J'ai été surpris de voir cette brève sur le site de LO, dont la perspective d'ensemble me semble proche de celle de la fraction la plus intransigeante de la mouvance abolitionniste, et à la limite de la morale catho (sorry, je le pense donc je le dis):
a écrit :
La plus vieille hypocrisie du monde
En France, des députés viennent de proposer de sanctionner les clients de la prostitution. Des voix s’élèvent contre ce projet en osant prétendre parler au nom de « la liberté »… des clients ! Peu leur importe que la prostitution soit une violence, et qu’y avoir recours soit une façon de participer à une traite d’êtres humains.
Voir des gens se réclamer du « féminisme » pour défendre la prostitution et parler stupidement du « plus vieux métier du monde » est affligeant. Et que certains considèrent comme banal de payer pour un corps humain montre à quel point, quand une société fonctionne selon le principe que tout se vend et s’achète, il y a quelque chose de pourri à la base
L'exploitation des caissières (et de leur corps via le travail manuel répétitif) est aussi une violence, je me demande s'il ne faudrait pas punir les clients des supermarchés qui participent à ce système. Quand on écoute la parole de certaines prostituées (ce que ne fond en gros pas les abolitionnistes) , elles disent qu'elles préfèrent justement faire ça plutôt que de faire caissière, elles se sentent moins "exploitées" comme ça (je l'ai entendu dans des émissions de Mermet sur le sujet)
D'après le ton de cette brève (mais c'est une brève) , on a l'impression que LO défend le même genre d'idées que Attac sur le sujet, en réduisant le phénomène de la prostitution à celui (qui existe bel et bien) de la traite et de l'esclavage sexuel.
Une fois n'est pas coutume (et même si on ne peut pas pas comparer une brève et une article long) j'ai préfére ce qui a été publié sur le site de Contretemps, sous la plume du sociologue (spécialiste de la prostitution, auteur du livre "La condition prostituée") Lilian Mathieu, dont la position (telle que je la comprends) me semble juste : il faut lutter contre la misère et l'exploitation, et pas contre la prostitution (ce qui revient à criminlaiser la prostituée ou le client, n'a aucun effet pratique et peut véhiculer une morale répressive et normative). On verra bien ensuite si il y a encore des gens qui se prostituent librement et si c'est un choix... (ce genre de démarche intellectuelle me semblait justement plutôt être celui de LO)
a écrit :
Pénalisation des clients de prostituées : quand les belles âmes se fourvoient
La mission parlementaire d’information sur la prostitution présidée par la députée socialiste Danielle Bousquet n’avait pas encore rendu son rapport que l’on en connaissait déjà la principale recommandation : celle d’une pénalisation des clients, sur le modèle de la loi suédoise. Définissant la prostitution comme une violence contre les femmes, celle-ci fait de ceux qui la commettent, les hommes clients, des délinquants encourant jusqu’à six mois de prison. Les mouvements favorables à l’abolition de la prostitution et certains courants féministes en sont depuis plusieurs années les fervents promoteurs.
Remarquons tout d’abord que cette mission offre une opportunité, certes bien tardive, de révéler à qui les ignorerait encore les effets désastreux de la répression du racolage passif, réintroduit dans le code pénal à l’occasion de la loi sur la sécurité intérieure (LSI) de 2003. Par un saisissant paradoxe, le ministre de l’Intérieur de l’époque avait légitimé cette mesure répressive par une intention protectrice à l’égard des prostituées : « en pénalisant le racolage passif, nous sortons ces malheureuses du réseau qui les exploite », avait-il prétendu dans une interview au Monde[1]. On sait ce qu’il en a été : vivant désormais dans la hantise de la répression policière, les prostituées ont quitté les centres villes pour des zones moins peuplées (périphéries urbaines, parcs, bordures de routes) où elles sont davantage exposées aux agressions et plus difficiles à joindre pour les organismes sanitaires et sociaux. Même les dispositions présentées comme protectrices se sont révélées un leurre : les étrangères en situation irrégulière sont généralement expulsées avant de pouvoir bénéficier du titre de séjour promis en échange d’une dénonciation de leur proxénète[2].
La pénalisation du client opère, de ce point de vue, un complet renversement. La prostituée n’est plus considérée comme une coupable mais comme une victime, et il s’agit désormais de s’attaquer au véritable responsable de sa condition malheureuse : son client, sans qui son activité n’a plus de raison d’être. L’effet attendu est qu’une fois la demande tarie, l’offre de prostitution disparaîtra.
Autre atout de la démarche : elle rompt avec l’habitude de considérer que la question de la prostitution se résume principalement à celle des prostituées (et des proxénètes), comme si la demande masculine ne présentait aucun caractère problématique. Il suffit pourtant d’écouter les prostituées pour savoir combien leurs clients sont également pour elles un constant danger, tant sont récurrents les agressions, vols, viols, marchandages sordides et autres pressions pour ne pas utiliser de préservatif dont ils se rendent coupables.
Reste que tous les clients ne sont pas guidés par la seule volonté d’humilier les prostituées en les traitant comme des marchandises. Les prostituées reconnaissent que certains se montrent respectueux, et la plupart ont leurs « habitués » avec qui elles ont tissé au fil des ans une relation faite de complicité voire d’affection. Il n’est pas rare qu’un client offre par le mariage une réinsertion inespérée à une prostituée dont il est tombé amoureux. Si l’on ne saurait ignorer la domination matérielle et symbolique qui imprègne ces relations, le terme de « viandard », par lequel les abolitionnistes se plaisent à désigner les clients, n’aide guère à les saisir dans leur complexité.
S’appuyer sur une représentation caricaturale des clients n’est cependant pas la principale carence qui grève le projet de leur pénalisation. Celui-ci a tout d’une fausse bonne idée en premier lieu parce qu’il ignore ou feint d’ignorer que criminaliser un pôle d’une relation revient à la criminaliser dans son ensemble. La prostitution, quel que soit le jugement que l’on porte sur son existence, est une relation de service entre une prestataire et un bénéficiaire qui la rétribue. Réprimer la première (comme le fait la LSI) ou le second (projet de la mission Bousquet) a exactement le même effet : rendre leur contact clandestin puisqu’un des partenaires s’expose, s’il est visible de la police, à une sanction pénale. Remplacer le délit de racolage par celui de sollicitation de prestations sexuelles payantes ne changera rien à la situation déjà catastrophique des prostituées[3], puisqu’elles devront continuer à racoler dans des zones isolées où elles seront toujours aussi vulnérables devant la violence et l’exploitation.
Suite sur :
http://www.contretemps.eu/interventions/p%...s-se-fourvoient
J'en profite aussi pour signaler sur Contretemps un échange (assez vif) entre Lilian Mathieu et des militantes d'Attac auteures d'une brochure sur le sujet :
La critique par LM de la brochure d'Attac :
http://www.contretemps.eu/socio-flashs/ce-...t-produire-pire
La réponse des membres d'Attac :
http://www.contretemps.eu/socio-flashs/ce-...moins-productif
Et enfin la réponse de LM :
http://www.contretemps.eu/socio-flashs/let...entifique-attac
Question : au delà de cette brève, existe t-il des textes plus argumentés de LO sur le sujet ?