Les Français sous Raffarin : des infirmiers usés.
«Ils font semblant de nous écouter»
Par Matthieu ECOIFFIER
samedi 13 mars 2004
«Ils m'énervent, ces gens-là. La notion de service public leur donne de l'urticaire.» Pendant quinze jours, Libération interroge des Français touchés par la politique gouvernementale. Aujourd'hui, Marie-Claire Legall, 50 ans, infirmière aux urgences à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
«En septembre, on a eu droit à une fontaine à glace pilée aux urgences. Un mois après la canicule, on a pris ça pour un gag. Début août, je n'avais jamais vu ça : une arrivée massive de personnes âgées. En moins d'une semaine, leur fièvre est montée de 39 °C à 43 °C. A cette température, les centres nerveux sont grillés, il n'y a pas de retour en arrière. Ils avaient la bouche ouverte et ne répondaient pas à leur nom. Question personnel, pourtant, on était en nombre suffisant. Mais avec quatre morts par jour, la morgue de l'hôpital commençait à déborder. A ce moment-là, on a eu l'impression qu'il n'y avait pas de capitaine à bord, au ministère de la Santé. Nos SOS restaient sans réponse. Et puis, un soir, on a vu débarquer Rose-Marie (Van Lerberghe, ndlr), la directrice de l'Assistance publique (AP). Elle a mis une main sur sa bouche devant cette Berezina. Le lendemain, on nous a apporté des ventilos pris dans les bureaux et on a pu transférer des patients à l'hôpital militaire de Bégin.
Maintenant, c'est le retour de manivelle. Avec la droite, c'est : "Oh, là, là, vous avez fait un travail magnifique !" Ils vous encensent, promettent de l'argent. En décembre, on a eu une prime entre 60 et 130 euros. Mais après, ils font semblant de vous écouter. Et ils sanctionnent. C'est toujours sur les mêmes qu'ils tapent. Le directeur de l'hôpital a fait une note : on n'a le droit de prendre que 21 jours consécutifs de congé cet été. Et ils ont essayé d'assigner de force dans les services lourds les aides-soignants qui sont en formation d'infirmier et les provinciaux qui ont un logement à l'école d'infirmiers. On a braillé, ils sont revenus au volontariat.
La canicule a fait ressortir la pénurie de lits. Depuis le plan Juppé en 1995, que Kouchner a continué après 1997, on a diminué le nombre d'admissions dans les écoles d'infirmiers et de médecine. Après, on a fermé des lits, sans états d'âme : il n'y avait plus personne pour s'en occuper ! Avec le plan de l'AP 2004-2008, on ne parle plus que d'économies. Ils m'énervent, ces gens-là. La notion de service public leur donne de l'urticaire.
Les "baby-boomers" qui vont partir à la retraite ne seront pas remplacés. Et on nous martèle le prix de tout ce qu'on utilise, celui des attelles, celui des minerves. Certes, il faut faire attention, mais je suis infirmière, pas caissière. Plus les conditions de travail sont difficiles, plus certains se ménagent des portes de sortie. Et ceux qui restent rament. En plus, on nous bassine avec l'"humanisation" de l'hôpital.
A la présidentielle j'ai voté Arlette, mais pas Chirac au second tour : on ne savait plus qui était de gauche, qui était de droite. Et ça continue. La claque que les socialistes ont reçue n'était pas assez forte. Aux régionales, je voterai pour Marie-George (Buffet), une femme qui a une parole.»