Punir les clients des prostituées ?

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Message par luc marchauciel » 18 Avr 2011, 19:14

Je lance ici la discussion autour de la question de la prostitution et du projet de punir les clients.
J'ai été surpris de voir cette brève sur le site de LO, dont la perspective d'ensemble me semble proche de celle de la fraction la plus intransigeante de la mouvance abolitionniste, et à la limite de la morale catho (sorry, je le pense donc je le dis):

a écrit :
La plus vieille hypocrisie du monde
En France, des députés viennent de proposer de sanctionner les clients de la prostitution. Des voix s’élèvent contre ce projet en osant prétendre parler au nom de « la liberté »… des clients ! Peu leur importe que la prostitution soit une violence, et qu’y avoir recours soit une façon de participer à une traite d’êtres humains.

Voir des gens se réclamer du « féminisme » pour défendre la prostitution et parler stupidement du « plus vieux métier du monde » est affligeant. Et que certains considèrent comme banal de payer pour un corps humain montre à quel point, quand une société fonctionne selon le principe que tout se vend et s’achète, il y a quelque chose de pourri à la base


L'exploitation des caissières (et de leur corps via le travail manuel répétitif) est aussi une violence, je me demande s'il ne faudrait pas punir les clients des supermarchés qui participent à ce système. Quand on écoute la parole de certaines prostituées (ce que ne fond en gros pas les abolitionnistes) , elles disent qu'elles préfèrent justement faire ça plutôt que de faire caissière, elles se sentent moins "exploitées" comme ça (je l'ai entendu dans des émissions de Mermet sur le sujet)
D'après le ton de cette brève (mais c'est une brève) , on a l'impression que LO défend le même genre d'idées que Attac sur le sujet, en réduisant le phénomène de la prostitution à celui (qui existe bel et bien) de la traite et de l'esclavage sexuel.

Une fois n'est pas coutume (et même si on ne peut pas pas comparer une brève et une article long) j'ai préfére ce qui a été publié sur le site de Contretemps, sous la plume du sociologue (spécialiste de la prostitution, auteur du livre "La condition prostituée") Lilian Mathieu, dont la position (telle que je la comprends) me semble juste : il faut lutter contre la misère et l'exploitation, et pas contre la prostitution (ce qui revient à criminlaiser la prostituée ou le client, n'a aucun effet pratique et peut véhiculer une morale répressive et normative). On verra bien ensuite si il y a encore des gens qui se prostituent librement et si c'est un choix... (ce genre de démarche intellectuelle me semblait justement plutôt être celui de LO)

a écrit :
Pénalisation des clients de prostituées : quand les belles âmes se fourvoient

La mission parlementaire d’information sur la prostitution présidée par la députée socialiste Danielle Bousquet n’avait pas encore rendu son rapport que l’on en connaissait déjà la principale recommandation : celle d’une pénalisation des clients, sur le modèle de la loi suédoise. Définissant la prostitution comme une violence contre les femmes, celle-ci fait de ceux qui la commettent, les hommes clients, des délinquants encourant jusqu’à six mois de prison. Les mouvements favorables à l’abolition de la prostitution et certains courants féministes en sont depuis plusieurs années les fervents promoteurs.

Remarquons tout d’abord que cette mission offre une opportunité, certes bien tardive, de révéler à qui les ignorerait encore les effets désastreux de la répression du racolage passif, réintroduit dans le code pénal à l’occasion de la loi sur la sécurité intérieure (LSI) de 2003. Par un saisissant paradoxe, le ministre de l’Intérieur de l’époque avait légitimé cette mesure répressive par une intention protectrice à l’égard des prostituées : « en pénalisant le racolage passif, nous sortons ces malheureuses du réseau qui les exploite », avait-il prétendu dans une interview au Monde[1]. On sait ce qu’il en a été : vivant désormais dans la hantise de la répression policière, les prostituées ont quitté les centres villes pour des zones moins peuplées (périphéries urbaines, parcs, bordures de routes) où elles sont davantage exposées aux agressions et plus difficiles à joindre pour les organismes sanitaires et sociaux. Même les dispositions présentées comme protectrices se sont révélées un leurre : les étrangères en situation irrégulière sont généralement expulsées avant de pouvoir bénéficier du titre de séjour promis en échange d’une dénonciation de leur proxénète[2].

La pénalisation du client opère, de ce point de vue, un complet renversement. La prostituée n’est plus considérée comme une coupable mais comme une victime, et il s’agit désormais de s’attaquer au véritable responsable de sa condition malheureuse : son client, sans qui son activité n’a plus de raison d’être. L’effet attendu est qu’une fois la demande tarie, l’offre de prostitution disparaîtra.

Autre atout de la démarche : elle rompt avec l’habitude de considérer que la question de la prostitution se résume principalement à celle des prostituées (et des proxénètes), comme si la demande masculine ne présentait aucun caractère problématique. Il suffit pourtant d’écouter les prostituées pour savoir combien leurs clients sont également pour elles un constant danger, tant sont récurrents les agressions, vols, viols, marchandages sordides et autres pressions pour ne pas utiliser de préservatif dont ils se rendent coupables.

Reste que tous les clients ne sont pas guidés par la seule volonté d’humilier les prostituées en les traitant comme des marchandises. Les prostituées reconnaissent que certains se montrent respectueux, et la plupart ont leurs « habitués » avec qui elles ont tissé au fil des ans une relation faite de complicité voire d’affection. Il n’est pas rare qu’un client offre par le mariage une réinsertion inespérée à une prostituée dont il est tombé amoureux. Si l’on ne saurait ignorer la domination matérielle et symbolique qui imprègne ces relations, le terme de « viandard », par lequel les abolitionnistes se plaisent à désigner les clients, n’aide guère à les saisir dans leur complexité.

S’appuyer sur une représentation caricaturale des clients n’est cependant pas la principale carence qui grève le projet de leur pénalisation. Celui-ci a tout d’une fausse bonne idée en premier lieu parce qu’il ignore ou feint d’ignorer que criminaliser un pôle d’une relation revient à la criminaliser dans son ensemble. La prostitution, quel que soit le jugement que l’on porte sur son existence, est une relation de service entre une prestataire et un bénéficiaire qui la rétribue. Réprimer la première (comme le fait la LSI) ou le second (projet de la mission Bousquet) a exactement le même effet : rendre leur contact clandestin puisqu’un des partenaires s’expose, s’il est visible de la police, à une sanction pénale. Remplacer le délit de racolage par celui de sollicitation de prestations sexuelles payantes ne changera rien à la situation déjà catastrophique des prostituées[3], puisqu’elles devront continuer à racoler dans des zones isolées où elles seront toujours aussi vulnérables devant la violence et l’exploitation.


Suite sur :
http://www.contretemps.eu/interventions/p%...s-se-fourvoient

J'en profite aussi pour signaler sur Contretemps un échange (assez vif) entre Lilian Mathieu et des militantes d'Attac auteures d'une brochure sur le sujet :

La critique par LM de la brochure d'Attac :
http://www.contretemps.eu/socio-flashs/ce-...t-produire-pire

La réponse des membres d'Attac :
http://www.contretemps.eu/socio-flashs/ce-...moins-productif

Et enfin la réponse de LM :
http://www.contretemps.eu/socio-flashs/let...entifique-attac

Question : au delà de cette brève, existe t-il des textes plus argumentés de LO sur le sujet ?
luc marchauciel
 
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Message par Puig Antich » 18 Avr 2011, 20:56

Sauf que celles qui tiennent ce discours (ne pas devenir caissière) ne sont pas forcément celles qui proviennent des milieux les plus populaires ou qui sont en situation de fragilité et de dépendance au système prostitutionnel, à l'industrie du sexe ou aux maqueraux. Il y a une aristocratie libérale dans tous les métiers - même ceux qui ne sont pas tout à fait comme les autres, et ne doivent donc pas être banalisés...
Puig Antich
 
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Message par rudy » 18 Avr 2011, 20:56

Le1er paragraphe de la brève est un constat de l'actualité.
le 2éme paragraphe est un état de fait de certains féministes et de penseurs libérales.
A la fin de la brève une morale communiste révolutionnaire la conclue
a écrit :il y a quelque chose de pourri à la base

Quand on écrit cela c'est pour expliquer que lLeur morale et la notre ne sont pas identiques.
Oui il faut abolir la prostitition
rudy
 
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Message par luc marchauciel » 18 Avr 2011, 21:00

(Puig Antich @ lundi 18 avril 2011 à 21:56 a écrit : Sauf que celles qui tiennent ce discours (ne pas devenir caissière) ne sont pas forcément celles qui proviennent des milieux les plus populaires
Tu en sûr ?
Si je me souviens bien, le témoignage en question dans l'émission de Mermet était précisément celui d'une fille de la classe ouvrière qui avait été caissière.
Je vais essayer de retrouver ça.
luc marchauciel
 
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Message par Jacquemart » 18 Avr 2011, 21:00

a écrit :L'exploitation des caissières (et de leur corps via le travail manuel répétitif) est aussi une violence, je me demande s'il ne faudrait pas punir les clients des supermarchés qui participent à ce système.

1. LO n'a pas spécialement réclamé qu'on punisse les clients des prostituées. Elle s'exprime contre la banalisation de cette "activité" et contre les arguments de ses promoteurs - les mêmes qui réclamaient ou réclament encore l'officialisation de maisons closes.
2. Franchement, la comparaison entre clients des prostituées et clients des hypermarchés, même si c'est "pour faire image"... :hmpf:
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Message par nnscrrtl » 18 Avr 2011, 21:03

J'ai pas un avis spécialement éclairé sur cette question, mais enfin limiter la prostitution à la question des femmes qui ont choisis de faire ça plutôt que de faire caissière, ça me semble un peu bêta (et puis on peut regretter cette alternative aussi, et avoir un avis sur la question... et trouver la question de l'exploitation un peu différente dans les deux cas !). L'essentiel de la question se pose au niveau des trafics de filles depuis les pays de l'est, l'Afrique noire, etc. ... qui sont, ces dernières, la majorité des prostituées qu'on peut voir tous les soirs dans les rues de bien des centres-villes (de l'ouest en tous cas) ; c'est-à-dire qu'on parle ici de pur et simple trafic d'humains, pas de choix individuels. Par contre, le discours actuel qui vise à la pénalisation des prostituées elles-même et non des traficants est une vraie saloperie. Quoiqu'il en soit, que ce soit pour ces filles ou pour celles qui l'ont choisi en toute indépendance -- y en a sans doute je suis pas vraiment spécialiste --, il faut dire qu'elles n'ont pas souvent accès à la parole, les premières encore moins que les secondes naturellement, et que la question est aussi qu'elles puissent avoir un statut légal, s'organiser (y compris syndicalement), se défendre, etc. par elles-mêmes. Tout ce que je connais c'est le STRASS, je ne connais pas du tout leurs positions : http://site.strass-syndicat.org/

Sinon je vois pas la contradiction entre ce qu'écrit LO et ce que tu écris dans le paragraphe qui commence par "Une fois n'est pas coutume..."
nnscrrtl
 
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Message par Puig Antich » 18 Avr 2011, 21:04

a écrit :Si je me souviens bien, le témoignage en question dans l'émission de Mermet était précisément celui d'une fille de la classe ouvrière qui avait été caissière.


Je parles pas d'individus, mais à l'échelle sociale, qui produit, qui met en relief, qui met en perspective ce type de discours - quant à leur existence, oui, on a toujours tendance à justifier son oppression, ça s'appelle l'aliénation. Dans un autre registre d'ailleurs, cela existe avec la condition ouvrière, ou la pauvreté, etc.
Puig Antich
 
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Message par Puig Antich » 18 Avr 2011, 21:04

Sinon il y a des textes de Kollontaï qui montrent tout de même toute la différence entre l'abolitionnisme professé par la bourgeoisie et celui des communistes....
Puig Antich
 
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Message par Zelda » 18 Avr 2011, 21:16

Vous réalisez qu'on vit dans un pays qui dit "filles de joie" pour prostituées ?
C'est à tomber par terre.
Zelda
 
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Message par luc marchauciel » 18 Avr 2011, 21:22

Je retrouve plus, mais ça devait être dans cette émission, qui est des portraits de prostituées à Genève :
http://www.la-bas.org/article.php3?id_arti...grisiledis+real

[mais d'accord pour dire que un ou deux cas que l'on veut exemplaires ne prouvent rien du tout]

Tous les travaux que j'ai pu lire ou entendre (plusieurs émissions sur France Culture avec des chercheurs ayant bossé sur le sujet) montrent que la réalité de la prostitution est très plurielle et ne correspond pas majoritairement (semble-t-il, parce que pour quantifier sur ce sujet...) au profil de la prostituée-esclave enlevée de force et mise sur le trottoir ou de l'idiote abusée par le mac (pour rester dans les archétypes).

Le bouquin de Lilian Mathieu vaut vraiment le coup pour savoir de quoi on parle :

cf compte rendu sur le site d'AL :
http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article3683

a écrit :
Dossier prostitution : Lire : Lilian Mathieu, « La Condition prostituée »

Lilian Mathieu a publié en 2007 La condition prostituée, compilation d’articles écrits pendant dix années de recherche sur ce terrain. L’ouvrage forme globalement une somme intéressante, en six chapitres : le point sur les divers positionnements face à la prostitution avec un « éclairage sociologique » ; une analyse de la prostitution comme « espace différencié » ; la violence dans le monde prostitutionnel ; la prostitution en tant que « zone de vulnérabilité sociale » ; les différentes politiques vis-à-vis de la prostitution ; enfin, les rapports avec les féministes depuis 1975.

L’auteur renvoie dos à dos réglementarisme et abolitionnisme, les taxant tous deux d’essentialisme et regrettant que la dimension sociale et la complexité des différentes situations de prostitution soient les grandes oubliées de la réflexion sur la question. Il démontre très bien le caractère angélique de ceux qui défendent la prostitution comme métier et comme forme de « liberté sexuelle » en soulignant le fait que l’entrée dans la prostitution est toujours le résultat d’une contrainte – qu’elle soit le fait d’un prostitueur ou de la réalité sociale de la personne prostituée. Il montre aussi certaines limites des associations abolitionnistes auxquelles il reproche notamment une tendance à traiter toutes les prostituées comme si elles vivaient leur situation comme un esclavage et à disqualifier d’office leur parole quand elles affirment ne pas l’être.

Le grand intérêt de son livre est de mettre l’accent justement sur les conditions sociales et économiques d’exercice de la prostitution par les prostitué-e-s eux et elles-mêmes. Il décrit bien les évolutions de la population prostituée qui a eu lieu depuis les années 1970 : passage d’une majorité de « traditionnelles » – souvent françaises et dans des situations de moindre précarité – à plus d’hommes, plus de transexuel-les, plus d’étrangères, plus de sans-papiers, plus de drogue et globalement beaucoup plus de précarité et de violence (dues notamment à la Loi de sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur en 2002).

Pour finir, Lilian Mathieu propose des mesures d’aides ne se centrant pas sur la condition prostituée mais s’attaquant à la précarité qui est, comme il le montre, le foyer principal de la prostitution. Il préconise ainsi, entre autres, l’élargissement du RMI aux moins de 25 ans, la revalorisation du revenu minimum, et la fin des politiques répressives en matière d’immigration.

Émilie B. (AL Saint-Denis)

luc marchauciel
 
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