Le bouquin de Hardy

Message par faupatronim » 30 Avr 2003, 11:27

Une critique du site Revue Contrepoints

CITATION La véritable histoire de Lutte Ouvrière. Robert Barcia & Christophe Bourseiller.
Ed. Denoël, coll. “Impacts”, 2003. 326 pages. 17 ¤


Les causes et conséquences de la rébellion sociale de 1968 n’en finissent pas de provoquer leur commentaire. A tel point que celui-ci occulte ou déforme maintenant toute vision des mouvements politiques contestataires français. Une fois pour toutes, peut-être faudrait-il saisir que tout n’y aboutit pourtant pas, ni d’ailleurs n’en découle : Mai 68 n’est pas plus le prolongement contemporain de 1789, que le modèle du grondement populaire de 1995. Entre ces trois crises, d’inégale importance, il y a toute l’épaisseur de la critique sociale, agie et/ou théorisée. Saint-Just et Gavroche, Marx et Lénine, Marcuse et Simone Weil, Sartre, Bourdieu, tant d’autres… Des intellectuels, totaux ou spécifiques, des syndicalistes, des chefs de parti, de groupes, de groupuscules. Le fleuve est large, complexe, nombreux. Il charrie quantité d’idées, d’idéaux et de choix. Comment s’y retrouver, ou plus exactement, comment ne pas s’y perdre ? La suite d’entretiens accordée à Christophe Bourseiller par Robert Barcia, de Lutte Ouvrière, permet au moins de faire le jour sur la gauche des courants. « Je souhaite dire simplement la vérité [historique s’entend] sur l’Union communiste et Barta, au moins tels que je les ai connus et ce que j’en sais, sur Pierre Bois, sur l’effondrement de la première Union communiste, sur la naissance de Voix ouvrière et le développement de Lutte Ouvrière », affirme préliminairement l’interviewé. Tant mieux, parce que Lutte Ouvrière, depuis ses récents succès et l’affaissement électoral du Parti Communiste français, a quitté les marges de notre démocratie représentative.
L’histoire de LO commence en septembre 1939 avec un homme, militant trotskiste : David Corner, dit plus tard Barta. Émigré de sa Roumanie natale dès avant la seconde guerre mondiale, David Corner est en effet le fondateur de ce groupe politique aux noms multiples mais à l’identité propre. Robert Barcia qui est notre témoin principal, n’adhérera à ce groupe - alors dix personnes en tout et pour tout - qu’en 1944. Ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Lutte Ouvrière est en fait, et depuis le début, une petite organisation d’activistes, sincèrement communistes, dont les actions principales (d’éducation politique, de soutien syndical, de propagande) sont tournées vers le monde ouvrier. Aussi loin des contraintes d’encadrement du grand parti communiste - à l’époque rigidement stalinien -, que de l’amorphie idéologique du gauchisme qui a explosé en 68, Lutte Ouvrière a su patiemment gagner en crédibilité auprès de l’électorat populaire. Un électorat qu’il partage principalement avec un autre groupe politique d’extrême gauche, à l’histoire parallèle : la Ligue Communiste Révolutionnaire...
L’intérêt principal de l’ouvrage ne réside cependant pas vraiment dans les détails de l’histoire de ce groupe. Mais davantage dans la démystification que son explication autorise : Lutte Ouvrière n’est pas un parti né de rien, une espèce de Deus ex machina qui soudain aurait été placé au centre de notre scène politique. Cette impression, peut-être plus forte chez les jeunes générations de citoyens, est due en grande part à l’intérêt nouveau que ce parti a suscité chez les journalistes. Lutte Ouvrière s’est construite avec l’histoire contemporaine de l’Europe en général, de la France en particulier, avec les espoirs et les guerres, les dictatures et les libérations qui l’ont marqué ; dans ce rapport de force permanent qui caractérise ce que Bourdieu appelait le « monde social ». Rapport de force dont nous pouvons retrouver l’expression à grande échelle, dans les luttes, justement nommée de classes, mais qui s’est exprimé de même dans les vies singulières, à travers le prisme de l’intime, dans le privé de militants convaincus de la justesse de leurs choix de vie : Robert Barcia, Arlette Laguillier bien sûr, tant d’autres, aussi, anonymes.
L’adhésion à une attitude électorale ne pouvant plus se faire que difficilement sur programme, connaître les étapes successives de positionnement d’un groupe politique participe d’une clarification intellectuelle plus que jamais nécessaire. Ce que propose ce livre n’est en définitive rien d’autre qu’une belle leçon de micro-matérialisme historique, utile en ce sens et dans ce cadre. Lutte Ouvrière en retrouve la place qui est sienne sur l’échiquier français - communiste trotskiste - et abandonne celle que les médias lui ont attribuée : de refuge dernier du « peuple de gauche ».


Jérôme-Alexandre Nielsberg
Mis en ligne 03/03/2003



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faupatronim
 
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Message par alex » 04 Mai 2004, 10:20

Une critique de la FTQI trouvée sur leur site :

a écrit :Notes critiques sur La véritable histoire de Lutte Ouvrière.

La lutte pour la révolution, selon Hardy.

Par Lucas Pizzutti

Un des évènements littéraires politiques de l’année 2003 en France a été la sortie du livre La véritable histoire de Lutte Ouvrière. Ce livre est une longue entrevue de Robert Barcia, alias Hardy, un des principaux dirigeants de ce courant. C’est en partie une réponse à toutes les calomnies lancées par la presse bourgeoise et qui se sont renforcées à partir du moment où Lutte Ouvrière, a appelé de manière principielle à l’abstention lors du deuxième tour de l’élection présidentielle 2002 entre Chirac et Le Pen.
Il développe tout au long de ce livre l’histoire de son courant politique, ses méthodes de construction, son idéologie et sa théorie. Nous considérons que ce livre est un apport très important qui permet de mieux connaître comment s’est construit ce grand courant ouvrier depuis plus de soixante ans en France et d’approfondir les conceptions de cet important groupe politique.
Plusieurs articles sont parus dans la presse bourgeoise pour critiquer ce livre mais toutes ces critiques, toujours droitières, insistaient uniquement sur le fait que LO ne serait qu’une espèce de " secte conspiratrice ". Arlette Laguiller a même été invitée à plusieurs programmes télévisés et attaquée sans pitié par les journalistes. La Fraction Trotskyste-Stratégie Internationale ne peut que témoigner de toute sa solidarité à l’égard de LO face aux calomnies et aux attaques que ce courant reçoit de manière récurrente de la part des journalistes vénaux de la presse patronale.
Cependant, l’objectif de cet article est de faire une critique des conceptions de la révolution et de la construction du parti révolutionnaire présentées par Hardy. Nous nous permettons de faire cette critique car nous pensons qu’elle ne peut que contribuer à la discussion pour la construction d’une arme nécessaire pour la révolution ouvrière et socialiste et que celle-ci triomphe, objectifs de la FT-SI que nous avons en commun et revendiqués également par Lutte Ouvrière.
Dans La véritable histoire de Lutte Ouvrière, soixante années d’histoire sont racontées et analysés. Il y a plusieurs passages discutables du point de vue marxiste et pour en faire une critique absolue et détaillée il faudra certainement un livre de l’envergure de celle de Hardy. Pour cette raison, nous avons décidé de ne polémiquer que contre un aspect que nous croyons central dans l’idéologie de Lutte Ouvrière : sa théorie de la révolution, sachant que de ce point dépendent la construction de l’Internationale, le programme et le militantisme de ce courant.

La théorie de la révolution de Lutte Ouvrière

A la fin de cet ouvrage Hardy réfléchit sur la révolution et explique ceci : "  C’est pourquoi nous avons choisi de maintenir ce drapeau [celui du communisme], de maintenir cette idéologie, de maintenir ces idées et aussi de maintenir des femmes et des hommes qui les défendent dans la classe ouvrière et dans toutes les classes de la société.
Personne d’autre ne le ferait et ce serait une disparition peut-être irrémédiable. Peut-être sommes nous condamnés au long terme, peut-être rencontrerons-nous le succès plus tôt. En tout cas nous aurons essayé.
Une anecdote historique, en passant : Lénine, en exil en Suisse, au cours d’une conférence avait déclaré : ‘Nous les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution imminente’. A peine quelques semaines plus tard, elle éclata en Russie.
Un des principaux apports de Marx est ce qu’il a appelé le ‘matérialisme historique’, c’est-à-dire, en schématisant, qu’il a affirmé et montré que l’évolution des techniques dans le domaine de la production des biens nécessaires à la vie des hommes vivant en société détermine l’existence et l’évolution des classes sociales, et que toute l’histoire des sociétés est conditionnée par les rapports et les luttes entre ces classes.
On a beaucoup ironisé sur ce qu’on a présenté comme un déterminisme schématique, mécaniste. En réalité, la pensée de Marx était plus vaste et plus complexe, elle n’ignorait pas la contingence, le hasard. C’est bien parce que nous ne croyons pas à un déterminisme absolu que nous pensons que l’action volontaire, réfléchie, militante, en faveur de la transformation sociale est nécessaire. Mais le hasard joue parfois a faveur du progrès. C’est pourquoi les marxistes, s’ils croient au progrès technique et social de l’humanité, n’ont jamais prétendu prédire l’avenir ". Et il ajoute encore " Nous sommes des militants pas du tout passifs, et, de plus, nous défendons des idées qui contestent l’ordre établi. Si nous ne maintenions pas dans la classe ouvrière et dans toutes les classes sociales populaires des militants qui défendent les idées communistes, elles pourraient disparaître totalement ou être tellement transformées qu’elles n’auraient plus aucune efficacité ".
Doit-on en conclure que de cette citation on peut déduire l’axe de la théorie de la révolution de LO ? Apparemment, Hardy semble soutenir que
1 La révolution socialiste est un évènement imprévisible où le hasard joue un rôle important
2 La continuité du marxisme comme ensemble d’idées émancipatrices de l’humanité est exclusivement le patrimoine de LO et son rôle principal est de diffuser ces idées jusqu’à l’explosion –si elle a lieu un jour- de la révolution. Il semble également dire que la révolution peut seulement se développer là où LO est présente, ou en tout cas commencer là où elle est présente.
Nous essaierons au cours de ces lignes d’associer ces deux définitions à la pratique politique de Lutte Ouvrière et tenter d’y découvrir les liens de continuité existants.

Conditions objectives et subjectives

La possibilité de la révolution socialiste que Marx percevait déjà il y a plus d’un siècle et demi se basait alors sur des conditions objectives –" les forces productives entrent en contradiction avec les moyens de production "- mais aussi subjectives, la naissance d’une nouvelle classe sociale, le prolétariat industriel, et la création de son avant-garde politique, le parti communiste qui doit le diriger sur le chemin de la révolution. Contre tout déterminisme, le marxisme révolutionnaire adopte l’aphorisme de Rosa Luxemburg, " Socialisme ou Barbarie ", afin de démontrer que sans l’action révolutionnaire de la classe ouvrière à la tête du reste des classes subalternes, le capitalisme peut plonger l'humanité dans la pire des catastrophes.
Trotsky définit en 1938 dans le Programme de Transition que " les prémisses objectives de la révolution ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir ". Cette définition vaut pour cette ère de " crises, de guerres et de révolutions " qui marquent le capitalisme impérialiste qui ne peut revenir en arrière à un âge du capitalisme de la libre concurrence. Mais même à l’intérieur de cette période il peut y avoir des laps de temps où le capitalisme, par un certain nombre de combinaisons, prend une bouffée d’oxygène, comme lors des " Trente Glorieuses ", le boom de l’après-guerre.
Trotsky et Lénine parlent ainsi de conjonctures, d’étapes, etc., afin de définir les périodes d’ascension ou de reflux des masses et ils parlent de la révolution comme d’un processus dynamique dirigé par un sujet social, la classe ouvrière et les classes opprimées, et un sujet politique. Marx et Engels soulignent ainsi dans L’idéologie allemande que " ce sont également les conditions de vie, que trouvent prêtes les diverses générations, qui déterminent si la secousse révolutionnaire, qui se reproduit périodiquement dans l’histoire, sera assez forte pour renverser les bases de tout ce qui existe ; les éléments matériels d’un bouleversement total sont, d’une part, la formation d’une masse révolutionnaire qui fasse la révolution, non seulement contre des conditions particulières de la société passée, mais contre la ‘production de vie’ antérieure elle-même, contre ‘l’ensemble de l’activité’ qui en est le fondement ; si ces conditions n’existent pas, il est tout à fait indifférent, pour le développement pratique, que l’idée de ce bouleversement ait déjà été exprimée mille fois… comme le prouve l’histoire du communisme ".
Plus prés de nous, le communiste italien Antonio Gramsci notait que pour faire une révolution, cela requiert une préparation et des " institutions " ouvrières qui préparent cette même révolution. Il soutient dans ses Lettres de Prison que " dans l’art du politique, il est arrivé la même chose que dans l’art militaire. La guerre de mouvement se transforme en guerre de position, et on peut dire qu’un Etat gagnera une guerre dans la mesure où il s’y prépare minutieusement en temps de paix. La structure solide de la démocratie moderne comme les organisations de l’Etat en tant que complexes d’associations de la société civile sont pour l’art du politique ce que les ‘tranchées’ et les fortifications permanentes du front sont pour la guerre de position ".
Entre une période de " paix sociale " ou de réaction et un processus révolutionnaire, le parti doit lutter pour la direction de la classe ouvrière à travers une lutte ouverte contre les bureaucraties syndicales et les partis réformistes ou bourgeois qui l’influencent. Il doit ainsi impulser la création d’organismes de front unique des masses en lutte –allant d’assemblées de base jusqu’aux conseils ouvriers, des coordinations, etc., c’est-à-dire des organismes soviétistes ou pré-soviétistes- afin de démultiplier l’influence du parti comme le suggère Trotsky dans Où va la France ? La construction du parti se fait en franche lutte politique au sein de l’avant-garde, là où les réformistes et les bourgeois développent toute leur propagande et déploient tous les moyens nécessaires afin de faire avorter ou de réprimer toute tentative d’expression indépendante de classe.
L’art d’une direction révolutionnaire, en se basant sur des faits objectifs à la tête desquels se retrouvent les masses –grèves, rébellions, insurrections, etc.- doit aider à construire de solides fortifications –directions révolutionnaires des syndicats après en avoir expulsé la bureaucratie, organismes soviétistes ou pré-soviétistes- et les doter d’une orientation révolutionnaire. Pour être victorieuse, une révolution doit être basée sur des organismes d’auto-organisation des masses. Comme l’histoire des révolutions ouvrières l’a démontré à maintes reprises, les bases d’un nouveau pouvoir politique surgissent de bas en haut et tendent en même temps à se centraliser à partir d’organismes de base locaux, capables d’être des références et de regrouper le mouvement de masse. C’est ce qui est arrivé, entre autres exemples, à travers les soviets russes, les conseils ouvriers allemands, hongrois, italiens, dans les comités de l’Espagne révolutionnaire.
Dans ce même sens, associant le subjectif à l’objectif, Trotsky a démontré également " dans l’art de la guerre la combinaison entre mouvement et position, particulièrement au cours de la guerre civile russe dont il fut dirigeant politico-militaire. Il soutint également au cours de la guerre civile espagnole, contre la politique étapiste de la direction du front républicain, que de nouvelles terres devaient être expropriées et distribuées entre les paysans et les usines nationalisées et placées sous le contrôle des travailleurs –autant de positions socio-économiques- afin que ces nouvelles positions –autant de jalons de socialisme- ne soient pas laissées à après la victoire militaire sur le franquisme comme le soutenaient les staliniens, les sociaux-démocrates et même les anarchistes ".

Le processus révolutionnaire.

Nous pouvons conclure de tout cela que la révolution est loin d’être le fruit du hasard, comme semblerait le penser Hardy. Il existe des conditions objectives –état d’esprit des masses, radicalisation, crises superstructurelles, etc.- mais en dernière instance la victoire de la révolution prolétarienne doit savoir être lue à travers les conditions nationales et internationales, l’émergence d’une révolution ou d’un processus révolutionnaire ou d’une défaite des classes laborieuses et l’ouverture d’une période réactionnaire. Dans la mesure où l’on comprend la situation politique, une situation révolutionnaire peut-être relativement prévisible, et l’on peut mieux agir ainsi afin de la porter vers la victoire. Les révolutionnaires " n’ont jamais prétendu prédire l’avenir " affirme Hardy. Cependant, des révolutionnaires comme Trotsky, se basant sur la science marxiste, ont dressé une infinité d’hypothèses pour l’avenir, qui dans leurs tendances générales se sont révélées être de précieux instrument pour l’action révolutionnaire.
Même dans le cas où ces hypothèses se sont révélées être incorrectes, comme le montre l’anecdote de Lénine dont parle Hardy, les révolutionnaires se sont toujours attachés à développer les tendances progressistes de la réalité à travers l’auto-organisation de la classe ouvrière, préparant le parti à faire de " brusques virages " comme l’ont montré " les Thèses d’Avril 1917 " de Lénine. Les révolutionnaires se sont toujours basés sur l’étude de l’économie mondiale, les relations entre les Etats et la lutte de classe internationale, ce qui leur permettait, à partir de lignes générales, de visualiser les grandes tendances de la réalité.
Hardy affirme cependant au sujet de 1968 que "rien ne permettait de prévoir la nature et l’importance des manifestations étudiantes ". Après avoir commenté la lutte des étudiants japonais, l’offensive nord-vietnamienne et les mobilisations étudiantes berlinoises, il rajoute plus loin " qu’en mars [1968] des mouvements étudiants éclatèrent à Tokyo, Madrid, Berlin, Alger, en Italie, aux Etats-Unis, en Egypte. En mars encore, en Tchécoslovaquie, Dubcek, nouveau secrétaire général du Parti depuis janvier, entrait en lutte pour évincer Novotny. En mars toujours, les étudiants polonais entraient en lutte à leur tour. Mais, pour l’essentiel, cela se passait à l’étranger et ne remuait pas le pays ".
Cette réflexion se situe aux antipodes de la pensée marxiste. En plus de démontrer un grave désintérêt pour la révolution internationale, ce qui prime dans la conception de Lutte Ouvrière c’est que la révolution est un fait hasardeux et imprévisible et qu’il faut attendre " sur place ". Avec la méthode proposée par Hardy, qui ne prend pas en compte la situation internationale afin de comprendre la situation nationale, il est effectivement extrêmement difficile de " prédire l’avenir ", y compris le futur proche dans son propre pays. De plus, si Lutte Ouvrière est l’unique courroie de transmission des idées révolutionnaires et que sans elle " personne d’autre ne le ferait ", les luttes révolutionnaires se développant là où Lutte Ouvrière n’est pas présente ne connaîtraient de surcroît aucune possibilité de victoire.
Pour Lutte Ouvrière justement, il n’existe pas de conquêtes –positions- transitoires pour les travailleurs, la révolution étant un fait explosant automatiquement et de manière imprévisible, le parti devant simplement être présent à ce moment-là afin de la diriger. Il ne semble pas ainsi exister de périodes plus ou moins favorables pour la lutte de classe, des victoires et des défaites partielles ou historique. Il existe simplement une période non-révolutionnaire et la révolution. La préparation de la révolution ne serait pas à l’ordre du jour ni la prise de certaines positions par les travailleurs et les opprimés. Et surtout tout se passe sur le terrain national stricto sensu –" cela se passait à l’étranger et ne remuait pas le pays "-, ce qui n’aurait pas d’incidence dans la lutte pour la construction de l’Internationale. Hardy se moque, et à juste titre, de tous ceux qui se considèrent être " l’Internationale " alors qu’il ne sont que de petits groupes. Cependant, à aucun moment il ne dit qu’il lutte pour sa construction. Au lieu de concevoir la France comme partie intégrante du monde, il observe le monde avec des yeux français.

Les soviets et la société future

Pour les militants de Lutte Ouvrière, la principale activité c’est la formation idéologique en attendant que le "moment" arrive. Hardy, au cours de la longue entrevue, ne mentionne pas une seule fois la lutte pour la création d’organismes de double pouvoir (soviets, conseils ouvriers, etc.,). Lutte Ouvrière ne lutte pas pour la direction révolutionnaire au sein des syndicats, ni même pour en expulser les directions bureaucratiques du salariat, et cela parce qu’en ultime instance Lutte Ouvrière ne semble pas convenir que la classe ouvrière ait besoin d’une direction révolutionnaire ou d’institutions de combat au cours des périodes "non révolutionnaires". Cela n’est logique que si l’on pense que la révolution se résume à une explosion, et non à une construction consciente préalable, transitoire.
Trotsky dit tout le contraire d’Hardy dans son Histoire de la Révolution russe. " Au cours du passage du pouvoir d’une classe à l’autre, la transformation violente s’effectue généralement en un laps de temps très court. Mais il n’y a aucune classe historique qui puisse passer d’une situation subordonnée à une position de domination de manière soudaine, du jour au lendemain, bien que ce lendemain soit la révolution. Il est nécessaire pour cela que déjà la veille elle occupe une situation d’extraordinaire indépendance par rapport à la classe officiellement dominante ". Au cours de la période préparatoire, le parti doit lutter pour l’hégémonie au sein des organisations de masse de la classe ouvrière –allant des syndicats aux soviets-, en impulsant de concert toute tendance des masses allant dans le sens du double pouvoir, afin de lutter ainsi pour que la classe ouvrière devienne hégémonique sur le reste des classes opprimées. La "situation d’extraordinaire indépendance" dont parle Trotsky en l’appliquant à la classe ouvrière est un processus objectif et subjectif. L’activité spontanée des masses comme celui du parti qui entraîne cette énergie sur le chemin de la construction d’organismes soviétistes ou de double pouvoir y est essentielle, et cela à travers l’affrontement politique contre les appareils contre-révolutionnaires. Les embryons de la société future prennent corps sous l’ancien régime.
"Nos camarades, dit Hardy, ont participé depuis que Lutte Ouvrière existe, à des centaines de mouvements sociaux, petits ou grands –quand ils ne les ont pas dirigé (…)". On peut néanmoins se demander quelle lutte a été menée contre la bureaucratie syndicale, contre le PCF, contre les autres courants se réclamant du trotskysme, en fonction du combat pour faire adopter le meilleur programme pour remporter une lutte, ou du moins la porter sur des canaux révolutionnaires. La réponse semble être que Lutte Ouvrière n’a pas de politique alternative à celle du " syndicat majoritaire " –ou du moins c’est ce qui filtre des chroniques ouvrières dans sa presse hebdomadaire- car LO ne pense pas que le résultat d’un conflit puisse changer les institutions de classe, le rapport de force entre les classes.
Ainsi, alors que de grandes grèves ont lieu aujourd’hui en France, quelle est la lutte révolutionnaire que donne Lutte Ouvrière au sein des syndicats afin d’offrir une issue révolutionnaires à ces luttes? Lutte Ouvrière bataille-t-elle pour créer des comités de base entre les adhérents aux syndicats et les non adhérents afin d’impulser la lutte et essayer d’imposer son programme? D’après ce que laisse penser sa presse, il n’en est rien. LO veut-elle construire des " syndicats rouges " comme le fut le SDR de l’époque de Pierre Bois et de Barta ? Non. Alors que de nombreuses consignes de Lutte Ouvrière lancées à l’occasion des élections sont extrêmement populaires, on ignore quelles sont les consignes et le mots d’ordre alternatifs à ceux de la bureaucratie, particulièrement aujourd’hui en période de luttes.
En réalité, LO se contente d’accompagner les travailleurs afin qu’ils fassent leur expérience de lutte et pour leur faire de la propagande socialiste. LO nie ainsi l’importance des sujets politiques révolutionnaires, et pour elle le rôle joué par la bureaucratie syndicale ou le réformisme n’aurait ainsi que peu d’importance. Une force telle que LO, qui compte dans ses rangs "plusieurs milliers de cotisants" d’après Hardy et bien insérée dans la classe ouvrière, est responsable –tout comme la Ligue Communiste Révolutionnaire et le Parti des Travailleurs- du fait qu’il n’existe pas aujourd’hui au sein du salariat un courant radicalisé luttant pour renverser la bureaucratie syndicale française –qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été- et qui n’a même plus aujourd’hui un parti de référence. Lutte Ouvrière, par sa politique de passivité consciente laisse un souffle de vie à la bureaucratie syndicale –et au sinistre PCF-, autant de directions qui continuent à tromper et à trahir les travailleurs.
Il n’est pas besoin d’expliquer aux vieux militants de l’Union Communiste ce que peut faire la bureaucratie syndicale et le stalinisme afin d’écraser les tendances révolutionnaires, puisque nombre d’entre eux ont eu à en souffrir. La fait de se nier à combattre l’activité pratique des sujets contre-révolutionnaires est une conception anti-marxiste de la réalité. La critique de Marx dans sa neuvième thèse sur Feurbach peut valoir pour LO. " Le résultat le plus avancé auquel atteint le matérialisme intuitif, c’est-à-dire le matérialisme qui ne conçoit pas l’activité des sens comme activité pratique, est la façon de voir des individus isolés et dans la société bourgeoise ". La bureaucratie syndicale, le PS et le PCF transforment et influent sur la réalité, en fonction de leurs possibilités, tous les jours. Ne pas les combattre dans leurs agissements quotidiens, c’est " agir en individus isolés ".
Pour quelle type de société se bat Lutte Ouvrière ? Si elle ne lutte pas pour la construction de soviets ou de conseils ouvriers au cours de la période de transition et lutte à l’inverse pour la construction d’un solide parti, serait-ce parce que la société future vers laquelle s’oriente LO, plus que celle de la dictature des soviets ouvriers et des classes opprimées, serait celle de la dictature du parti ?

Le parti "local" versus le programme et l’Internationale

Le seul travail de construction à mettre en œuvre selon Hardy, c’est la construction du parti à travers le recrutement individuel. Mais d’après la conception de Lutte Ouvrière, ce parti doit se dédier centralement à la diffusion de l’idéologie communiste afin de recruter plus d’adhérents, niant la nécessité d’un programme de transition puisque la transition n’existe pas. Trotsky affirmait à son époque qu’il " faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat ". D’après Lutte Ouvrière, un tel pont n’existe pas et il n’existe pas plus de revendications transitoires pour lesquelles il faudrait lutter, puisqu’une telle période –de transition entre le capitalisme, la révolution et le socialisme- n’existe pas. En ce sens, le programme à une période " non révolutionnaire " n’a pas d’importance.
Hardy parle également des relations que LO a entretenu avec le morénisme à la moitié des années 1980. Il décrit les rapports entre les deux courants en ces termes : " C’était certainement à l’époque la plus importante des organisations trotskistes. C’était en outre la plus populaire. Le MAS était très implanté dans les milieux ouvriers. Nous avons donc noué des relations avec Moreno ". En fait, selon Hardy, l’importance du MAS se réduisait à son insertion dans la classe ouvrière argentine, au fait qu’il était présent " sur place ". Mais les relations se détériorèrent rapidement car " la direction de ‘l’Internationale’ moréniste considérait que notre façon de vouloir juger sur le terrain n’était pas la bonne par rapport à des accords ‘programmatiques’ au sommet ". Ainsi, pour Hardy, le militantisme " sur le terrain " est beaucoup plus important que tout accord programmatique ou même un programme, qui ne semble pas avoir beaucoup d’importance pour LO, du moins dans ce que laisse transparaître l’ouvrage.
LO ne semble pas vouloir construire un courant international mais une espèce d’association fédérative avec des groupes étrangers qui soient " très implantés dans les milieux ouvriers ". Tout à l’inverse, Lénine et Trotsky rompirent avec la Seconde Internationale et créèrent l’IC postérieurement précisément à partir d’un programme clairement défaitiste révolutionnaire par rapport à la première Guerre Mondiale pour les pays impérialistes. La rupture du groupe de Barta –à l’origine de LO- avec la IV° Internationale et la création d’un courant politique propre s’est dessiné " pour se délimiter d’un milieu petit-bourgeois aux pratiques social-démocrate et non communistes "… en France. La rupture n’eut pas lieu autour d’un programme international. Aussi, Barta n’eut jamais la moindre intention de construire, si ce n’est l’Internationale, du moins un courant basé sur un programme international. Ses continuateurs ne nient pas l’importance d’avoir des " contacts " internationaux mais n’affirment en aucune manière la nécessité de construire –ou reconstruire, ou proclamer la nécessité de construire- l’Internationale révolutionnaire.

Premières conclusions

Lutte Ouvrière a fini par s’adapter à l’état actuel des choses et à son cours en France. Le fait qu’il s’agisse très majoritairement d’un courant français et que le pays ait traversé plus d’un demi siècle de démocratie bourgeoise et qu’il n’y ait pas eu –mise à part lors d’une courte période à la suite de Mai 68- de grandes convulsions révolutionnaires –ni contre-révolutionnaires, comme des dictatures militaires, des cycles répressifs-, voilà ce qui a renforcé la tendance de LO à n’être qu’une organisation " diffusant l’idéologie communiste " sur les lieux de travail et au cours des élections. L’Union Communiste laisse de côté au bout du compte la lutte pour le programme révolutionnaire pour un futur indéterminé… comme le faisait la social-démocratie allemande après Engels.
L’aspect " sectaire " de Lutte ouvrière réside en sa conception du parti qui se construit en soi –à travers le recrutement individuel- et non dans la lutte au sein de la classe ouvrière et des opprimés contre les réformistes et les contre-révolutionnaires en essayant de les expulser de leurs positions généralement dirigeantes des institutions de classe. Cela tend à transformer le parti en une fin en soi pour une période indéterminée –la période non-révolutionnaire selon LO- puisqu’en ne luttant pas pour mettre en échec les ennemis de classe au sein même de la classe laborieuse –la social-démocratie, le stalinisme, la bureaucratie syndicale- Lutte Ouvrière vit avec eux et ne s’en différencie donc… qu’au cours des périodes électorales.
On peut affirmer, dans une première conclusion, qu’à la tâche affichée de LO de diffusion des idées communistes, il manque un certain nombre d’éléments centraux : la lutte pour les soviets, comme base de la société future, le combat contre les appareils réformistes et bien entendu le combat pour l’Internationale basée sur un programme révolutionnaire. En paraphrasant Hardy, on pourrait dire que LO " a les idées communistes " mais les a " tellement transformées qu’elles n’auraient plus aucune efficacité ".
Nous considérons cet article comme un premier élément de débat dans la discussion sur l’idéologie, à notre avis centriste, de la direction de Lutte Ouvrière. Nous invitons tous les militants de cette organisation, et en particulier les camarades de la Fraction de LO, à débattre de ces idées afin de discuter de quel doit être le chemin que devraient emprunter la classe ouvrière et les secteurs opprimés dans leur lutte d’émancipation contre l’esclavage capitaliste.
alex
 
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Message par papadErnest » 10 Mars 2007, 18:59

c'est quoi la FTQI ?
papadErnest
 
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Message par com_71 » 10 Mars 2007, 19:02

Je crois que c'est le regroupement international dont se réclame le groupe trotskyste argentin PTS.

http://www.ft-ci.org/
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Valiere » 10 Mars 2007, 23:04

c'est un livre qui m'avait bien plu.
Valiere
 
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Message par Ottokar » 11 Mars 2007, 06:30

par contre, la critique... qui qu'c'est qu'a fait remonter ce fil ? :33:
Ottokar
 
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Message par com_71 » 11 Mars 2007, 08:20

(Ottokar @ dimanche 11 mars 2007 à 06:30 a écrit : par contre, la critique... qui qu'c'est qu'a fait remonter ce fil ? :roll: :roll:
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par zejarda » 11 Mars 2007, 14:44

(com_71 @ dimanche 11 mars 2007 à 08:20 a écrit :
(Ottokar @ dimanche 11 mars 2007 à 06:30 a écrit : par contre, la critique... qui qu'c'est qu'a fait remonter ce fil ? :-P

On va devoir lire ce que l'on a écrit il ya un ou deux ans. :wacko:
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