
60 ans après, un ancien STO veut faire payer l'Allemagne
Le conseil des prud'hommes de Draguignan lui a donné raison.
ouis Rougé, 82 ans, vient d'obtenir soixante ans après plus de 276 000 euros : 76 224 euros de salaires et 200 000 euros en «réparation du préjudice moral» pour les vingt-trois mois de travail obligatoire (STO) effectués en Allemagne, entre juin 1943 et mai 1945. Le conseil des prud'hommes de Draguignan (Var) a condamné l'Etat allemand comme successeur juridique du IIIe Reich.
Compétence. A l'âge de 20 ans, Louis Rougé, fraîchement engagé dans la Résistance, avait été arrêté par la milice en 1943. Affecté à Kiel, il a dû travailler comme mécanicien à l'entretien des chemins de fers. STO comme près de 700 000 travailleurs français partis en Allemagne, de gré ou de force, de juin 1942 à juillet 1944. Depuis deux ans, le retraité de Brignoles réclamait ses arriérés de salaires.
Sur la compétence qu'on pourrait mettre en doute pour traiter ce type de dossier, le conseil de prud'hommes s'est déclaré fondé «aussi bien dans ses attributions que territorialement pour juger ce dossier d'après le code du travail français». Il s'est aussi référé au nouveau code de procédure civile, au règlement du Conseil de l'Europe, au procès de Nuremberg, aux lois du gouvernement de Vichy. Pour balayer la règle de la période de prescription de cinq ans valable en matière de créances de salaires, il a cité une loi allemande de juillet 2000 «reconnaissant tardivement un droit à indemnisation pour les travailleurs forcés».
Aucun représentant de l'Allemagne n'était présent à Draguignan jeudi, arguant de l'irrégularité de la convocation, dans un courrier au conseil des prud'hommes de Draguignan. «J'avais demandé à la cour d'appel comment il fallait convoquer l'Allemagne, explique Me Emmanuel Ludot, l'avocat de Louis Rougé, et nous avons correctement appliqué cette procédure, par la voie de l'entraide judiciaire.» L'Etat allemand a annoncé vendredi qu'il ferait appel de la décision. En attendant, il doit quand même verser à Louis Rougé la somme qu'il a été condamné à payer.
Cassation. A Paris, la décision du conseil des prud'hommes est vivement critiquée. «Elle est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, fait remarquer Régis de Gouttes, premier avocat général près la Cour de cassation. La Cour de cassation estime que le principe de l'immunité d'un Etat étranger s'apprécie au moment de l'assignation en justice, et non au moment des faits.» Le 16 décembre 2003, la Cour de cassation avait confirmé que l'immunité des Etats étrangers interdisait de condamner l'Allemagne à dédommager un Français contraint de travailler dans ce pays de juin 1944 à avril 1945, au titre du service du travail obligatoire. C'était le point de vue soutenu par le parquet de Draguignan à l'audience.
«C'est toujours le même argument, commentait vendredi Emmanuel Ludot. On dit que l'Allemagne est protégée par l'immunité de juridiction, qu'un Etat ne peut pas être condamné par un autre Etat.» L'avocat du barreau de Reims s'est fait une spécialité de la défense des anciens STO qui exigent réparation. Ce n'est donc pas une première judiciaire.
Une dizaine d'affaires de ce type ont été portées devant les tribunaux ces dernières années. En février 2002, le conseil des prud'hommes de Fontainebleau condamnait ainsi l'Etat allemand à indemniser un ancien travailleur forcé de 78 ans. Arrêté par la Gestapo en juin 1944, celui-ci avait travaillé dans une usine près de Hanovre pendant dix mois, avant d'être libéré par les Américains. Le montant des salaires et préjudices avait été estimé à près de 93 000 euros. Le jugement avait été annulé en cassation.
Combat. «Même si le jugement est cassé, ça permet au plaignant de pousser un coup de gueule dans le prétoire et de montrer qu'il existe», estime l'avocat, pas le moins du monde découragé. En plus de la trentaine de procès en cours, il compte ferrailler jusqu'à la Cour européenne. «Je souhaite poursuivre l'Etat français qui n'a pas été en mesure d'indemniser les travailleurs forcés et qui n'assume pas les conséquences des lois de février 1943 sur le STO (rendant obligatoire le travail en Allemagne) au profit des nazis.»
Le conseil des prud'hommes de Draguignan lui a donné raison.
ouis Rougé, 82 ans, vient d'obtenir soixante ans après plus de 276 000 euros : 76 224 euros de salaires et 200 000 euros en «réparation du préjudice moral» pour les vingt-trois mois de travail obligatoire (STO) effectués en Allemagne, entre juin 1943 et mai 1945. Le conseil des prud'hommes de Draguignan (Var) a condamné l'Etat allemand comme successeur juridique du IIIe Reich.
Compétence. A l'âge de 20 ans, Louis Rougé, fraîchement engagé dans la Résistance, avait été arrêté par la milice en 1943. Affecté à Kiel, il a dû travailler comme mécanicien à l'entretien des chemins de fers. STO comme près de 700 000 travailleurs français partis en Allemagne, de gré ou de force, de juin 1942 à juillet 1944. Depuis deux ans, le retraité de Brignoles réclamait ses arriérés de salaires.
Sur la compétence qu'on pourrait mettre en doute pour traiter ce type de dossier, le conseil de prud'hommes s'est déclaré fondé «aussi bien dans ses attributions que territorialement pour juger ce dossier d'après le code du travail français». Il s'est aussi référé au nouveau code de procédure civile, au règlement du Conseil de l'Europe, au procès de Nuremberg, aux lois du gouvernement de Vichy. Pour balayer la règle de la période de prescription de cinq ans valable en matière de créances de salaires, il a cité une loi allemande de juillet 2000 «reconnaissant tardivement un droit à indemnisation pour les travailleurs forcés».
Aucun représentant de l'Allemagne n'était présent à Draguignan jeudi, arguant de l'irrégularité de la convocation, dans un courrier au conseil des prud'hommes de Draguignan. «J'avais demandé à la cour d'appel comment il fallait convoquer l'Allemagne, explique Me Emmanuel Ludot, l'avocat de Louis Rougé, et nous avons correctement appliqué cette procédure, par la voie de l'entraide judiciaire.» L'Etat allemand a annoncé vendredi qu'il ferait appel de la décision. En attendant, il doit quand même verser à Louis Rougé la somme qu'il a été condamné à payer.
Cassation. A Paris, la décision du conseil des prud'hommes est vivement critiquée. «Elle est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, fait remarquer Régis de Gouttes, premier avocat général près la Cour de cassation. La Cour de cassation estime que le principe de l'immunité d'un Etat étranger s'apprécie au moment de l'assignation en justice, et non au moment des faits.» Le 16 décembre 2003, la Cour de cassation avait confirmé que l'immunité des Etats étrangers interdisait de condamner l'Allemagne à dédommager un Français contraint de travailler dans ce pays de juin 1944 à avril 1945, au titre du service du travail obligatoire. C'était le point de vue soutenu par le parquet de Draguignan à l'audience.
«C'est toujours le même argument, commentait vendredi Emmanuel Ludot. On dit que l'Allemagne est protégée par l'immunité de juridiction, qu'un Etat ne peut pas être condamné par un autre Etat.» L'avocat du barreau de Reims s'est fait une spécialité de la défense des anciens STO qui exigent réparation. Ce n'est donc pas une première judiciaire.
Une dizaine d'affaires de ce type ont été portées devant les tribunaux ces dernières années. En février 2002, le conseil des prud'hommes de Fontainebleau condamnait ainsi l'Etat allemand à indemniser un ancien travailleur forcé de 78 ans. Arrêté par la Gestapo en juin 1944, celui-ci avait travaillé dans une usine près de Hanovre pendant dix mois, avant d'être libéré par les Américains. Le montant des salaires et préjudices avait été estimé à près de 93 000 euros. Le jugement avait été annulé en cassation.
Combat. «Même si le jugement est cassé, ça permet au plaignant de pousser un coup de gueule dans le prétoire et de montrer qu'il existe», estime l'avocat, pas le moins du monde découragé. En plus de la trentaine de procès en cours, il compte ferrailler jusqu'à la Cour européenne. «Je souhaite poursuivre l'Etat français qui n'a pas été en mesure d'indemniser les travailleurs forcés et qui n'assume pas les conséquences des lois de février 1943 sur le STO (rendant obligatoire le travail en Allemagne) au profit des nazis.»