a écrit :
Fukushima : encore neuf mois d’angoisse
Tepco, l’opérateur de la centrale japonaise, a annoncé, hier, avoir arrêté un calendrier et affirme qu’il faudra attendre 2012 pour reprendre le contrôle des réacteurs.
Par CORALIE SCHAUB
Des dates. Un calendrier. Enfin. Enfin un plan de sortie de crise présenté noir sur blanc, pour la première fois depuis l’accident de la centrale de Fukushima… il y a cinq semaines. Hier, l’opérateur Tokyo Electric Power Company (Tepco) a estimé qu’il lui faudrait trois mois pour faire en sorte que le niveau de radioactivité commence à baisser.
«Après avoir achevé cette première étape, il faudra encore trois à six mois avant que nous puissions réduire les fuites radioactives à un niveau très bas», a ajouté Tsunehisa Katsumata, le président de la compagnie d’électricité. Objectif de cette deuxième étape : réaliser «l’arrêt à froid» des réacteurs (le liquide de refroidissement reviendrait à une température et une pression proche des conditions ambiantes). Pour y arriver, Tepco espère relancer les circuits de refroidissement classiques ou installer un circuit parallèle à l’extérieur des réacteurs.
«Crédible». Ce qui serait un progrès important. Car pour l’instant, les ouvriers doivent injecter des milliers de tonnes d’eau, provoquant des inondations dans les bâtiments et les galeries souterraines. Aujourd’hui, 60 000 tonnes d’eau hautement radioactive empêchent les techniciens d’accéder aux bâtiments pour rétablir l’alimentation électrique des pompes. Tepco prévoit de commencer à décontaminer cette eau à partir de juin. La société s’est engagée à la stocker dans des cuves, des barges et une plateforme maritime pour éviter de nouveaux rejets dans le Pacifique. La compagnie compte aussi couvrir les bâtiments des réacteurs 1, 3 et 4 endommagés d’ici six à neuf mois, sans préciser le type de matériau envisagé.
Les autorités japonaises, qui trépignaient depuis plusieurs jours, ont salué ce plan de bataille. Mais quelle valeur lui accorder ? «La feuille de route est crédible. C’est ce qu’il fallait faire et c’est faisable, commente Thierry Charles, chargé de la sûreté à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Mais ce qui est prévu pour le réacteur 4 me semble optimiste, vu la dégradation du bâtiment. Et il faudra sans doute aussi renforcer la piscine du réacteur 3.»
Surtout, le plan de Tepco reste un plan d’urgence, qui se limite à maîtriser la centrale folle. «Il faudra pour cela une petite année», estime Thierry Charles. Sachant que pendant ce temps, les fuites continueront. «Le pire est passé, le niveau de contamination a nettement baissé, car les installations sont déjà bien refroidies. Mais il y a un "bruit de fond" général qui va s’accumuler, parce que les enceintes des réacteurs ne sont pas étanches», admet-il. Sans compter la vapeur d’eau radioactive s’échappant des piscines. Ensuite, seulement quand Fukushima Daichi sera stabilisé, pourront commencer les travaux d’assainissement (vider les combustibles des piscines, par exemple) et de démantèlement. «Cela prendra au moins une vingtaine d’années, estime Thierry Charles. Et encore, le site restera contaminé.» Le bout du tunnel est donc loin, très loin.
Tout dépendra du degré de contamination par les radioéléments de longue durée, comme le césium 137 (dont la radioactivité diminue de moitié tous les trente ans). Or, pour l’instant, les données de Tepco sont parcellaires. «Sur le strontium, les premières datent de cette semaine», remarque David Boilley, président de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro), un laboratoire français indépendant. Parcellaires, mais pas mensongères. Près de la centrale, la radioactivité annoncée par Tepco correspond à la - triste - réalité, assure l’Acro, qui a analysé des échantillons de terre et d’eau de municipalités situées à 40 km. «Il n’y a pas volonté de cacher les niveaux de radioactivité, estime David Boilley. Mais l’impact sur les populations a été minimisé. Iitate, un village très contaminé à 40 km de la centrale, n’a été évacué que le 11 avril.»
Urgence. L’association s’inquiète aussi du manque de données ailleurs dans l’archipel. En attendant de maîtriser la centrale, l’urgence est donc de s’occuper des populations des zones contaminées. Roland Desbordes, le président de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), l’autre association française indépendante, s’insurge : «Nous avons analysé des choux, épinards et salades d’exploitations situées à 80 kilomètres de la centrale. Ces échantillons dépassent les normes de consommation japonaises. Par ailleurs, nous avons eu accès à des analyses effectuées sur des aliments prélevés dans une zone plus proche de la centrale (entre 40 et 50 kilomètres), au-delà de la zone évacuée. Ils sont assimilés à des déchets radioactifs, qui contiennent des millions de becquerels par kilo. Il est inadmissible de laisser des gens vivre là.» La question n’est pas de savoir s’il y aura une «zone interdite» autour de la centrale pendant des décennies. Tout l’enjeu sera de définir son étendue.