des pétitions. Il y a toujours la terreur des militants d’extrême-droite contre les civils. Beaucoup sont prisonniers politiques, certains d’entre eux ont été battus ou tués par des néo-nazis, et d’autres comme nos membres, ont dû quitter l’Ukraine et maintenant vivent en Crimée.
Une des premières étapes visant à faire cesser la guerre civile peut être l’extension du statut spécial pour Donetsk et Lougansk à tous les territoires de sud-est. Nous allons essayer d’organiser une manifestation à Odessa bientôt à l’appui de cette demande. Les forces ultranationalistes sont très en colère à propos de cette pétition, parce c’est une pétition constructive de notre part. Ils ne peuvent pas dire: «Ce sont des terroristes. Ils sont des séparatistes. «
Nous disons: «Bon, vous avez passé cette loi sur le statut spécial, nous voulons l’utiliser pour nos régions aussi. » Parce que maintenant les régions sont directement gouvernées par des gens qui ont été nommés par Kiev et n’ont pas de racines dans ces régions. Ils utilisent des bandes paramilitaires nationalistes, qui dans des situations critiques, peuvent les défendre. C’est donc un régime d’occupation. Ce statut spécial serait une première étape vers une certaine forme d’autonomie.
Mais c’est seulement une question tactique parce que, comme nous l’avons dit dès le premier jour de cette guerre, la seule façon de faire la paix est de vaincre la Junte de Kiev. La nature de classe sociale de la Junte est de faire la guerre contre toutes les personnes et groupes. C’est le seul moyen pour eux de conserver leur pouvoir. C’est pourquoi nous ne croyons pas que ces mesures tactiques, comme un cessez-le feu ou même la propagation de la situation particulière au accordée au régime du sud-est, peut-être une solution pour l’Ukraine.
Les forces mises en éveil par Maïdan sont très destructrices et dangereuses pour toute la société. Nous sommes face à face avec le fascisme du 21e siècle. Ce n’est pas seulement parce qu’ils ont des portraits du [collaborateur ukrainien nazi] Stepan Bandera ou parce qu’ils disent « Ukraine über alles » comme des clones de l’Allemagne nazie. La nature du fascisme est d’être le pouvoir d’Etat direct du grand capital, utilisant un certain soutien de la classe moyenne et d’autres groupes afin de détruire toute opposition politique par la violence. C’est l’essence même du fascisme.
Ils disent: «Nous sommes des démocrates, nous sommes des libéraux. » Mais ils ont construit cette structure politique. Maintenant, si vous menez une politique d’opposition en Ukraine, ils vont utiliser la violence contre vous. Cela peut être la violence de la police qui vous accuse comme séparatiste ou terroriste; ou s’ils ne peuvent pas utiliser la police ou les services de sécurité d’Ukraine, ils utilisent les bandes de néo-nazis qui peuvent juste vous tuer ou vous battre ou terroriser votre famille et vous forcer à quitter la ville.
Volet 2: La gauche en Ukraine et les origines de Borotba.
Workers World: Parlez-nous de votre expérience et sur la fondation de l’Union Borotba.
Shapinov Victor: Je suis né en Russie, près de Moscou, où je suis aussi allé à l’école et à l’université. À 18 ans, j’ai rejoint le mouvement communiste et le Parti communiste russe des travailleurs (RKRP), qui existe toujours. Depuis plusieurs années, j’ai communiqué avec des militants de gauche et des communistes ukrainiens. En Russie, ce n’était pas le meilleur moment pour des activités de gauche. Il y avait beaucoup de répression. Donc, en 2005, j’ai déménagé à Kiev et on a commencé à s’y organiser, (nous étions) pour la plupart d’anciens membres du Parti communiste d’Ukraine (KPU). De cette façon, j’ai commencé à travailler avec Sergei Kirichuk et d’autres qui plus tard ont participé à la fondation de notre mouvement.
À la fin des années 1990, le Parti communiste était très populaire. Beaucoup de gens croyaient que son président, Peter Simonenko, pourrait remporter la présidence. Mais la direction du parti était très passive et ils ont toujours voulu s’entendre avec le camp bourgeois de la politique ukrainienne. Les militants de base étaient très en colère, en particulier les jeunes membres, et il y avait beaucoup de scissions au KPU à cette époque.
Nous avons toujours essayé de ressembler ces forces d’une certaine façon. Donc, nous avons formé le Mouvement de la jeunesse Che Guevara, qui est devenu célèbre pour l’organisation d’un rassemblement contre la privatisation et pour la renationalisation des grandes usines. C’était la plus grande mobilisation anticapitaliste jamais tenue à Kiev [depuis l'éclatement de l'Union soviétique - WW]. Ensuite, nous avons mis en place l’Organisation des Marxistes d’Ukraine. Il était le résultat de la fusion de plusieurs groupes. Il s’est avéré être très large et académique et pas très révolutionnaire.
Après évaluation du développement de cette organisation et à la suite de nouvelles scissions du Parti communiste, nous fûmes capables de fonder le mouvement Borotba.
Nous avons commencé ce travail en 2011 et nous avons tenu notre congrès de fondation en mai 2012. Il est important de s’expliquer sur le Parti communiste de l’Ukraine. A cette époque, son leadership était toujours à la recherche des alliances au parlement avec le parti capitaliste qui était le plus fort, quel qu’il soit. Pas beaucoup de gens de l’Occident savent, mais avant s’allier avec le Parti des régions du [ président déchu Victor] Ianoukovitch ils étaient partenaires avec le parti de Ioulia Timochenko [politicienne d'extrême droite associée à la "révolution orange" de 2004 et aujourd'hui partie du conseil de la Junta de Kiev].
C’était une position sans principes de la direction du KPU, et pour nous, cela signifiait qu’on ne pourrait pas simplement être l’aile gauche du Parti communiste. En outre, les camarades qui voulaient être l’aile gauche du parti étaient toujours expulsés. Tous les ans des groupes de bons communistes étaient expulsés.
Alexei Albu, un de nos camarades, était un dirigeant de gauche du Parti communiste et du Komsomol, l’organisation de la jeunesse communiste, à Odessa. Il a démissionné et il a rejoint l’organisation Borotba. D’autres militants à Odessa ont suivi son exemple.
Nous nous sommes concentrés sur l’organisation à l’intérieur du mouvement ouvrier. Mais à la fin de 2012 et début 2013, la question du fascisme et du nationalisme radical est venu à l’avant-plan. Borotba a été le premier parti à organiser une manifestation contre l’entrée du parti fasciste Svoboda au parlement. Nous avons organisé un rassemblement de 500 personnes à Kiev.
Nous n’avons jamais soutenu le régime de Ianoukovitch, cependant, car nous savions que c’était l’une des raisons de la montée de l’extrême droite. Sa politique n’était dirigée que vers les intérêts des grandes entreprises, la dite oligarchie. Il donna de l’argent et le pouvoir aux groupes oligarchiques, et ceux-là à leur tour, ils ont soutenu les néo-nazis. Nous pouvions voir que les fascistes étaient un instrument utilisé dans leur politique.
WW: Borotba semble unique dans la gauche post-soviétique à avoir amené des Marxistes de divers origines et courants historiques dans une organisation communiste unie. Comment avez-vous été capables de réaliser cela?
VS: Nous y avons travaillé d’arrache-pied. Il s’agissait à la fois d’un travail théorique et d’organisation.
Du côté théorique, nous avons essayé de mettre l’accent sur les contradictions de la société qui existe actuellement en les analysent à partir du point de vue du marxisme. Nous voyons que les divisions qui faisaient partie du mouvement communiste dans le passé ne sont pas si importantes maintenant, ou nous les voyons de façon très différente. Nous avons vu qu’il y avait certains groupes qui agissent sont comme des reconstructeurs [Ce terme désigne les personnes qui rejouent batailles militaires historiques, comme la guerre civile aux Etats-Unis par des amateurs de cela]. Ils veulent refaire les vieilles batailles. Nous ne voulons pas être comme ça.
Nous voulons faire de la politique réelle pour la classe ouvrière et les peuples opprimés, et n’ont pas jouer à être Staline, Trotski ou, Mao Zedong, ou qui que ce soit. Parce que ces gens ne jouaient pas à être Marx ou les Jacobins. Ils ont fait de la politique révolutionnaire pour leur époque.
Du côté organisationnel lorsque nous avons commencé à créer Borotba, nous avons décidé d’essayer de regarder notre pratique et ce que nous faisions à travers les yeux des gens, pas à travers les yeux des groupes de gauche en compétition. Comment les gens ordinaires nous voyaient? C’est un critère pratique pour notre travail, et non les opinions de quelques publications qui passent tout leur temps à critiquer des autres gauchistes. Si vous ne perdez pas beaucoup de temps à ce sujet, vous avez plus de temps pour observer la façon dont les gens vous voient et comment les atteindre.
Même la façon dont les journalistes bourgeois nous voient est plus importante. Comment vont-ils essayer de montrer nos activités? La majorité des gens regardent la télévision ou lisent la presse bourgeoise, alors la façon dont nous sommes représentés est importante pour eux.
Même s’ils écrivent que nous sommes des «bâtards communistes », ce sera très bien. Beaucoup de gens qui sont nos partisans potentiels ne croient pas dans les médias capitalistes. Mais ils ne voient que les médias capitalistes parce qu’ils n’ont aucune autre alternative. Donc, si ils y lisent que nous sommes mauvais, peut-être qu’ils vont penser que nous sommes bons!
C’est une question de savoir comment utiliser les possibilités offertes par la politique bourgeoise et les médias bourgeois pour la promotion de notre travail. Ne soyez pas comme le sectaire qui va seulement à un piquet de grève avec son propre journal à vendre et s’en fout de tout le reste.
Je ne peux pas dire que nous avons réussi parfaitement dans ces choses, parce la situation en Ukraine nous a donné que très peu de temps pour réaliser nos plans.
Volet 3: Les troupes de base fascistes de l’Ukraine
Workers World: Quel a été le point de vue de Borotba sur le Maïdan, ce mouvement qui a renversé le président Viktor Ianoukovitch en Février? Washington et les médias nous ont dit que c’était un grand mouvement démocratique face à la répression d’un dictateur tyrannique. [Le Maïdan a pris son nom de la place du centre de Kiev, la capitale ukrainienne où il y a eu des manifestations de la fin de 2013 au début 2014 - WW]
Victor Shapinov: Avant le coup de Maïdan, l’Ukraine était un pays sans armée importante. L’Ukraine n’a pas de réels ennemis autour, de sorte que notre classe dirigeante n’a créé qu’un appareil policier. L’armée était pour promulguer des décrets et était utilisée pour la corruption. Les pilotes militaires ukrainiens n’ont même pas eu assez d’heures dans le ciel pour être vraiment des pilotes.
Mais par la suite, lorsque les forces de Maïdan ont accédé au pouvoir, nous avons vu une militarisation très rapide de tous les aspects de la vie sociale.
Même lorsque Ianoukovitch était encore au pouvoir, nous savions qu’il y avait des armes de feu et des bombes sur la place Maidan. Tout le monde le savait. Mais Ianoukovitch craignait les puissances occidentales. Elles l’ont averti que s’il utilisait la police contre la place Maïdan, il serait attaqué et éliminé comme [l'ancien dirigeant libyen, le colonel Mouammar] Kadhafi. Il avait peur, et par conséquent il a tout perdu.
Bien sûr, nous ne sommes pas contrariés que Ianoukovitch ait disparu. Mais vous pouvez voir l’influence de l’impérialisme, sa poussée magnétique. Vous pouvez avoir tout à vos ordres – services secrets, la police – mais vous ne pouvez pas les utiliser si l’impérialisme occidental dit: «Ne faites pas ça. »
Le noyau de Maidan a été formé par des groupes paramilitaires, la plupart avec une idéologie nationaliste radicale néo-nazi. Certains d’entre eux ont été appelés «l’auto-défense de Maidan »
Un autre volet a été la » jeunesse dorée » – la classe moyenne riche et les jeunes hommes conduisent des voitures de luxe et qui portent des armes de feu. Ils détestent les personnes accusées de soutenir M. Ianoukovitch, parce que, selon eux, ils sont pauvres et stupides, du bétail humain. Pour eux, la politique ne doit être que pour les hommes d’affaires.
Ces deux tendances idéologiques ont fusionné sur le Maidan et se sont trouvées un ennemi commun: le peuple du Donbass [la région minière et industrielle du sud-Ukraine].
Ils considèrent le peuple du Donbass comme mauvais parce que beaucoup d’entre eux sont russophones, et certains d’entre eux sont pro-russes. Cela en fait des ennemis de la partie nationaliste et fasciste de Maïdan.
Les habitants du Donbass sont pauvres, la plus grande partie d’entre eux sont des mineurs et des travailleurs, ce qui en fait les ennemis de la jeunesse dorée. Ils disent que les classes laborieuses, ce sont gens de seconde classe qui ne devraient pas avoir des voix ou d’influence politique.
Ce n’était pas seulement une question nationale ou une question de langage, c’était aussi une question sociale, et une question de classe. Ils n’avaient pas seulement des idées russophobiques, mais aussi une sorte de racisme de classe contre le « bétail » du Donbass. L’aristocratie polonaise a utilisé ce terme pour ses paysans, les Maïdan maintenant les utilisent pour le peuple du Donbass.
WW: Qu’est-ce que ces groupes font après le renversement de M. Ianoukovitch?
VS: Après le coup, ils ont formé des brigades militaires, des groupes paramilitaires et ont commencé à organiser des manifestations politiques contre les opposants.
Borotba s’est trouvé face à face avec eux. Nous étions l’un des premiers groupes ciblés. Ils sont venus à notre bureau juste après la victoire Maïdan.
Ils voulaient nous tuer. Ils ont pour slogan, «les communistes aux branches des arbres » signifiant que les communistes doivent être pendus. Il vient du mouvement de Bandera [des profascistes qui ont lutté contre l'Armée rouge soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale lors de l'occupation nazie].
Donc, nous avons évacué nos camarades. Quand les fascistes sont arrivés à notre bureau, ils n’ont trouvé que des murs vides. Tout ce qu’ils ont pu faire c’est lacérer quelques affiches avec des couteaux.
Dans cette situation, nous ne pouvions pas continuer notre activité politique à Kiev. Nous nous sommes déplacés à Kharkov [deuxième plus grande ville de l'Ukraine, situé dans le sud-est]. Odessa et Kharkov sont devenus le plus important centre de notre organisation pendant le mouvement AntiMaïdan.
Les nationalistes et les oligarques ont envoyé leurs gangs paramilitaires au sud-est. Ils les ont appelés « Trains de l’amitié. » C’était très cynique, parce qu’ils voulaient battre leurs adversaires. Ils ont dit: «Nous allons vous apprendre à aimer l’Ukraine. »
Tout d’abord, ils sont allés à Donetsk, mais les gens là-bas ont riposté et ils ont perdu. Après cela, en réponse, les premières Milices Populaires ont été formées.
Avant cela la résistance en Donetsk a été pacifique. Bien sûr il y avait des gens avec des fusils, parce qu’il y avait des gens aussi sur Maidan avec des fusils, mais il n’avait pas un mouvement militarisé. Ils ont organisé des rassemblements, comme à Maïdan, mais dans l’autre sens politique.
Les paramilitaires sont aussi allés à Kharkov et il y a eu des combats. Dans une bataille, deux camarades de l’équipe d’auto-défense de Kharkov ont été tués par les fascistes. Il C’était une équipée complètement néo-nazie, nommé « Division Misanthropique. » Ils ont fait une vidéo d’eux-mêmes où ils ont dit, « Nous ne craignons pas la mort, parce que nous allons rencontrer le Führer [Adolf Hitler, le dictateur de l'Allemagne nazie de 1934 à 1945] au Walhalla. »
Le point culminant de ces affrontements fut le 2 mai à Odessa. Les fascistes se sont très bien organisés, ils avaient plusieurs milliers de paramilitaires, et ils ont massacré les manifestants du quartier de Kulikovo qui étaient contre Maïdan.
Fascists burn Odessa House of Trade Unions May 2.
Après, Kiev a lancé la guerre contre le Donbass et beaucoup de ces gens ont rejoint les bataillons dits territoriaux. Ces groupes paramilitaires armés par l’Etat avec des armes à feu et de l’artillerie, mais pas dans la structure et sous la responsabilité de l’armée ukrainienne, et se trouvent non subordonnés au ministre de l’Intérieur. Parfois, ce ne sont que des gangs privés, comme les paramilitaires armés directement par l’oligarque Igor Kolomoisky.
Cette situation ne ressemble pas exactement au fascisme allemand ou italien classique. Cela ressemble plus à des mouvements paramilitaires profascistes des années 1970 et 1980 en Amérique latine. Les oligarques créent des groupes paramilitaires et les utilisent pour répandre la terreur.
Même Amnesty International, qui est soutenu par l’impérialisme américain, a publié un rapport de crimes de guerre sur l’un de ces groupes, le Bataillon Aidar, qui est coupable de maraude, de pillage, de torturer et tuer les gens dans le Donbass.
Volet 4: Les forces de classe dans la guerre civile ukrainienne
WorkersWorld: Une des revendications majeures du mouvement Maïdan était l’adoption d’un accord d’association avec l’Union européenne. Quelles sont les forces en Ukraine qui ont œuvré pour une intégration avec l’UE? Quel sera l’impact des mesures d’austérité obligatoires qui seront appliquées par l’UE et par le Fonds monétaire international, sur la lutte là-bas?
Victor Shapinov: Certaines personnes pensaient que la soi-disant intégration européenne apporterait le niveau de vie occidental en Ukraine. Mais pour voir la réalité, nous devons nous pencher sur la situation en Grèce. L’UE n’apporte pas des niveaux de vie élevés, mais un régime d’austérité afin de réduire les dépenses sociales de l’Etat.
Borotba était l’une des premières forces politiques qui s’est opposée à l’euro-intégration. Nous avons publié une analyse approfondie des conséquences de l’intégration avec le système économique de l’UE et le traité d’association. Pour des pays comme l’Ukraine, cela signifie abandonner le contrôle de ses marchés à l’impérialisme de l’UE.
Prenez l’agriculture, par exemple. L’Ukraine a une grande et efficace production agricole. Mais les produits agricoles en provenance d’Europe sont moins chers, parce qu’ils reçoivent beaucoup des subventions de l’Etat et de l’UE – entre 40 et 50 pour cent dans certains cas. L’Etat ukrainien ne peut tout simplement pas donner autant d’argent aux agriculteurs, et ils feront faillite.
Il en est de même pour l’industrie. L’Ukraine sera inondée avec des importations bon marché de l’UE. En même temps, elle perdra le marché de la Russie et d’autres pays de l’Union douanière.
Des pays comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal, qui vivent aujourd’hui sous des régimes d’austérité, sont la périphérie des pays centraux de l’Union européenne. L’Ukraine sera la périphérie de la périphérie, comme les pays en développement du Tiers-Monde.
C’est mauvais pour l’économie de l’Ukraine, mais c’est bon pour certaines branches de l’industrie et pour les grands oligarques. En raison de la crise capitaliste, ils veulent le soutien de l’Occident et des garanties pour la sécurité de leurs capitaux. Ils ont été très actifs dans la promotion de l’Euro-intégration.
Quand le mouvement a commencé à Maïdan, toutes les chaînes de télévision étaient en faveur de celui-ci. Ils ont dit que Victor Ianoukovitch [alors président] était très mauvais et le Maïdan, très bon. Presque toutes les chaînes de télévision en Ukraine sont les propriétés privées des groupes oligarchiques. Toutes ont promu Maïdan et fait une grande propagande en faveur de celui-ci.
Après que le coup Maïdan gagna, ils firent de l’agitation pour l’accord de libre-échange, et il fut signé par l’Ukraine et les Européens. Mais le traité commencera seulement en 2016. Même pour l’Europe, il n’est pas si facile.
Mais si nous parlons des réformes néolibérales en échange de prêts du FMI, celles-ci sont déjà en train de prendre forme. Le principal personnage de ce processus est le Premier ministre Arseni Iatsenouk, qui est très pro-occidental. Il a fièrement mis en place le plus grand programme de privatisation des biens de l’Etat dans l’histoire de l’Ukraine.
Nous voyons que c’est un nouveau type de politique pour l’Ukraine: le fondamentalisme de marché, d’une part, le nationalisme et le fascisme de l’autre. Maintenant, ils marchent côte à côte.
Au début, beaucoup de gens ont dit que Maïdan était un mouvement du peuple contre la corruption et ainsi de suite. Mais quelle était la direction politique de ce mouvement? C’était ce bloc de néolibéraux et de fascistes.
Dès le premier jour du mouvement Maïdan, le pronostic de Borotba était que sa victoire apporterait ce bloc au pouvoir. Ils sont comme les deux mains du capital monopoliste, en essayant de sauver son contrôle politique et économique. Ce fut celle-là, la base politique et sociale du mouvement Maïdan.
Ianoukovitch n’a pas été très efficace pour les capitalistes monopolistes. Avant, ils devaient faire des affaires avec lui, mais après Maïdan, ils détiennent le pouvoir politique direct, comme les oligarques [Igor] Kolomoisky, qui est devenu gouverneur de la région de Dnepretrovsk, ou [Serhiy] Taruta, qui est devenu gouverneur de Donetsk. Taruta, cependant, a été expulsé par la République populaire.
Certains gauchistes ont qualifié le Maïdan de mouvement populaire. Mais le peuple est divisé en classes. Ce n’est pas seulement une question de langage, et le fait qu’une partie de la population parle russe et l’autre ukrainien, mais une question de classes. La classe moyenne et la soi-disant «classe créative» – des « free lancers » (entrepreneurs indépendants) des grandes villes et ainsi de suite – étaient au cœur du mouvement Maïdan. Même dans les villes du sud-est, vous pouvez voir une position pro-Maïdan représentée par ces couches sociales.
En Russie, il y a eu une soi-disant marche pour la paix à Moscou [le 21 septembre], pas vraiment pour la paix, mais pour soutenir le gouvernement de Kiev. C’était très inspiré par la propagande pro-occidentale et dirigée par les libéraux russes. Leur base sociale est aussi la «classe créative».
Ces strates sont liées avec le capitalisme occidental. Certains d’entre eux travaillent dans les branches de l’économie dominée par les entreprises occidentales. Certains s’orientent vers l’Ouest en raison de leur mode de vie et de consommation. Ils adoptent cette idéologie et pensent que tous ceux qui sont contre eux ou qui ne sont pas aussi pro-occidentaux sont arriérés et primitifs.
WW: Quelles sont les forces de classe à l’œuvre dans la résistance au coup d’Etat – le mouvement AntiMaïdan et les Républiques Populaires du Donbass?
VS: Nous voyons que les gens qui sont liés à ce qu’on appelle la production réelle, les usines, les mines et ainsi de suite, sont plus impliqués dans le mouvement AntiMaïdan ou partagent ses sentiments.
Nous ne pourrions pas dire que c’est une division de classe pure, que c’est juste la bourgeoisie de ce côté, et le prolétariat de l’autre côté, bien sûr. C’est plus complexe.
L’ordre du jour politique de Maidan ne parle pas avec une orientation de classe claire. Au contraire, il parle de la façon dont la classe dirigeante doit faire un choix que l’on appelle de civilisation. Ils disent que l’Ukraine doit faire un choix civilisationnel pour l’Europe, pour l’Occident, et contre la Russie et l’Est. Même des forces de gauche sont coupables de cela, ou d’adopter ce genre de langage politique.
Quand Borotba était à la tête du mouvement AntiMaïdan à Kharkov, nous avons toujours dit que c’était d’abord un mouvement anti-oligarchie, avant même d’être antifasciste, parce que c’était l’oligarchie qui a alimenté les fascistes, les développait et les soutenait. Et maintenant, nous voyons qu’ils arment et forment même des bataillons parmi eux, pour les envoyer au Donbass. Nous avons toujours essayé de faire avancer le point de vue de classe.
Parfois, même sans l’influence de Borotba ou autres gens de gauche, il y a un développement spontané de la pensée de classe.
Prenez Aleksey Mozgovoy, commandant du Bataillon Fantôme de l’armée du peuple dans le Donbass. Il est très à gauche, anti-oligarchique et antibureaucratique. Son idéal est l’autogouvernement par le peuple, comme on dit, comme les soviets [les conseils des travailleurs] dans la première période de l’histoire soviétique.
Ce n’est pas parce qu’il a lu quelques livres, mais parce qu’il a été inspiré par ce mouvement et qu’il a fait sa propre analyse. Maintenant, il y a une bonne base pour travailler avec lui.
Il y a aussi une forte influence de la Fédération de Russie et de ses forces. Dans un certain sens, c’est une bonne chose, parce que sans le soutien de la Russie, la résistance au Donbass aurait été violemment détruite.
Au début, le mouvement n’avait pas de leaders, pas de structures, rien. C’est un miracle qu’il ait survécu et qu’il ait construit une armée qui peut gagner contre l’ennemi. Sans un soutien de la Russie, il ne pouvait pas le faire. Voilà juste la réalité.
Mais la Russie n’est pas un pays socialiste ou même un pays démocratique. Elle essaie d’utiliser ce mouvement pour ses propres objectifs. En outre, la Russie cherche à imposer ses vues idéologiques sur le mouvement , des vues qui sont sans danger pour le capitalisme, par exemple, la religion orthodoxe russe et des idées nationalistes russes.
WW: Comment décririez-vous le nationalisme russe dans le Donbass?
VS: En Occident, si vous soutenez les républiques populaires (de Donetsk et Lougansk), vous rencontrerez toujours l’argument selon lequel ils ne sont que des nationalistes russes, que le conflit en Ukraine est une guerre entre deux types de nationalisme.
Mais si vous parlez à ces personnes de Donetsk qui disent qu’ils sont des nationalistes russes, cela prend un tout autre aspect.
Si quelqu’un à Moscou, dit qu’il est un nationaliste russe, il y a un 90 pour cent de probabilité qu’il soit un fasciste. Si quelqu’un à Donetsk dit qu’il est un nationaliste russe, 90 pour cent du temps il est juste pour plus de droits pour la population russophone, le droit à l’enseignement dans la langue russe, et ainsi de suite. Ou bien il est contre [le nationaliste ukrainien et collaborateur nazi, Stephan] Bandera. Du point de vue économique, il est socialiste.
[Le Chef de la Résistance et gouverneur populaire de Donetsk] Pavel Gubarev, par exemple, dit qu’il est un nationaliste russe, mais en même temps il dit qu’il est un socialiste orthodoxe. Beaucoup de gens ont de telles opinions mélangées.
La lutte idéologique en est seulement à sa première étape. Qui va gagner et quelles idéologies claires apparaîtront, tel est le problème du travail, de la lutte.
C’est dommage que Borotba ait toujours eu une organisation faible à Donetsk et à Lougansk. C’est là que se trouve le mouvement le plus fort. Alors, nous n’avons pas eu une telle influence. Mais il y a des tendances de gauche dans la direction politique, par exemple, à la tête du Soviet suprême de Donetsk, Boris Litvinov, qui a dit, « Nous construisons une république avec des éléments de socialisme. » Il est un ancien membre du Parti communiste de l’Ukraine. [Le 8 Octobre, Litvinov est devenu le président du Parti communiste nouvellement formé de la République populaire de Donetsk. - WW]
Nous savons que beaucoup de combattants et de commandants de l’armée du peuple sont de gauche et communistes, non seulement Mozgovoy, mais aussi d’autres qui étaient membres du Parti communiste ou qui se disent eux-mêmes communistes. Il y a un bataillon dont le signe est l’étoile rouge. Un grand nombre d’escadrons combattent sous le drapeau rouge.
Voilà la différence, quand il s’agit de cette question. Si j’ai des divergences avec une certains gauchistes qui disent: «Vous devez soutenir Maïdan ou ne soutenir aucun des côtés», je réponds: «Vous ne pouvez pas venir avec un drapeau rouge à une manifestation à Maïdan, mais il y a toujours des bannières rouges parmi les AntiMaïdan. » Et la raison n’est pas seulement la nostalgie pour le passé soviétique. Il s’agit des opinions politiques du peuple. Les Maïdan veulent toujours détruire les monuments à Lénine, et les AntiMaïdan les protègent.
Même certaines personnes qui se disent elles-mêmes « monarchistes » sortent dehors pour protéger les monuments à Lénine. Comme nous le disons, c’est une situation contradictoire très
compliqué.
L’interview originale, en quatre parties, sur Workers World :
http://www.workers.org/articles/2014/10 ... y-fascism/http://www.workers.org/articles/2014/10 ... s-borotba/http://www.workers.org/articles/2014/10 ... -soldiers/http://www.workers.org/articles/2014/11 ... civil-war/