
Un article de Libération au sujet des déclarations de certains élus UMP en faveur d'alliances électorales avec le FN.
(Libération "Politiques" 27/10/2010 à 00h00 a écrit :
Le pas de deux élus UMP vers le FN
Enquête
L’ascension programmée de Marine Le Pen réveille des velléités d’alliance au sein de la majorité.
Par CHRISTOPHE FORCARI
Marine Le Pen en ferait presque un argument de campagne pour la conquête de la présidence du FN. En marge du conseil national du parti d’extrême droite, le 4 septembre, elle assurait que le «cordon sanitaire», dressé dans les années 80 entre la droite de gouvernement et sa formation, serait en train de se distendre. Elle confiait même que des parlementaires UMP étaient de plus en plus nombreux à prendre contact localement avec des cadres frontistes, que les adhésions de sarkozystes déçus affluaient au «Carré», le nouveau siège du parti à Nanterre (Hauts-de-Seine). Elle mettait ces transfuges sur son propre compte : en clair, avec elle, le FN deviendrait plus fréquentable pour une partie de la droite. Que des alliances pourraient voir le jour, même si aujourd’hui pour des raisons internes elle jure le contraire.
Parmi ses partisans, toute une génération de quadras, entrés en politique au FN attirés par la personnalité de Jean-Marie Le Pen et qui n’ont connu que l’ostracisme et l’opposition, aimeraient bien mettre leurs idées en pratique avec la droite. En écho, à l’UMP, des voix commencent à s’élever pour réclamer un rassemblement des droites. Le député du Nord Christian Vanneste a lancé le premier ce mouvement dans les colonnes de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute fin septembre, sous le slogan «pas d’ennemis à droite». Il a récidivé début octobre sur Radio Courtoisie, proche de l’extrême droite, en affirmant que «l’alliance avec tout ce qui est à notre droite est tout à fait possible». Sur le site internet du Figaro jeudi, il a ajouté que «tant que nous aurons un ennemi à droite, nous perdrons les élections. Le FN est un parti comme les autres».
«Mésalliance». Maire (UMP) de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), Xavier Lemoine, lors de la même émission de Radio Courtoisie, affirmait qu’«il est nécessaire et indispensable que l’on arrive à cette union de toutes les droites, y compris avec le FN». L’UMP a réagi vendredi par la voix de son porte-parole adjoint, Dominique Paillé : «Ça n’est pas parce qu’on changerait le prénom du chef que le Front national changerait de valeurs et de références».«Et donc, il n’est ni de près ni de loin question pour l’UMP d’imaginer ce qui serait une mésalliance.»
N’empêche. «A la base, les députés UMP commencent à avoir peur pour leur réélection quand ils constatent le capital de sympathie dont jouit Marine Le Pen auprès des gens sur le terrain», rapporte un conseiller régional frontiste, lui-même en contact avec «un élu UMP de poids». Du moins le prétend-il. Car lorsqu’il s’agit de livrer des noms pour accréditer l’existence de passerelles, le FN se mure dans le silence. Avec un argument seriné en boucle : «Vous comprenez, donner leurs noms nuirait à leur démarche.» «Soyons clairs, assène un fidèle de Marine Le Pen. Pour le moment, il n’y a aucune discussion avec la direction de l’UMP et localement cela se limite à quelques contacts avec deux ou trois députés. Pas plus. Et ce ne sont que des contacts à titre individuel.»
Un seul contact est avéré et revendiqué par le FN dans l’est de la France avec un sénateur (divers droite) de Moselle, Jean-Louis Masson. Président du groupe FN au conseil régional de Lorraine, Thierry Gourlot, partisan de Marine Le Pen et lui-même ancien du RPR, explique : «Il n’y a pas de contacts d’appareils mais, de tout temps, il y a eu des discussions ouvertes sur les bancs des assemblées régionales. Nous sentons aujourd’hui un courant de sympathie plus fort. Surtout depuis l’arrivée sur le devant de la scène de Marine.» Lucide, il ajoute : «De toute façon, à chaque fois que nous avons tendu la main à la droite, elle nous l’a renvoyée dans la gueule !» Une référence aux alliances nouées puis abandonnées lors des élections régionales de 1998 dans cinq régions.
Même, au sein de la Droite populaire, rassemblant 35 députés UMP parmi les plus à droite (dont Vanneste), pas question de fricoter avec le FN. Mais juste d’aller braconner sur ses terres électorales comme l’a fait récemment le député des Alpes-Maritimes Lionnel Luca, membre de la Droite populaire, en dénonçant, début septembre, toujours dans Minute, «le racisme antiblanc», ce «grand tabou de notre société».«Cela fait déjà un petit bout de temps que l’on me reproche de faire de la récupération politicarde. Mais moi en 1969, j’ai adhéré chez les gaullistes pas à Occident [un groupuscule violent d’extrême droite, ndlr]», se défend Luca. Pour qui «il n’y a pas et ne doit pas y avoir de relations avec le FN. Nous voulons simplement que le chef de l’Etat mène la politique pour laquelle il a été élu. Nous nous sommes constitués en groupe justement pour constituer un pare-feu sur des terres électorales et idéologiques que le FN s’est accaparées.»
«Copie». Reste que les propos très marqués de la Droite populaire et l’insistance sécuritaire de Nicolas Sarkozy viennent conforter les discours du FN. Et comme l’a toujours répété Jean-Marie Le Pen, «les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie». Même si cela ne semble pas être le cas pour le moment. Selon un récent sondage Ipsos (1), publié par le Point en septembre, près de 52% de sympathisants du FN se déclarent favorables à l’action de Nicolas Sarkozy contre seulement 32% au mois d’août. Le discours de Nicolas Sarkozy sur la sécurité, fin juillet à Grenoble, aurait donc porté ses fruits. Même si, à l’approche de 2012, un FN new look, présidé par Marine Le Pen, pourrait séduire au-delà de son noyau électoral.
(1) Réalisé les 10 et 11 septembre auprès de 962 personnes.