a écrit :Un défilé très républicain contre le retour de l'antisémitisme
LE MONDE | 17.05.04 | 14h11
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Plusieurs milliers de personnes ont manifesté, dimanche 16 mai, à Paris, pour dénoncer la multiplication des actes antijuifs ces dernières semaines. Pour les responsables politiques de tous bords et juifs de tous âges présents, il fallait "faire quelque chose"
Ce ne fut pas, loin de là, l'immense fleuve indigné qui répliqua, en 1990, président de la République en tête, à la profanation du cimetière juif de Carpentras. Ni la mobilisation très black-blanc-beur contre Le Pen à la suite du premier tour de la présidentielle, en avril 2002. Pas davantage le défilé communautaire tendu du 7 avril de la même année, qui reflétait un certain isolement des organisations juives face à la multiplication des agressions antisémites. Plutôt une marche très républicaine sans signe religieux ostentatoire, sans autre drapeau que le tricolore, sans autre chant que La Marseillaise,sans autre message que la colère et le désarroi. Un République-Bastille de dimanche estival, au succès modéré - 9 000 manifestants selon la police, 30 000 selon les organisateurs -, oscillant entre gravité et bonheur de ne plus se sentir seuls.
Réunissant juifs des beaux quartiers et de banlieue, religieux et surtout laïques, militants de gauche et déçus du "socialisme", responsables et élus de droite et de gauche - Nicole Guedj au bras de Dominique Strauss-Kahn, Philippe Douste-Blazy côtoyant Bertrand Delanoë, François Bayrou un peu plus loin -, cette "marche silencieuse" a témoigné d'une réelle inquiétude mais aussi de la difficulté d'une mobilisation aussi large que par le passé. Très présente, de Bernard Kouchner à Harlem Désir, de Nicole Borvo (PCF) à Alain Lipietz (Verts), la gauche a repris pied sur ce terrain tout en étalant ses états d'âme. Le choix de SOS-Racisme, organisateur du cortège avec l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), de prendre spécifiquement pour cible l'antisémitisme, s'est heurté à la volonté du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) et de la Ligue des droits de l'homme (LDH), d'y adjoindre "la lutte contre tous les racismes". Reconnaissant l'impossibilité pour elles d'être totalement absentes de la grande réaction de rue aux récentes profanations de tombes juives, le MRAP et la LDH ainsi que la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et les Verts, ont fait le choix d'une présence symbolique en fin de cortège et d'une dispersion avant son terme.
"LA VÉRITÉ !"
"Mamère dehors ! Mamère hypocrite !" Le cortège n'a pas encore quitté la place de la République, que le choc des deux antiracismes l'agite déjà. La foule désordonnée qui tente de trouver sa place autour de la banderole de tête "Contre l'antisémitisme, je marche", s'agace de la présence inattendue du député Vert de Gironde et du déploiement de micros et caméras qu'elle suscite. "Je réclame le droit d'être ici comme tout le monde, de critiquer la politique de Sharon sans être traité d'antisémite", proclame M. Mamère au milieu d'une assistance largement hostile, avant de s'éclipser. Bousculades, cahots. Le défilé s'annonce tel qu'il sera quatre heures durant : un bouillon de culture où les gens vont et viennent, aussi heureux d'arborer leur autocollant tricolore "contre le racisme et l'antisémitisme" ou leur pancarte "touche pas à mon feuj", que de déambuler pour goûter au réconfort de la masse, embrasser des amis ou jouer au jeu du "et lui, c'est qui déjà ?" devant la brochette des personnalités.
"J'adore voir tout ce monde. Ça me fait du bien, ça me fait du bien !", répète une grand-mère, Parisienne du 19e arrondissement née à Casablanca, "sioniste dans le sang". "La vérité, je n'ai pas été agressée, témoigne-t-elle. Mais j'ai peur pour mes petits-enfants. Alors j'espère que ça va s'arranger. Après tout, on est en France, grâce à Dieu." Non loin d'elle, une sexagénaire "laïque de culture juive"à qui sa mère "lisait Voltaire en yiddish", se dit "navrée de voir que les injures en vigueur" quand elle était enfant "sont revenues". "Quand Israël a été créé, on me regardait avec respect, témoigne-t-elle. Maintenant que c'est un Etat qui fait les mêmes bêtises que les autres, tout revient." Elle qui se dit gênée de constater que "seuls les juifs bougent", est venue "uniquement" parce qu'elle a entendu dire que "des représentants de l'islam seraient là".
Sur ce plan, elle peut être déçue : seul le recteur de la mosquée de Paris a envoyé un représentant, la foule est très largement blanche et les rares militants qui s'affichent comme musulmans sont isolés. Quant aux Noirs, ils font partie, pour la plupart, du service d'ordre de SOS-Racisme et refusent de s'exprimer. L'ancien président de l'association, Fodé Sylla, fait bien sûr exception. "Lorsque nous manifestions contre les meurtres visant des Arabes, personne ne me demandait d'ajouter des mots d'ordre contre l'antisémitisme", rappelle-t-il. "Il fallait faire quelque chose, c'est fait, commente laconiquement Julien Dray, porte-parole du PS et cofondateur de SOS. A un moment la coupe déborde et il faut le dire sans mélanger tout. L'antisémitisme a une spécificité, il n'a pas la même portée historique que le rejet d'une boîte de nuit."
Que la coupe soit pleine, chaque marcheur en témoigne à sa façon. "Des choses taboues depuis la guerre se redisent, témoigne un ingénieur à cravate et chapeau. Je suis outré pour nous les juifs mais aussi pour le nom de la France qui est sali." "La quasi-totalité des actes antisémites est commis par des gens d'origine maghrébine", assure de son côté un "juif traditionaliste"de 38 ans, ancien du PS, dont la compagne brandit un drapeau tricolore. " Le jour où les médias cesseront leur traitement partisan du conflit du Proche-Orient, il y aura moins d'antisémitisme." Alain, chrétien marié à une juive, est venu dire son "ras-le-bol du silence face aux agressions" dont il a des exemples dans son entourage. La gauche, dont il se réclame, vit selon lui une fracture : "On entend dire : "Ils l'ont bien cherché !", on parle d'antisémitisme et on s'entend répondre "Oui mais... l'islamophobie aussi"." Il regrette qu'il ait fallu que "l'ennemi soit consensuel"- l'extrême droite après la profanation d'Herrlisheim - pour que cette manifestation ait lieu. Rarement "marche silencieuse" aura été aussi éloquente.
Philippe Bernard
La république une et indivisible est un mot d'ordre réac, mais pour manifester avec la droite, les sionistes, la gauche caviard et tout le reste, la LCR est là! :t3xla: :whistling: