a écrit : UKRAINE - Poutine en campagne téléprésidentielle à Kiev
Les Ukrainiens sont invités à poser des questions au président russe Vladimir Poutine, qui répondra en direct à la télévision. Une opération de communication destinée à soutenir Viktor Ianoukovitch, le favori du Kremlin dans la campagne présidentielle ukrainienne. A en croire la presse russe, l'enjeu est de taille.
Durant sa carrière présidentielle, Vladimir Poutine a plus d'une fois investi le petit écran pour s'adresser à ses concitoyens et se prêter au jeu des "questions en direct". "Aujourd'hui, mardi 26 octobre, la parole du président de Russie est attendue en Ukraine. Pour la première fois, les trois principales chaînes nationales retransmettront en direct l'intervention d'un dirigeant étranger", souligne le quotidien populaire russe Komsomolskaïa Pravda.
La visite de Poutine en Ukraine n'a rien de fortuit. "Selon l'agenda, Poutine séjournera à Kiev jusqu'à jeudi, jour de parade devant une tribune de présidents d'anciennes républiques de l'URSS en l'honneur du soixantième anniversaire de la libération de Kiev des envahisseurs nazis allemands", précise Vedomosti. Ce quotidien financier moscovite consacre son éditorial à la "visite du tsar" Poutine en Ukraine.
Ce soir, la chaîne publique ukrainienne UT-1, mais aussi les chaînes Intera et 1+1 diffuseront l'intervention du président russe à partir de 20 heures en Ukraine. "D'après les représentants d'une des chaînes, Poutine n'a pas prévu de limite de temps." Il aura tout le loisir de répondre aux questions des Ukrainiens, posées par téléphone ou grâce à un site Internet spécial.
"La prestation du président sur les chaînes nationales d'un pays étranger s'inscrit formellement dans le cadre du protocole diplomatique", estime le directeur du Centre russe de technologies politiques Alexeï Makarkine, cité par Vedomosti. Cet expert analyse l'intervention de Poutine à la lumière de l'élection présidentielle ukrainienne du 31 octobre, qui désignera un successeur à Leonid Koutchma. Viktor Ianoukovitch et Viktor Iouchtchenko s'y livrent une bataille électorale agressive et particulièrement polarisée, dans laquelle ces deux principaux candidats sont au coude à coude dans les sondages. Pour Makarkine, "il faut interpréter l'intervention de Poutine comme faisant partie de la campagne électorale du 'candidat du pouvoir' Viktor Ianoukovitch". Néanmoins, au quartier général de ce candidat prorusse soutenu par le Kremlin, on ne fait aucun commentaire.
Dans leur éditorial, les Vedomosti font moins de secret. "Poutine soutient ouvertement Ianoukovitch. Il dira aux Ukrainiens qui veulent être amis de la Russie pour qui ils doivent voter. Selon ce principe, celui qui a l'intention de voter pour Viktor Iouchtchenko ne veut pas de cette amitié avec la Russie. En conséquence, Moscou insiste sur l'idée que les Ukrainiens n'auront pas seulement à choisir entre deux candidats, mais entre la Russie et l'Occident. Dans une telle configuration, il est extrêmement difficile de trancher. Et le choix sera d'autant plus dur que l'Ukraine devra voter pour un système étatique inspiré soit du modèle démocratique occidental, soit de l'autoritarisme postsoviétique", note le quotidien, qui fait partie du groupe Pearson, propriétaire du Financial Times.
Dans la presse populaire russe, le choix est fait, comme en témoignent les articles dénonçant une campagne diffamatoire de la part de Viktor Iouchtchenko, qui a accusé le clan de son adversaire d'avoir tenté de l'assassiner. Aujourd'hui, cette affaire d'empoisonnement repasse au second plan. C'est ce qui fait dire à la Komsomolskaïa Pravda que "la campagne présidentielle a atteint le stade où même la pire des opérations de relations publiques n'a presque pas d'effet". En revanche, le journal russe s'inquiète d'une possible déstabilisation orchestrée par le camp de Iouchtchenko. "Selon toute vraisemblance, il pense désormais sérieusement à un scénario à la géorgienne." Autre signe négatif, selon le même journal, la venue en Ukraine du "célèbre extrémiste serbe Alexandre Maritch, dirigeant du mouvement étudiant Otpor, organisateur des manifestations sauvages [contre le pouvoir] à Belgrade, Tbilissi et Minsk".
Mais que risque Moscou, en prenant position pour son favori dans la campagne présidentielle ukrainienne ? Selon les experts russes interrogés par Vedomosti, un soutien aussi explicite nuit à la réputation de la Russie et à l'image de Poutine, notamment en cas d'échec de Ianoukovitch. "Le Kremlin se met le dos au mur", écrivent les Vedomosti. Mais le quotidien russe des affaires estime que, quelle que soit l'issue du scrutin, il n'y aura pas de conséquences catastrophiques pour la Russie. En effet, "on peut s'entendre avec Iouchtchenko, même si c'est plus facile avec Ianoukovitch. Mais il est plus avantageux pour le Kremlin de présenter les élections ukrainiennes comme une lutte géopolitique entre la Russie et les Etats-Unis – et de l'emporter. La victime de ce combat sera l'Ukraine, qui entrera alors dans le club des pays de la Communauté des Etats indépendants, inadaptés à la démocratie."
Philippe Randrianarimanana