(Libération @ Politiques 10/03/2011 à 00h00 a écrit :
Comment Le Pen drague les électeurs populaires
decryptage
Le Front national s’est approprié des thèmes traditionnels de la gauche. Avec succès.
Par CHRISTOPHE FORCARI
Marine Le Pen, championne toute catégorie chez les ouvriers et les employés ! Loin devant Martine Aubry et Nicolas Sarkozy. Et la présidente du Front national bénéficie encore d’une marge de progression non négligeable dans ces deux catégories sociales. Car le FN, avec sa nouvelle présidente, a modifié son discours pour se présenter comme un parti de «droite, nationale, sociale et populaire» selon la formulation de Marine Le Pen et non plus comme une formation d’extrême droite. En investissant le terrain du social, de la défense de la laïcité, de la puissance publique, de la défense des services publics de proximité et des fonctionnaires, des thèmes chers à la gauche, Le Pen peut espérer ramener vers le FN des électeurs venus d’autres horizons. «C’est autour de ces nouvelles thématiques que les transferts électoraux se feront», assure le sociologue Sylvain Crépon.
Selon la Sofres, parmi les électeurs de Marine Le Pen, 23% se disent proches de l’extrême gauche et 36% chez les personnes sans préférence partisane. «Elle récupère le déboussolement politique des électeurs et peut donc mobiliser une partie des abstentionnistes», poursuit Sylvain Crépon. Chez les ouvriers, elle obtient près de 20 points et 18 chez les employés. Les 65 ans la jugent également moins sulfureuse que son père. Pour Dominique Reynié, politologue et délégué général de la Fondation pour l’innovation politique, proche de l’UMP : «Entre 1981 et 1986, la première croissance du FN s’est fait au détriment de la gauche. Entre 1986 et 2002, il mord sur la droite. Depuis 2002, une nouvelle séquence vient de s’ouvrir où, pour dépasser les 20%, Marine Le Pen doit élargir son électorat vers la gauche. Mitterrand avait utilisé le FN pour piéger la droite mais ce piège s’est refermé sur Lionel Jospin en 2002. Marine Le Pen propose un discours structuré avec une vraie vision du monde et des principes. Une offre politique structurée qui permet à chacun de se le réapproprier et de se donner des réponses.». Décryptage des nouvelles thématiques frontistes version Marine Le Pen.
La laïcité. Pour la nouvelle dirigeante frontiste, la référence à la laïcité recouvre exactement son combat contre «l’islamisation de la société française». Pour elle, les prières de rue des musulmans sont comparables à une «nouvelle forme d’occupation», comme elle l’a déclaré lors de sa campagne pour son élection à la tête du FN. Elle joue de cette référence pour séduire des franges de la population sensibles à cette thématique comme les militants de Riposte laïque ou les Identitaires, deux groupes à l’origine des «apéros saucisson-pinard». Le départ des catholiques traditionalistes du FN derrière leur chef de file Bernard Anthony lui a facilité la tâche. Pour eux, la France restait, en effet, «la fille aînée de l’Église» et une partie de ses malheurs venaient justement de la perte de ses valeurs spirituelles provoquées par la loi de 1905.
La défense des fonctionnaires. Là aussi, Le Pen vise un public jusque-là peu réceptif aux thèses du Front national. Ces appels du pied en direction des fonctionnaires participent aussi à sa défense de «la restauration d’un État fort», y compris au sein de l’Éducation nationale, longtemps cible privilégiée des responsables frontistes. Elle n’a pas hésité à évoquer les «instituteurs hussards noirs de la République».
Le recours à la puissance publique. Jusqu’au milieu des années 90, le FN puise son inspiration auprès des néoconservateurs américains et britanniques et leurs théories libérales. Le FN défend alors un programme économique libéral et fustige l’interventionnisme de l’État dans la vie économique tout en réclamant un État fort en matière de sécurité. Marine Le Pen défend aujourd’hui une vision quasiment gaullienne de l’interventionnisme de l’État dans tous les domaines avec, en particulier, la défense d’une politique de grands travaux.
La défense des services publics. Elle se cumule, pour la présidente du FN, avec la dénonciation de l’Europe de Bruxelles. Selon Marine Le Pen, «l’Union européenne, en défendant les principes du libre-échange et du libéralisme, nous a imposé la suppression d’administrations d’État et de services dans tous les domaines de la vie publique comme la poste, la fermeture des tribunaux, la fermeture de petits collèges, de maternités, de centres hospitaliers». Un argumentaire jusque-là surtout défendu par la gauche radicale. Pour le FN d’antan, le discours se résumait à la dénonciation des «administrations pléthoriques», dignes de monstres soviétiques et de leurs «fonctionnaires inutiles».