Morale ?

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Inna » 16 Août 2006, 01:00

(El convidado de piedra @ mardi 15 août 2006 à 23:26 a écrit : Ou comme disait Machiavel (qui repetait ce que tout le monde savait déjà à son époque) "la fin justifie les moyens".

Decidement alors je tinvite a lire la brochure :


http://marxists.org/francais/trotsky/livre...ale/morale3.htm

et

http://marxists.org/francais/trotsky/livre...ale/morale4.htm


a écrit :Ces courtes remarques suffisent, semble-t-il, à faire ressortir ce qu'il faut d'ignorance et de médiocrité pour prendre au sérieux l'opposition au principe "jésuitique" : "la fin justifie les moyens" -- D'un autre, inspiré d'une morale plus élevée, évidemment, selon lequel chaque "moyen" porte sa petite étiquette morale, de même que dans les magasins, les marchandises vendues à prix fixe. Il est frappant que le bon sens du philistin anglo-saxon réussisse à s'indigner du principe "jésuitique" tout en s'inspirant de l'utilitarisme, si caractéristique de la philosophie britannique. Or, le critérium de Bentham et de John Mill, "le plus grand bonheur possible du plus grand nombre" ("the greatest possible happiness of the greatest possible number"), signifie bien : les moyens qui servent au bien commun, fin suprême, sont moraux. De sorte que la formule philosophique de l'utilitarisme anglo-saxon coïncide tout à fait avec le principe "jésuitique" : que la fin justifie les moyens. L'empirisme, nous le voyons, existe ici-bas pour dégager les gens de la nécessité de joindre les deux bouts d'un raisonnement.

Herbert Spencer, dont l'empirisme avait bénéficié du vaccin évolutionniste de Darwin tout comme on se vaccine contre la variole, enseignait que l'évolution de la morale part des "sensations" et aboutit aux "idées". Les sensations imposent le critérium "d'une satisfaction future plus durable et plus élevée". Le critérium moral est ici encore celui du "plaisir" ou du "bonheur"; mais le contenu en est élargi et approfondi avec le degré d'évolutions. Herbert Spencer montre de la sorte, par les méthodes de son utilitarisme "évolutionniste", que le principe : "la fin justifie les moyens" n'a rien d'immoral.

Il serait cependant naïf d'attendre de ce principe des lumières sur la question pratique suivante : que peut-on et que ne peut-on pas faire ? La fin qui justifie les moyens suscite d'ailleurs la question : et qu'est-ce qui justifie la fin ? Dans la vie pratique comme dans le mouvement de l'histoire la fin et les moyens changent sans cesse de place. La machine en construction est la "fin" de la production pour ensuite devenir, installée dans l'usine, un "moyen" de production. La démocratie est à certaines époques la "fin" poursuivie dans la lutte des classes dont elle devient ensuite le "moyen". Sans avoir rien d'immoral, le principe attribué aux Jésuites ne résout pas le problème moral.

L'utilitarisme "évolutionniste" de Spencer nous laisse aussi sans réponse, à mi-chemin, car il tente, après Darwin, de résorber la morale concrète, historique, dans les besoins biologiques ou les "instincts sociaux" propres à la vie animale grégaire, alors que la notion même de morale surgit dans un milieu divisé par des antagonismes sociaux, c'est-à-dire dans la société divisée en classes.

L'évolutionnisme bourgeois s'arrête, frappé d'impuissance, sur le seuil de la société historique, ne voulant pas admettre que la lutte des classes soit le ressort principal de l'évolution des formes sociales. La morale n'est qu'une des fonctions idéologiques de cette lutte. La classe dominante impose ses fins à la société et l'accoutume à considérer comme immoraux les moyens qui vont à l'encontre de ces fins. Telle est la mission essentielle de la morale officielle. Elle poursuit "le plus grand bonheur possible", non du plus grand nombre, mais d'une minorité sans cesse décroissante. Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte, ne durerait pas une semaine. Le ciment de l'éthique lui est indispensable. La fabrication de ce ciment incombe aux théoriciens et aux moralistes petits-bourgeois. Ils peuvent faire jouer toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ; ils ne sont, tout compte fait, que les apôtres de l'esclavage et de la soumission.



Et cite plus haut
http://marxists.org/francais/trotsky/livre...le/morale16.htm

a écrit :Le moyen ne peut être justifié que par la fin. Mais la fin a aussi besoin de justification. Du point de vue du marxisme, qui exprime les intérêts historiques du prolétariat, la fin est justifiée si elle mène à l'accroissement du pouvoir de l'homme sur la nature et à l'abolition du pouvoir de l'homme sur l'homme.

Serait-ce que pour atteindre cette fin tout est permis ? nous demandera sarcastiquement le philistin, révélant qu'il n'a rien compris. Est permis, répondrons-nous, tout ce qui mène réellement à la libération des hommes. Cette fin ne pouvant être atteinte que par les voies révolutionnaires, la morale émancipatrice du prolétariat a nécessairement un caractère révolutionnaire. De même qu'aux dogmes de la religion, elle s'oppose irréductiblement aux fétiches, quels qu'ils soient, de l'idéalisme, ces gendarmes philosophiques de la classe dominante. Elle déduit les règles de la conduite des lois du développement social, c'est-à-dire avant tout de la lutte des classes, qui est la loi des lois.



a écrit :Le matérialisme dialectique ne sépare par la fin des moyens. La fin se déduit tout naturellement du devenir historique. Les moyens sont organiquement subordonnés à la fin. La fin immédiate devient le moyen de la fin ultérieure... Ferdinand Lassalle fait dire dans son drame, "Franz van Sickingen", à l'un de ses personnages :
Ne montre pas seulement le but, montre aussi le chemin,
Car le but et le chemin sont tellement unis
Que l'un change avec l'autre et se meut avec lui
Et qu'un nouveau chemin révèle un autre but.

Les vers de Lassalle sont fort imparfaits. Lassalle lui-même, et c'est plus fâcheux encore, s'écarta dans sa politique pratique de la règle qu'il exprimait ainsi : on sait qu'il en arriva à des négociations occultes avec Bismarck. Mais l'interdépendance de la fin et des moyens est bien exprimée dans ces quatre vers. Il faut semer un grain de froment pour obtenir un épi de froment.
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Message par com_71 » 16 Août 2006, 01:44

D'abord, autant que possible, ne discutons pas de la nature sociale du Hezbollah sur ce fil.

Ce fil a été ouvert parce que j'avais du mal à comprendre comment un camarade ayant une longue expérience, et ayant vécu de l'intérieur des situations différentes dans plusieurs pays, pouvait écrire ici "la fin justifie les moyens". Ce que l'on entend souvent en France sous la forme vulgaire "on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs". Comparaison répugnante et grossière car mettant sur le même plan, au fond, la perte de vies humaines avec un petit bris de coquilles et, en fait de bonne omelette baveuse, on a généralement un bain de sang.

Convivado, nous dit ensuite être en accord avec un texte de Trotsky disant explicitement "... il découle de là précisément que tous les moyens ne sont pas permis..." et "...faut semer un grain de froment pour obtenir un épi de froment..."
Et Convivado ne voit pas la contradiction avec son affirmation première ?

Il agite le drapeau du mépris des moralisateurs. Mais lesquels ? Les communistes répondent : "ceux dont la morale consiste à prêcher la soumission aux exploités"

Cela laisse la place, contrairement à ce que suggère Convivado, à une morale révolutionnaire, celle de l'insoumission, de la cohésion des exploités...
Et cette morale est comme un fil rouge qui apparaît dans les oeuvres des grands révolutionnaires, comme dans l'histoire, même petite, des révolutions.

Lénine répétant "Seule la vérité est révolutionnaire", c'est de la morale, les bolcheviks détruisant les stocks d'alcool dans Pétrograd en octobre 17, c'est de la morale...

Et ces considérations permettent de savoir, sans même examiner plus son programme, qu'une armée qui balance des bombes sans se préoccuper du caractère militaire de l'objectif, ou même, en faisant le maximum de victimes civiles (Dresde, Hiroshima...) n'a rien à voir avec la défense des exploités.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Lannig » 16 Août 2006, 02:03

(com_71 @ mercredi 16 août 2006 à 02:44 a écrit :

Lénine répétant "Seule la vérité est révolutionnaire", c'est de la morale, les bolcheviks détruisant les stocks d'alcool dans Pétrograd en octobre 17, c'est de la morale...


Heureusement tu ne participas pas à cet événement majeur car, si j'en crois ton avatar, cela aurait été insupportable pour toi :-P ... bon, bon , je sors...

PS : je n'ai pas de commentaires supplémentaires à faire sur le sujet mais j'apprécie pleinement vos réponses à Convivado, merci
Lannig
 
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Message par com_71 » 19 Août 2006, 08:03

(El convidado de piedra @ mercredi 16 août 2006 à 11:13 a écrit : Il y a des moyens qui ne tendent pas vers la fin...si la fin est le communisme; donc si la fin se situe à long terme si on peut dire. On ne peut pas les utiliser, et si on les utilise, on tends vers une autre fin. Ceci est pure logique.

Nous sommes donc d'accord là-dessus. Dont-acte.

Mais il en découle qu'il est légitime de se poser ce genre de question, d'examiner tel ou tel acte de ce point de vue. Que celui qui le fait n'a pas à être qualifié de "moralisateur" comme si c'était l'insulte suprême...

D'ailleurs Convivado, qui veut se donner une image "anti-moralisateurs", n'est pas à une contradiction près :

(Convivado a écrit :L'affirmation "repugnante" "qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs" c'est encore une évidence. Je n'ai jamais réusis à faire une omelette sans casser des oeufs... et pour la signification, on se trouve à la limite de l'interprétation subjective (parce que la plupart des fois ceux qui le disent sont des brutes) et aussi à la limite du pacifisme bourgeois. Et voila le danger. Derrière le souci "pour la vie humaine", et le dégout de la violence se trouvent les Dühring et les Fabiens.


Donc, tout en semblant mépriser 'le souci "pour la vie humaine", et le dégoût de la violence', Convivado pense quand-même que ceux qui les méprisent vraiment, et en donnent hélas des preuves tangibles, sont des "brutes". Et il a là bien raison, même s'il recourt là à une catégorie "morale".

Les communistes ont toujours prétendu qu'il était possible, et souhaitable, d'avoir le souci "de la vie humaine" et d'être déterminé à renverser le pouvoir de la bourgeoisie, justement pour, entre autres, cette raison.
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Message par zeanticpe » 19 Août 2006, 09:04

(Com_71 a écrit :Les communistes ont toujours prétendu qu'il était possible, et souhaitable, d'avoir le souci "de la vie humaine" et d'être déterminé à renverser le pouvoir de la bourgeoisie, justement pour, entre autres, cette raison.

oui, d'accord avec cela.
Je crois aussi que la classe ouvrière est tellement supérieure numériquement à la bourgeoisie que la dictature du prolétariat sera infiniment plus humaine que celle de la bourgeoisie et qua la morale de l'omelette n'y aura pas sa place.
Mais j'ai quand-même une question par rapport à cela.
Il me semble que en 1917, les ouvriers ont été un peu trop humains.
Et qu'ils ont laissé filer bon nombre de bourgeois qui se sont ensuite reconstituer dans l'armée blanche..., si mes souvenirs sont bons.
Dans ce cas, on peut quand-même dire qu'il est tout à fait conforme à notre morale qu'il aurait mieux valu les faire prisonniers.
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Message par com_71 » 19 Août 2006, 09:21

(zeanticpe @ samedi 19 août 2006 à 10:04 a écrit : Il me semble que en 1917, les ouvriers ont été un peu trop humains.
Et qu'ils ont laissé filer bon nombre de bourgeois qui se sont ensuite reconstituer dans l'armée blanche..., si mes souvenirs sont bons.
Dans ce cas, on peut quand-même dire qu'il est tout à fait conforme à notre morale qu'il aurait mieux valu les faire prisonniers.
Oui, cette discussion a eu lieu dans le parti bolchévik.

Et la morale révolutionnaire à laquelle je crois qu'il faut tenir n'a rien à voir avec le "tendre l'autre joue" que les religieux prêchent aux opprimés.
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Message par bennie » 19 Août 2006, 09:45

a écrit :Mais j'ai quand-même une question par rapport à cela.
Il me semble que en 1917, les ouvriers ont été un peu trop humains.
Et qu'ils ont laissé filer bon nombre de bourgeois qui se sont ensuite reconstituer dans l'armée blanche..., si mes souvenirs sont bons.
Dans ce cas, on peut quand-même dire qu'il est tout à fait conforme à notre morale qu'il aurait mieux valu les faire prisonniers.


C'est une question relativement complexe. Ce qui est certain, c'est que la torture par exemple ne peut pas être utilisée par des communistes, quelque soit la situation, même si l'ennemi est cruel...car les gens qui pratiquent ces actes deviennent complètement cinglés. Je n'ose pas imaginer le genre de société que créeraient des gens qui ont lutté de cette façon...

Pendant la Révolution Française, il y a aussi eu des révoltés qui ont laissé filer des Nobles, qui sont revenus avec des troupes... On ne peut pas les accuser d'avoir été trop humains, c'est même plutôt un bon réflexe! En revanche, ces mêmes ont fait une sacrée expérience et n'ont pas du en relacher d'autres.

John reed; par exemple, raconte très bien dans " les dix jours qui ébranlèrent le monde" les différentes expériences que les bolcheviks ont faites, les problèmes auxquels ils ont du faire face, ainsi que leurs solutions, parfois discutables, pas simples, regrettables?
Je ne pense pas qu'on puisse reprocher
a écrit :... les ouvriers ont été un peu trop humains.
Et qu'ils ont laissé filer bon nombre de bourgeois qui se sont ensuite reconstituer dans l'armée blanche...
car ils en ont tiré les conclusions. On pourrait leur reprocher s'ils avaient continué ainsi, ils se seraient alors faits tout simplement massacrer par Les troupes de Kornilov...,au contraire, ils se sont armés et battus.
bennie
 
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Message par bennie » 19 Août 2006, 10:17

Victor Serge raconte des portraits de révolutionnaires et comment certains ou certaines se sont suicidé(e)s face à ce qu'ils voyaient et faisaient.
J'avais déjà raconté le dilemne d'une révolutionnaire quii devait garder un train de marchandises pour les troupes rouges au front, c'était en 1918, en pleine guerre civile et en pleine famine, des hordes de gamins voulaient prendre de chargement d'assaut. Que faire?

On ne peut pas présager de ce qu'il est bon de faire ou pas à l'avance, bien sûr, mais ça vaut le coût de se poser ce genre de questions dès maintenant.

J'espère en tout cas qu'en des circonstances particulières, même si raisonnablement il nous faudrait user de la violence, ça nous rebutera !
bennie
 
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