par alex » 09 Mars 2004, 11:34
LA VOIX DU NORD 07/03/04
Leaders en campagne« Arlette et le facteur » ligués pour la lutte
DE notre envoyé spécial.
– Dans un élégant ensemble fuchsia, Arlette Laguiller soupire. A peine le temps d’un déjeuner frugal dans le local des éditions Lutte ouvrière de Pantin, dans la banlieue ouvrière de Paris. Un camarade est parti lui chercher un plat préparé « chez le petit Turc » situé à l’entrée de la rue. Quand elle ne bat pas la campagne d’Ile-de-France, elle arpente le pays et enchaîne des meetings dans toute les régions, sauf en Corse. « Nous n’y présentons pas de liste. » Routine pour l’éternelle candidate révolutionnaire ? Révolution au contraire. Dans cette campagne, l’égérie trotskyste n’est plus seule. Elle « tourne » avec un cavalier, comme Anissina avec Peizerat, avec un complice comme Bonnie avec Clyde, avec un partenaire comme Gelsomina avec Zampano, même si elle en change parfois. Certains grands soirs, Alain Krivine double d’Olivier Besancenot. « Malheureusement, chez nous, nous n’avons qu’une porte-parole connue », regrette la dirigeante de LO. « Je n’avais pas encore obtenu mon congé sans solde. Maintenant, j’assure toutes les réunions », corrige le facteur de Neuilly. « J’étais chaud pour ça »Binôme, tandem, couple ? Sourire détaché d’Arlette. Peu lui chaut le terme. Pour une marxiste, les mots ne font pas les choses. Elle, implicite. « Travailler avec Olivier, c’est pas désagréable, on se répartit l’effort lors des débats. » Lui, explicite. « Partir avec Arlette, j’étais chaud pour ça. Ça se passe super bien. » Krivine les a affectueusement baptisés « Arlette et le facteur ». A se demander comment les enfants de Léon se sont chamaillés si longtemps. La relation n’est cependant pas fusionnelle. Arlette très LO : « Nous conservons des divergences théoriques importantes mais cela ne nous empêche pas de conclure des accords politiques. » Olivier très LCR : « Nous avons des approches différentes du mouvement social mais ce que nous avons en commun est plus important que ce qui nous sépare. » Bref, si le désir circule, Besancenot et Laguiller conviennent présentement d’avancer « step by step ». Les principes qui régissent la vie du ménage dont la vie commune se prolongera jusqu’aux élections européennes de juin sont clairement définies. Pour le financement de la campagne, « on fait moit-moit », dit Besancenot. Les questions de logistique et techniques sont fonction de l’implantation et de la force militante. Dans une région où la tête de liste revient à la LO, Arlette Laguiller intervient la première et inversement.A pointer l’affluence aux meetings, l’attelage semble bien tirer la « gauche anticapitaliste » : 950 personnes à Nancy, un dimanche à 16 h, 1 100 à Caen et à Tours. « Avec l’échéance qui se rapproche, nous sentons une montée en puissance », assure Arlette Laguiller. Avant chaque meeting, les candidats rencontrent des salariés en lutte contre la fermeture de leurs usines ; « leur électorat, tous ces gens qui se sont pris un plan de licenciement dans la gueule », dit un sociologue. En ce moment, ils ont l’embarras du choix. « Les gars nous sollicitent souvent dans l’espoir de médiatiser et populariser leur situation », explique Besancenot qui viendra demain à Lille soutenir les salariés d’Altadis et d’Unilever. Jouer en double mixte amène-t-il un public différent ? Elle, prudente et précise. « Avec Olivier, ça rajeunit un peu. C’est difficile à dire. Moi, je vois les premiers rangs occupés par les militants les plus vieux qui arrivent toujours à l’heure. » Lui, emphatique et rebelle. « Des jeunes, des prolos, des travailleurs enthousiastes qui nous demandent de résister, de poursuivre ensemble. » Ils continuent donc. Pas question de donner de consignes de vote au deuxième tour et maintien des listes qui franchiront la barre des 10 %. « Notre position n’est pas un appel à l’abstention mais qu’on ne compte pas sur nous pour aider ceux qui ont voté cette loi des 10 %. Nous risquons de perdre tous nos élus alors que nous aurons plus de voix qu’en 1998 », prévient Olivier Besancenot, prêt à débattre avec les autres formations de gauche de ses propositions. La campagne entièrement axée sur la lutte contre les licenciements « trouve un réel écho », remarque Arlette Laguilller. 25 ans de libéralismeDans certains meetings, des sympathisants leur reprochent d’amalgamer les politiques de la gauche et de la droite. « Malheureusement, deux électeurs sur trois ne font plus la différence. Le décrochage est encore plus profond depuis deux ans. Ce qui a changé tout de même ? Désormais, les cadres et les ingénieurs subissent la précarisation. 25 ans de libéralisme ont collé la tête des gens dans la boue. 85 % de la population vit avec moins de 2 000€ par mois. C’est ça le vrai scandale et c’est ce qui nous différencie de la gauche », s’emporte Besancenot. Arlette, pas en reste. « Les travailleurs n’ont pas oublié les paroles de Jospin sur Danone. Beaucoup de mesures appliquées par la droite ont été prises sous la gauche. Jamais les dirigeants socialistes ne disent qu’ils reviendront sur les lois sur les retraites. Trop de choses se ressemblent. »Le PACS, la couverture maladie universelle ? « Doit-on devenir de droite parce que Simone Veil a eu le courage de faire voter la loi sur l’interruption volontaire de grossesse ? » Une donnée a pourtant sérieusement évolué : le Front national, devenu premier parti du monde ouvrier. Besancenot en convient. « Il faut leur tenir tête. » La Ligue, autrefois dissoute pour avoir manifesté contre un meeting d’extrême droite, envoie son porte-parole affronter Marine Le Pen sur les plateaux de télévision. « Ça se discute, mais moi j’y serais allée aussi », assure la porte-parole de Lutte ouvrière. Lundi soir à Lille (Grand Palais, salle Vauban, 20 h), Olivier et Arlette espèrent pouvoir convaincre « des gens que le programme de Le Pen est conforme aux idées du MEDEF ».
J.-Fr. GINTZBURGER
PROFILS
Arlette Laguiller
Née en 1940 à Paris. Père ouvrier, mère secrétaire, entre au Crédit Lyonnais en 1956. Syndicaliste à Force ouvrière et militante à Voix ouvrière depuis 1960, a été candidate aux élections présidentielles de 1974 à 2002. Conseillère régionale d’Ile-de-France, a écrit Moi une militante (1973), Une travailleuse révolutionnaire dans la campagne présidentielle (1974), Il faut changer le monde (1988), C’est toute ma vie (1996), Mon communisme à moi (2002).
Olivier Besancenot
Parcours radicalement différent pour un jeune homme de 30 ans qui veut changer le monde et a flirté un temps avec la galère, les soirées trop arrosées et la fumette. Parents enseignants, adhésion à la LCR en 1990, concours de la Poste, postier, syndicaliste à SUD, footeux licencié à l’ASPTT Levallois.