a écrit :
• LE MONDE | 17.02.03 | 13h51
"Le monde dit non à la guerre", lisait-on sur la Ière Avenue, à New York
Environ 250 000 personnes se sont rassemblées à Manhattan, samedi 15 février, pour protester contre la perspective d'une guerre en Irak, pour la plus grande manifestation des deux dernières décennies. D'autres protestataires se sont réunis dans les principales villes américaines
New York, Los Angeles de nos correspondant
Dans un froid polaire, une foule estimée à 250 000 personnes s'est massée, samedi 17 février, pendant plusieurs heures à Manhattan, se réchauffant tant bien que mal en chantant, en applaudissant et en agitant des pancartes réclamant la paix et conspuant George Bush. Il s'agissait, de loin, de la plus importante manifestation à New York depuis deux décennies. La municipalité avait interdit un défilé et autorisé seulement un rassemblement statique.
Le déploiement de police était impressionnant. Les manifestants étaient littéralement parqués dans des enclos de barrières métalliques, le long de la Ire avenue. Cela a fini par en agacer un petit nombre, qui a tenté de prendre le contrôle de rues adjacentes et s'est heurté aux forces de l'ordre. Il y a eu 295 arrestations. Un inspecteur a été conduit à l'hôpital et deux chevaux de la police montée ont été blessés.
"Finalement, rien de bien grave", a déclaré en fin de journée Raymond Kelly, le chef de la police de New York, plutôt soulagé que "la très vaste majorité des participants aient été très coopératifs." Il a évalué la foule à 100 000 personnes, les organisateurs à 400 000. La première avenue étant noire de monde sur plus de 2 kilomètres, les spécialistes estimaient que 250 000 participants était un chiffre vraisemblable.
En dehors des quelques incidents, l'atmosphère était plutôt bon enfant et les participants venus d'horizons très divers. Il y avait bien sûr des "anciens combattants", qui s'étaient déjà opposés aux guerres du Vietnam et du Golfe, des gauchistes et des anarchistes, mais on trouvait aussi, en grand nombre, des lycéens, des étudiants, des couples avec de jeunes enfants, des personnes plus âgées venues défendre les droits civiques ou membres de groupes religieux chrétiens, juifs, musulmans. Il y avait également des antiracistes, des défenseurs de l'environnement, des syndicalistes, des organisations professionnelles.
"VIVE LA FRANCE !"
"Le monde dit non à la guerre", proclamait une gigantesque banderole au croisement de la 51e Rue, là où la foule était la plus dense. Au milieu des drapeaux américains, les slogans écrits sur les pancartes étaient pour tous les goûts : de "Tuer des innocents n'est pas la solution, mais le problème" à un plus classique "Non à la guerre impérialiste", en passant par "Pas de sang pour le pétrole"ou "Les vétérans du Vietnam vous en conjurent, pas de guerre". On pouvait même voir parfois un "Vive la France !" ou "Merci la France" griffonnés sur un morceau de carton.
"Je n'ai aucune sympathie pour Saddam Hussein, mais je n'ai pas donné tout ce que je pouvais depuis vingt-neuf ans à mes élèves pour qu'ils aillent se faire tuer dans le désert irakien", déclarait Glenn Tepper, 52 ans, professeur d'anglais dans un lycée du Bronx. "Je suis déçu que Colin Powell se soit rallié à Bush et à Cheney. La guerre ne résoudra pas, bien au contraire, le problème du terrorisme", expliquait Angela Tsang, 21 ans, une étudiante membre de la Coalition antiguerre de l'Université Columbia. "Bien sûr il faut empêcher Saddam Hussein de posséder des armes de destruction massive, c'est un dictateur sanguinaire, mais une attaque préventive n'est pas moralement défendable et creusera encore le fossé entre les Etats-Unis et l'Europe, les Etats-Unis et les Arabes et les Etats-Unis et le monde", estimait Kristin Casper, 31 ans, informaticienne.
Sur le podium installé au carrefour de la 49e Rue et de la Ire Avenue, d'où l'on pouvait distinguer, dans le fond, la silhouette du bâtiment de l'ONU, se sont succédé des personnalités dont l'archevêque sud-africain Desmond Tutu, le chanteur Pete Seeger, les acteurs Danny Glover, Susan Sarandon et Harry Belafonte, le sénateur de l'Etat de New York Al Sharpton et Donna Lieberman, responsable du mouvement de défense des libertés civiles. "Ce n'est pas parce que vous avez le plus gros fusil que vous devez absolument vous en servir", a crié Martin Luther King III. "Il y a d'autres problèmes dont il faut nous occuper en urgence sur cette planète", a ajouté Angela Davis.
Les manifestations aux Etats-Unis ne se résumaient pas à celle de New York, même si elle était la plus importante. Des rassemblements ont eu lieu dans plus d'une centaine de villes dont Chicago, Philadelphie, Miami, Seattle, Detroit, Austin...
LE SHOW-BIZ DE HOLLYWOOD
Trente mille personnes, d'après la police, 10 000 selon les organisateurs, ont défilé à Los Angeles dans le quartier de Hollywood, un beau résultat pour une ville sans grande tradition de rassemblements. En tête, des personnalités du show-biz tenaient une bannière bilingue : "No war on Iraq ! - No a la guerra en Irak !". En première ligne, on reconnaissait l'actrice Anjelica Huston, son mari, le sculpteur Robert Graham, le réalisateur Rob Reiner, les acteurs Martin Sheen, Christine Lahti, James Cromwell et Mike Farrell, arborant tous deux le T-shirt blanc de l'organisation hollywoodienne contre la guerre, Artists United to Win Without War.
Sur les pancartes brandies par cette foule bigarrée - de très jeunes et de plus âgés, des Blancs, des Latinos et des Noirs, des novices ou d'anciens militants -, on lisait : "La guerre n'est pas un jeu", "De l'argent pour les enfants, par pour la guerre". Le slogan "Agissez comme sur un globe, pas comme dans un empire" était particulièrement populaire. Au rythme des tambours, les Angelenos ont scandé de vieux refrains pacifistes : "Que voulons-nous ? La paix ! Quand la voulons-nous ? Maintenant !" La musique hip-hop du rappeur Tupac Shakur, Changes, a clos la marche.
A l'angle de Sunset Boulevard et de La Brea Avenue, quelques élus locaux, des leaders syndicaux, latinos, se sont exprimés, et l'acteur Martin Sheen, le "président" de la série "A la Maison Blanche", a supplié : " Que notre pays se réveille !"
Une pancarte se faisait particulièrement remarquer devant l'estrade : " Thank you, France !" "M. de Villepin a fait la plaidoirie la plus éloquente et la plus responsable en faveur des inspections, a déclaré au Monde le réalisateur Rob Reiner. Ici, nous demandons à Bush de nous prouver que l'Irak représente un danger imminent." Josh Lucas représente la génération des jeunes acteurs de Hollywood qui s'engagent actuellement : "Je viens d'une famille antinucléaire, a-t-il expliqué. Je ne pense pas que cette guerre soit nécessaire, car je ne vois pas de corrélation avec la lutte contre le terrorisme."
"Le solaire, pas le balistique", entendait-on à San Francisco, où 150 000 personnes - dont les chanteuses Joan Baez et Bonnie Raitt et l'acteur Danny Glover - ont marché de l'Embarcadero au Civic Center, dimanche, la manifestation ayant été décalée en raison des festivités du Nouvel An chinois.
Eric Leser et Claudine Mulard
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 18.02.03