(Le Figaro @ 17 juin 2005 a écrit :nanterre Face à un examinateur masculin
Des étudiantes voilées créent des incidents
Cécilia Gabizon
Elle avançait comme une ombre, habits sombres, gants, visage recouvert d'un crêpe noir juste fendu à la hauteur des yeux. L'étudiante de Nanterre venait passer un examen la semaine dernière lorsqu'un responsable lui a demandé de se dévoiler pour vérifier son identité. Immédiatement, la jeune femme se braque et refuse au nom de ses convictions religieuses. Elle réclame l'intervention d'une femme, dans une cabine à part.
Dans l'affolement, le vice-président est sollicité et statue alors dans un mail adressé aux personnels administratifs : «Il est indispensable de vérifier son identité. Pour cela je demande à ce qu'une femme lui demande, hors la présence des autres étudiants, de se dévoiler pour procéder à ce contrôle.» Chacun s'exécute alors. Dans la section langues, et par la suite en sciences économiques.
Personne ne peut dire combien de filles entièrement voilées ont bénéficié de ce traitement particulier. Mais à l'université, la polémique enfle. Des professeurs, relayés par le syndicat FO, dénoncent une «dérive» du service public. «Nous ne pouvons pas encourager l'application de la charia ou d'autres textes sacrés dans l'université publique, s'indigne Marcel Monin, maître de conférences en droit. Pour des raisons de principe et pour des raisons techniques liées à la police des examens.»
Ignorant les consignes du vice-président, Marcel Monin a procédé au contrôle d'une femme totalement voilée «sans aucune difficulté». Dans la même salle, une étudiante coiffée d'un hidjab a, en revanche, refusé de se découvrir pour laisser un examinateur constater qu'elle ne portait pas une oreillette dissimulée sous son voile. «J'ai vérifié sous les casquettes, sous les cheveux touffus et aussi sous les foulards, explique le professeur. Car nous avons connu plusieurs cas de fraude sous un voile cette année.» Décidée à ne pas montrer son oreille, l'étudiante a finalement quitté la salle en signant un procès-verbal. Un document au statut juridique incertain.
Personne ne semble savoir quelles règles appliquer. La conférence des présidents d'université s'était pourtant attachée l'an dernier à éditer un livret de consignes sur l'application de la laïcité. Les responsables avaient évoqué ces «étudiants qui récusent un examinateur ou une examinatrice au nom de la séparation des sexes prétendument prônée par leur religion». Le livret prônait le respect du service public et du principe de mixité.
A Nanterre, ces conseils ne semblent pas résister à la réalité de la vie universitaire. L'envoi de personnel féminin pour contrôler les jeunes femmes voilées est, ici, «une procédure adaptée au terrain», tente de défendre Marc Petit, directeur de cabinet du président de l'université. Bruno Lefebvre, qui a rédigé la consigne, évoque, lui, une décision prise «pour éviter un incident, dans le contexte tendu des examens». Et de réclamer une délibération spéciale du conseil des études et de la vie universitaire qui réunit professeurs, administratifs, étudiants et personnalités extérieures. Celui-ci devra se prononcer en octobre. Mais dans le fond, Bruno Lefebvre est convaincu qu'il faut laisser les filles accéder à la connaissance quelles que soient les concessions. «Certaines suivent des cours sur le féminisme, c'est important», avance-t-il, comme un gage d'ouverture. Et de répéter : «Nous ne sommes pas concernés par la loi sur la laïcité.» Pour autant, les universités restent régies par le principe de neutralité religieuse.
Le ministère rappelle que l'avis du Conseil d'État de 1989 (repris à l'occasion d'un autre avis sur une étudiante rendu en 1996) récuse les signes religieux ostentatoires. En l'occurrence, un tchador. Ce que les présidents d'université semblent ignorer aujourd'hui.