Voilà les copains, dernier messaqe avant 15 jours sauf si je trouve un peu de temps d'ici demain.
c'est un cas clinique sans théorisation qui vous le rendrait incompréhensible.
Vignette clinique à la clinique de Laborde, fait il y a 15 ans par une stagiaire.
il parle de lui même et est le résultat institutionnel d'une approche qui travaille la désaliénation sociale dans le collectif pour dégager un espace où l'on peut traiter l'aliénation pschotique... avec les outils de la psychanalyse parmi bien d'autre. L'outil central étant qu'il y a du transfert dans la psychose, que la question est de le rendre possible, de cultiver les "greffes de transfert " (au sens de Gisella Pankoff) et ensuite s'appuyer dessus pour sortir le psychotique de son isolement autistique.
le SAM du chateau équivaut au travail qui se fait dans les espaces où les patients ont leur chambre. Il y en a 4, et Léo était au premier étage du chateau, l'un des 4 SAM
a écrit :Léo
Léo est un jeune psychotique avec des défenses obsessionnelles et des rituels vis à vis de la nourriture qui occupaient a vie entière, vraiment 24 heures sur 24, L'origine délirante est un refus d'identification à son oncle petit et gros ; ainsi au début de son adolescence Léo a commencé un régime draconien qui a conduit à un amaigrissement de 30 kg mettant en jeu le pronostic vital. Après quelques hospitalisations en service d'endocrinologie puis au C.H.S de son secteur, Léo est arrivé à la clinique de La Borde en juin 1984. Il y est toujours hospitalisé.
Au S.A.M. du château
Léo n'est pas là, il aide Jacques, le cuisinier qui ce matin travaille au jardin.
Face à nous le lit de Léo; à côté, entre le lit et le lavabo une table de camping au dessus de laquelle est accroché un miroir. Sur la table, une assiette, un bol, des couverts propres, une gourde.
Au mur des reproductions : un coucher de soleil, une planche à voile. Sur la cheminée, des photos de Léo à la mer, des plumes de paons, des pommes de pin, à côté un tupperware, un paquet de céréales, un livre de diététique. Entre la fenêtre et l'armoire maintenue fermée par un gros cadenas, des cartons renferment des sacs en plastique fermés, recélant je ne sais quels trésors ou nourritures, une pompe à vélo, des cartes I.G.N., des manuels sur la forêt, la nourriture, l'élevage des abeilles. A l'extérieur sur l'appui de la fenêtre : une dizaine de yaourts, des fruits, une assiette de crudités, des boites plastiques alimentaires; sous le lit, des cageots de noix, noisettes, fruits secs, bananes - de quoi tenir un siège.
Devant mon étonnement Georges m'explique que c'est son territoire, qu'il n'accepte l'intrusion de personne, fait son ménage seul. Léo n'est pas sociable, il s'intéresse au jardin, à la nature, il mange dans sa chambre, suit un régime alimentaire particulier, imposé par lui afin de ne pas grossir. Il ne supporte aucune présence lors de ses repas; toutefois sur ce point Léo a fait beaucoup de progrès. A son arrivée il mangeait et se faisait vomir aussitôt. Ses réserves ont aussi considérablement diminué, ce que j'en vois est bien peu de choses. Auparavant sa chambre était une véritable épicerie dans laquelle les plateaux de fruits pourrissaient et les yaourts devenaient rances. Georges ajoute qu'il est devenu beaucoup moins sauvage. De fait, vers midi Léo fait irruption dans l'infirmerie, il interrompt la conversation, se plante entre Suzanne et moi et parle très fort. Il envahit l'espace, on n'entend que lui :
- "Et moi, ce matin je suis allé au jardin... alors je n'ai pas eu le temps de voir mon médecin... et moi plus tard j’apprendrai un métier... et moi..."
Il a tellement de choses à dire qu'il en bafouille, il veut tout dire tout entendre
- et qu'est-ce que vous disiez ?. . . Et moi j'irais bien à la cuisine, mais je n’y arrive pas...et moi..
II gesticule, ponctue chaque phrase par un crachat dans la poubelle. Il parle sans cesse, sans vraiment regarder son interlocuteur, la tête légèrement tournée sur le côté.
A mon arrivée au S.A.M., Leo vient ainsi souvent à l'infirmerie. Le visage tendu, crispé, il nous dit parlant toujours très fort : s'il ne suit pas l'emploi du temps qu'il a établi avec les moniteurs c'est qu'il a d'autres contraintes à respecter. Je comprendrai plus tard l'organisation de ses journées chronométrées : il doit se lever avant le soleil, afin de le voir apparaître au dessus de l'étang; s'il rate cela, alors sa journée est fichue. De même s'il prévoit l'achat de rustines pour son vélo cela lui prendra la journée car il n'ira pas au village tout proche, mais dans une grande surface distante de quinze kilomètres pour économiser quelques francs. En fait il fera plus de vingt kilomètres, car il passera par la forêt voir si les noisettes mûrissent afin d'être le premier à les cueillir.
Ses repas correspondent à un rituel : il se place d'une certaine façon à sa table, sélectionne les aliments selon un critère - ce qui fait du gras et le reste... Lorsque plus tard je parlerai avec Léo, il me dira combien la nourriture envahit toute son existence. Cela commence dès le matin, l'angoisse à propos de ce qu'il y aura à manger, s'il pourra s'en procurer suffisamment et cornent. Puis il sélectionne les aliments, ceux qu'il peut manger, ceux qu'il ne peut pas manger. Le repas dure longtemps. Léo ne doit pas être dérangé, i1 coupe tout en menus morceaux, salive beaucoup mais la salive fait grossir,alors il se rince la bouche plusieurs fois, se lave les mains, crache et après, cela peut être le drame. Un déchirement complet, une culpabilité sans pareille : il a encore trop mangé. Il va mal, ne pense plus qu'à cela, mobilise son énergie à combattre ce trop plein. Toutes ces mauvaises choses ingérées. Tout le monde le regarde, tout le monde 1 e sait et il souffre muré dans sa chambre alors que la journée se termine.
A la cuisine
D'autre journées se sont écoulées, je proposais à Léo de partager notre repas à la cuisine; on y mange peu nombreux après le service, en prenant son temps.
Il refusait, hésitait, disparaissait toujours vers midi sous le prétexte d'un coup de fil urgent ou d'un rendez-vous médical. Lorsque nous étions à table Léo réapparaissait s'attardant un peu tout en glanant ses provisions.
Vint le mois de février et les vacances. Léo partit dans sa famille pour une semaine et moi de mon côté.
Quel ne fut pas mon étonnement rentrant quinze jours plus tard : Léo à la plonge lavait les casseroles de bon matin...
Un fait important s'était produit durant mon absence. Michel l'économe et cuisinier, venant au travail, passant devant le château, aperçut dans un recoin d'une tour sur le toit, au dessus de la gouttière, des paquets de yaourts, des pommes et des oranges. Il alla donc les ranger dans un lieu plus approprié. Ce matin là, le docteur Bleuet vient à peine de s'asseoir à son bureau lorsque Léo de retour la veille, fit irruption en rage, le visage défait par l'indignation et la colère.
- Il faut que je vous parle tout de suite à vous, à Georges et à Jacques aussi... on m'a volé mes réserves!!"
En dix minutes tous quatre se réunissent. 11 leur explique sa souffrance, qu'il passe ses journées à s'inquiéter à savoir comment il va se nourrir, comme il ne peut pas manger de tout. Il a peur de ne pouvoir se procurer quotidiennement ce qu'il souhaite, si par exemple, un jour, il n’y avait pas de yaourt. Pour cela, il doit toujours en avoir d'avance, être certain de ne pas manquer.
Un nouveau contrat est donc mis au point. Léo viendra travailler quatre matinées par semaine à la cuisine en échange de quoi il a à sa disposition les clefs du frigo et les cuisiniers lui fourniront tous les aliments qu'il souhaite, à condition qu'il prenne uniquement ce qu'il consomme dans la journée.
Dès le lendemain, il me fit une démonstration, demandant deux pamplemousses à midi, il revint après le repas disant
- "je vais les remettre à la cave..."
Au fil des jours Léo "s'investit" à la cuisine, sa place est reconnue. Il est responsable de tâches précises, prépare les plats. C'est lui qui aura la charge de m'épauler lorsque je prendrai seule la responsabilité de la cuisine et du repas certains soirs.
Je lui propose toujours de manger ensemble, ça ne marche toujours pas, je me décourage, d'autant plus que pendant ce temps je travaille à mon mémoire, je tente d'écrire ma rencontre et mon travail avec lui.
Ce midi là avant le service, Jacques et moi parlons du printemps frileux, du rosier du Japon qu'il vient de planter peut être un peu trop tôt; et puis Léo s'approche de mol
"Je voudrais te dire quelque chose"
Et tout bas à l'oreille
"J’ai envie de manger là aujourd'hui..."
Mais pour aider Léo à se distancier de ses rituels psychotiques, ses soignants ont essayé de le greffer sur d'autres lieux dans la clinique. C'est ainsi qu'il a été un temps, responsable de l'atelier vélo, mais il disparaissait des journées avec la clef ou au contraire, le laissait ouvert sans s'assurer de la surveillance. Par contre il arrive à travailler au jardin avec un des cuisiniers, et a fait venir une ruche - l'apiculture est sa passion. C'est non sans mal qu'il a pu s'adresser à la collectivité, pendant la réunion d'accueil du vendredi, pour formuler cette demande, rassurer les réticents qui avaient peur de se faire piquer. Il participe également à un groupe de parole d'une dizaine de pensionnaires et de deux moniteurs, dont George, qui se réunit régulièrement au café du village voisin; le groupe a accepté qu'il se singularise en ne prenant pas de consommation... Sa cure se poursuit...