Quand l’extrême-gauche menace la gauche

Tout ce qui touche de près ou de loin à l'actualité politique en France

Message par ianovka » 05 Mars 2004, 11:43

Quand l’extrême-gauche menace la gauche

Pour les stratèges du PS, la ligne consiste à banaliser la menace constitué par le tandem Laguiller-Besancenot tout en adoptant une posture radicale contre le gouvernement. Mais ce la suffira-t-il à remobiliser un électorat tenté par les prises de position sans nuances de l’extrême-gauche?

Surtout, ne pas en parler. En tout cas, en dire le moins possible. Pourtant, la question qui obsède aujourd’hui les socialistes est bien la suivante: l’extrême-gauche unie peut-elle faire battre la gauche? Mais l’aveu est, pour le moment, jugé impossible. La consigne: dédramatiser, évoquer une mode médiatique... Voilà la ligne, fixée lors d’un bureau national, début novembre. Depuis, quelques plumes d’obédience fabiusienne n’ont pas su - ou pas voulu - résister à la tentation (voir encadré). Mais la consigne demeure et les éléphants socialistes s’y tiennent tant bien que mal en priant le ciel que ce soit bien la bonne.
Pour verrouiller l’ensemble, le PS a également adopté une posture dont le but est de ne pas se laisser déborder par le tandem Laguiller-Besancenot. Quand il rugit, Jack Lang en vient presque à parler du grand capital. Dans son dernier numéro, «l’Hebdo des socialistes» a publié en couverture la photo accablée d’un ouvrier d’une verrerie du Lot-et-Garonne, licencié après vingt-huit ans de bons et loyaux services. Régionales du printemps 2004, ultime rendez-vous avant trois ans d’abstinence électorale. Dernière véritable occasion aussi pour dire sa colère et brider l’ardeur d’une droite qui se croit déjà tout permis. Le PS redeviendra peut-être, un jour, le parti de l’alternative. Pour le moment, il veut être le quartier général de la résistance.
C’est le paradoxe de cette drôle de campagne. La gauche entonne la petite musique - moins les paroles! - de l’extrême-gauche. Et pendant ce temps-là, cette dernière fait siennes les vieilles angoisses du PS. En public, Laguiller, Besancenot, Krivine et tous les autres, unis sur des listes communes pour la première fois depuis les européennes de 1999, n’ont guère changé de discours. Il y a eux et puis, en face, tous les autres soumis aux mêmes diktats du Medef. Les salles de meeting sont pleines à craquer et, visiblement, elles adorent ces propos sans nuances. Pourtant, en privé, les stratèges de Lutte ouvrière et de la LCR ont des mots que l’on croyait réservés à d’autres cercles. Eux aussi parlent du «désarroi de l’opinion», d’une «situation volatile», de «la crise de la représentation», du risque de «la résignation» ou de «la protestation» sans lendemain. Pour un peu, on les entendrait scander: abstention, piège à cons!
Publicité

Fabius, qui a le sens du mot juste, a qualifié de «broussailleuse» la situation politique à trois semaines des élections régionales. Pour une gauche et une extrême-gauche en mal de repères, ce n’est sans doute pas le terrain idéal d’une clarification annoncée à longueur de discours. Du coup, ni les uns ni les autres n’entendent se prêter au petit jeu des pronostics. Prudence, prudence! L’enjeu, chacun le connaît: c’est le rapport de force entre deux blocs inégaux mais rivaux. Et la question revient: cette extrême-gauche, qui avait déjà contribué à envoyer Jospin au tapis, a-t-elle accru son pouvoir de nuisance?
Cette fois-ci, il y a un élément nouveau qui brouille les cartes et excite les stratèges des deux bords. Le mouvement n’est pas du côté de la gauche traditionnelle qui a choisi le créneau d’une opposition sans nuances en espérant que ces régionales n’arriveront pas trop tôt après tant d’années d’exercice du pouvoir. C’est désormais l’extrême-gauche qui bouge, innove, parie et, au final, risque gros dans une bataille incertaine qui se jouera en deux temps. Un par tour de scrutin!
Depuis près de dix ans, en fonction des élections, elle s’est constitué un petit capital qui varie entre 5% et 10% des voix. Pour le faire fructifier, elle a choisi de jouer carré en unissant, selon l’expression favorite de Krivine, «Arlette et le facteur». Ces deux-là ne labourent qu’un seul champ - le social - et n’enfoncent qu’un seul clou - la rupture. Pour se faire bien comprendre, ils ont gravé dans le marbre l’article clé de leur alliance. A plus de 10%, leurs listes se maintiendront pour le second tour. Dans le cas contraire, il n’y aura pas de consignes de vote. Sauf en cas de menace d’une victoire lepéniste. Et encore! A la seule condition que le champion du camp adverse appartienne à la gauche. En matière de verrouillage, on n’a jamais fait mieux.
Est-ce que cela prend? Est-ce suffisant pour fixer un électorat radicalisé et déboussolé par la crise? N’est-ce pas en même temps un peu trop pour un public, proche de la LCR, longtemps habitué à plus de souplesse et de subtilité? La ligne de l’extrême-gauche est, pour l’essentiel, celle de Lutte ouvrière. Les camarades de Besancenot l’ont avalisée à l’automne lors d’un congrès rondement mené. Seul un tiers d’entre eux a résisté. Dans cette affaire, il est clair que la direction de la Ligue a d’abord fait un pur choix tactique. D’abord, l’union. Pour la suite, on verra en fonction des résultats, des circonstances, voire de l’humeur du partenaire!
Dans la campagne des régionales, on mesure tous les jours les conséquences de cette alliance. Elle installe l’idée qu’à gauche, il n’y a que deux pôles de rassemblement et qu’entre le PS et ses satellites d’un côté et le bloc LO-LCR de l’autre plus rien de crédible ne saurait exister. En même temps, elle laisse dans la nature tout ce qui ne rentre pas dans le cadre rigide qui assure la stabilité de l’ensemble. L’électoralisme, lorsqu’il se corse d’un brin d’ouvriérisme et d’une bonne dose de sectarisme, produit un cocktail aux effets décoiffants.
Parfois, ce n’est qu’un détail, visible par les seuls réseaux militants. Telle la présence de Claire Villiers, fondatrice d’Agir contre le Chômage! et figure d’une certaine gauche radicale, en tête de la liste conduite en Ile-de-France par Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PC. Parfois, c’est plus sérieux. Tel le manque total de réactivité des nouveaux hérauts de l’extrême-gauche face à la pétition lancée par «les Inrockuptibles» et qui, en d’autres temps, aurait passionné tout ce que la Ligue compte d’intellos et autres spécialistes des coordinations en tout genre. Parfois enfin, c’est plus lourd de conséquences électorales. Tel l’étrange silence, mélange de perplexité et d’indifférence, d’une mouvance altermondialiste qui l’année dernière, du Larzac au Forum social européen, avait pourtant tenu le haut du pavé.
Le seul qui ait bougé parmi les porte-parole attitrés de ces milieux s’appelle José Bové. Toujours lui et toujours les deux pieds dans le plat! Dans sa région du Languedoc-Roussillon, il vient d’appeler à sanctionner le président UMP sortant, Jacques Blanc, coupable de troubles alliances avec le FN. En Bourgogne, dans un registre comparable, Ras le Front, malgré ses liens traditionnels avec la LCR, exige sur ses affiches que la région soit «guérie de Soisson et de ses alliés». Difficile de faire plus explicite dans l’appel au vote PS, au second tour des régionales.
Ce sont là les prémices, petites et grandes, d’une autre bataille qui, elle, ne débutera qu’au soir du 21 mars. Aujourd’hui, l’extrême-gauche surfe sur une vague radicale qui, espère-t-elle, pousse vers le haut. Elle croit à sa stratégie. Elle en mesure les contraintes. Mais elle les supporte en ayant deviné ce que le PS a vérifié, à sa grande déception, dans une enquête confidentielle réalisée par Ipsos, en janvier : dans l’électorat de gauche «l’effet 21 avril» a disparu; malgré le désastre de la présidentielle, la notion de vote utile est désormais sortie de ses motivations.
Voilà qui, sur le papier, légitime la présence dans la compétition des listes LO-LCR. Mais, suggère aussitôt Ipsos, cette indifférence aux risques de la dispersion au premier tour se fonde aussi sur la certitude, vérifiée le 5 mai 2002, du rassemblement anti-FN, lors du tour décisif. Or, sur cette question, le moins que l’on puisse dire est que l’extrême-gauche, sous la pression de Lutte ouvrière, s’est liée les mains par avance. Dans ses meetings, Arlette Laguiller rappelle sans sourciller que son parti n’a pas appelé à voter Chirac, en 2002, et que la LCR, en adoptant une attitude inverse, a commis «une faute politique».
Pour le moment, il ne s’agit là que du rappel de divergences passées et désormais réglées, sur le papier. Mais si le 21 mars - comme c’est probable - le FN sort à très haut niveau et que l’émotion, une fois encore, submerge l’entre-deux tours, alors sonnera pour l’extrême-gauche l’heure de vérité. Celle, non plus des accords d’appareils, mais de la responsabilité politique. Celle surtout qui réglera pour longtemps, devant une opinion peu encline à l’indulgence en cas de faux pas, la triple question de son unité, de ses principes et de sa détermination.
FRANÇOIS BAZIN

François Bazin


Les camarades parlent aux camarades

Henri Weber et Denis Pingaud ont tous deux fait leurs classes à la Ligue. «Vigneron» et «Félicien Lampion» - c’était alors leur pseudos - se sont connus il y a près de trente ans. Ils ont ensuite suivi une même trajectoire qui les a placés dans l’orbite de Fabius. L’un est aujourd’hui sénateur. L’autre est un intellectuel indépendant qui a conservé toutes ses amitiés politiques. A preuve: la scène de la rencontre entre Bové et Fabius, l’automne dernier. Elle sonne juste sous la plume de Pingaud. Et pour cause. Elle a eu lieu chez lui.
Weber reste un acteur politique. Sa «Lettre recommandée au facteur» (1) est un livre de combat. Sur un ton beaucoup plus distancié, «les Taupes et les éléphants» (2) se veut à la fois le récit d’une aventure politique et l’analyse d’un combat qui commence. «L’extrême-gauche veut-elle faire perdre la gauche?», se demande Pingaud. Pour Weber, l’important n’est pas de savoir ce qu’elle veut, mais ce qu’elle peut. Lui n’est pas encore convaincu par la thèse d’une structuration définitive d’une puissante force militante et électorale, à la gauche de la social-démocratie et animée par la seule détestation de celle-ci. Là où Pingaud décrit une sécession et prévoit, sans le dire explicitement, un phénomène du même ordre que celui du FN pour la droite, Weber montre l’occupation par l’extrême-gauche d’un espace de radicalité que le PC a laissé en jachère. Ni plus ni moins.
Ce genre de controverse, d’habitude, occupe plusieurs générations de politologues. Celle-là a au moins une originalité. Elle sera tranchée pour l’essentiel dans moins d’un mois, lors des deux tours des élections régionales. C’est d’ailleurs pour cela que les esprits curieux et spéculatifs se dépêcheront de lire ces deux livres avant le 21 mars.

(1) Seuil, 174 p., 13 euros (en librairie le 8 mars).
(2) Hachette, 168 p., 16,5 euros.

François Bazin
"Le capital est une force internationale. Il faut, pour la vaincre, l'union internationale, la fraternité internationale des ouvriers." Lénine
Avatar de l’utilisateur
ianovka
 
Message(s) : 173
Inscription : 30 Août 2002, 11:30

Retour vers Politique française

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 7 invité(s)