Russie : colère des retraités

[emman]

La réforme "sociale" russe soulève la colère des retraités
LE MONDE | 14.01.05 | 14h20


Moscou correspondance

Les contrôleurs du métro de Moscou ont été les premiers surpris. Depuis le 1er janvier, date d'entrée en vigueur d'une loi mettant fin aux avantages sociaux hérités de l'URSS, ils ne guettent plus seulement les jeunes tricheurs. .. mais aussi les retraités. "Les gens doivent comprendre que la loi est passée, et que les avantages en nature, c'est terminé", indique fermement Vera, contrôleuse. Les retraités, les héros du travail, héros de la Russie, vétérans, invalides et certaines professions d'Etat ne bénéficient plus du transport en commun gratuit. Pour toute une partie de la population, la loi votée le 3 août 2004 est un bouleversement historique, la perte d'une garantie sociale étatique. D'autres avantages sont supprimés : gratuité des médicaments, des cures, de manifestations culturelles publiques, réductions de tarifs téléphoniques ou loyers modérés.

Les populations concernées devraient désormais toucher une compensation financière. Mais les retraités refusent de perdre ce qui apparaît comme un dernier vestige social du système soviétique. Après les crises financières de 1991 et 1998, ils s'accrochent à un acquis qu'ils considèrent plus sûr que l'argent.

Rassemblés dans différentes villes de Russie comme Togliatti, Toula, Nijni-Novgorod, Samara, Perm ou Barnaoul, ils manifestent depuis plusieurs jours contre cette réforme dite "sociale". Les journaux et télévisions ont montré les retraités s'opposant aux forces de l'ordre aux cris de "Poutine ennemi, pire qu'Hitler".

Paradoxalement, les forces de l'ordre sont elles aussi concernées par la nouvelle loi. Mais, rattachées à l'Etat, elles ne sont pas autorisées à manifester. "Le problème, c'est que l'Etat aujourd'hui ne remplit pas ses fonctions, constate Ioura, 22 ans, jeune officier. Je le vois tous les jours dans l'armée, où les salaires sont versés avec retard. Alors qu'est-ce qui prouve qu'il donnera ces compensations à ceux qui en ont besoin pour vivre ?" Il s'inquiète aussi pour lui, car les 1 000 roubles (27 euros) mensuels qu'on lui a promis pour les transports devraient être ajoutés directement à son salaire. Denis, policier, devra désormais payer son loyer, et le transport. Comme il gagne 8 000 roubles (215 euros) par mois, il s'apprête à disposer de 5 500 roubles (150 euros) pour vivre, et attendra les allocations de l'Etat pour compléter. "Le problème, c'est que le coût de la vie augmente, et que Moscou, ville où je travaille, est une ville chère. Et j'ignore si ma région sera généreuse."

Près de 20 millions de personnes devraient toucher ces compensations des autorités régionales, tandis que 13 millions devraient toucher l'argent du budget fédéral : entre 800 roubles (21 euros) et 3 500 roubles (95 euros) par mois. Certains craignent qu'au final les inégalités entre régions se ressentent au niveau des bénéficiaires. Soucieux de rassurer les manifestants, le président de la Douma, Boris Gryzlov, a été jusqu'à évoquer la possibilité, pour les régions qui n'auraient pas les moyens de financer ces compensations, de maintenir les avantages en nature. Il n'est pas exclu que chaque région procède à de petits réajustements. Moscou et sa région pourraient passer un accord afin de permettre aux nombreux Russes qui viennent chaque jour travailler dans la capitale de ne pas être désavantagés. Ils pourraient continuer à voyager gratuitement.

Pour le premier ministre, Mikhaïl Fradkov, les inquiétudes des manifestants viennent d'abord d'un manque d'informations. Il a demandé, jeudi 13 janvier, aux membres de son gouvernement d'être "plus actifs dans le travail d'explication". Une ligne rouge téléphonique a été mise en place : elle est depuis constamment occupée. Pour l'Etat, il s'agit avant tout de réformer un système miné par la corruption.

Madeleine Vatel