Mélenchon (PS) veut enrôler les déçus du chevènementisme
LE MONDE 09.06.04
La place de Jean-Pierre Chevènement au Parti socialiste est restée vacante ? Pour Jean-Luc Mélenchon, elle est donc à prendre. L'ancien ministre délégué à l'enseignement professionnel du gouvernement Jospin a créé, le 30 mai, dans une salle de Viry-Châtillon (Essonne) une association baptisée Pour la République sociale (PRS) destinée, selon ses vœux, à devenir le pôle central des républicains de gauche - sans distinction de parti.
Au même moment, le maire de Héricourt (Haute-Saône), Jean-Pierre Michel, un ex-chevènementiste qui avait fondé l'Association pour une gauche républicaine (AGR) au lendemain de l'élection présidentielle de 2002, a annoncé qu'il rejoignait le PS, accompagné de quelque 500 militants de l'AGR. Cette décision, qui concerne les trois quarts des effectifs de l'association, a été prise lors d'un comité directeur convoqué le 29 mai à Antony, dans les Hauts-de-Seine. Dans la foulée, ceux que l'on ne nomme plus que les "déçus du chevènentisme" ont pris le parti de rejoindre PRS, dont la présidence a été confiée à Catherine Picard, conseillère régionale PS de Haute-Normandie, et ex-députée de l'Eure.
Parmi les premiers adhérents de cette nouvelle structure - M. Mélenchon prend soin de la distinguer du courant Nouveau Monde qu'il a fondé au sein du (PS) avec Henri Emmanuelli - figurent des syndicalistes, des responsables de réseaux laïcs, des personnalités. Le philosophe Henri Pena-Ruiz, qui a participé aux travaux de la commission Stasi sur la laïcité, est du nombre. Des responsables politiques aussi, comme Jean-Pierre Brard, député et maire (app. PCF) de Montreuil (Seine-Saint-Denis) ou bien Gérard Delfau, sénateur (PRG) de l'Hérault.
"INSTABILITÉ POLITIQUE"
"La mouvance républicaine de gauche, le non-dit implicite de la doctrine socialiste, est revenue au premier rang sous le choc des politiques néolibérales. C'est l'intelligence de Chevènement de l'avoir compris", affirme M. Mélenchon. Mais là s'arrête la filiation. Car pour l'ancien sénateur de l'Essonne - qui aspire à reconquérir ce fauteuil au mois de septembre - M. Chevènement a commis "l'erreur d'avoir nié le clivage gauche-droite" et celle d'avoir "confondu souveraineté nationale et gouvernement républicain, ce qui l'a conduit à être hostile à l'Europe".
Sur les ruines de cette "mouvance fracassée", M. Mélenchon veut reconquérir un terrain qu'il juge négligé à gauche. "Cette thématique est absente chez les Verts, dit-il, alors qu'il n'y a aucune contradiction entre l'idéologie écologiste et la notion d'intérêt général, tandis que le PCF survalorise tout ce qui est mouvementisme social." L'ancien animateur de la Gauche socialiste, qui a prévenu François Hollande de son initiative, voit dans sa démarche le moyen idéal de refonder la gauche. "Le républicanisme, explique-t-il, est en totale contradiction avec le libéralisme. Il oppose la régulation collective au marché, la citoyenneté à la clientèle, la loi au contrat."
L'homme poursuit là une obsession. Après avoir approché Ramulaud - un groupe hétéroclite d'antilibéraux de gauche -, il avait noué un dialogue public avec Christian Picquet, membre du bureau politique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et minoritaire, tout comme lui, dans sa propre formation (Le Monde du 10 janvier). L'un comme l'autre s'étaient saisis du thème des républicains de gauche pour débattre de l'avenir. Sans autre élan.
Le succès de la gauche aux régionales a convaincu M. Mélenchon d'accélérer le mouvement. Ce scrutin accrédite, selon lui, l'idée d'une "aggravation formidable de l'instabilité politique" et rend le PS "incontournable" dans la reconstruction de la gauche. "La ligne anti-PS n'est pas suffisante", se réjouit-il. Un constat partagé par M. Michel. Ce dernier revient au PS - quitté en 1993 après vingt ans de militantisme pour suivre M. Chevènement. "Il y a un renouveau politique, justifie-t-il, les gens se sont emparés du bulletin de vote. Il faut y participer."
Isabelle Mandraud
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.06.04